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ce que l'Ecriture dit des justes seuls, et ce qui ne peut convenir aux rois que quand ils sont justes. Voudriez-vous rendre l'esprit de Dieu comptable de tout ce qu'ont fait les princes injustes? Il est inconséquent et dangereux d'énoncer ainsi d'une maniere générale et affirmative ce qui n'est vrai que dans des applications restreintes et même rares.

On s'attend bien que Fléchier n'est pas plus exempt que Bossuet, de ces traits d'adulation qui étaient alors si fort à la mode. Il eut le bonheur d'avoir à louer dans Turenne un véritablement grand-homme. Il était dispensé de parler de ses faiblesses, si ce n'est pour dire ce que personne ne lui aurait contesté, qu'elles avaient été suffisamment rachetées par ses services et ses vertus. Mais pourquoi parler de lui comme s'il ne les eût jamais eues, ces faiblesses? Pourquoi dire que son cœur s'était sauvé des déréglemens que causent d'ordinaire les passions? Quel déréglement plus grand que de faire la guerre au roi pour plaire à madame de Longueville, que de révéler le secret de l'Etat à une autre femme, et à une femme qui le trompait? Voilà les souvenirs que retrace maladroitement l'indiscrete louange de l'orateur. II en rappelle d'autres qui ne sont pas moins fàcheux, par cette phrase qui n'est d'ailleurs eu elle-même qu'une exagération vide de sens : « Il eût voulu pouvoir attaquer sans nuire, se » défendre sans offenser. » C'est vouloir relever la modération de son héros aux dépens de toute raison : Turenne en avait trop pour former un vœu aussi absurde que celui d'attaquer sans nuire; ce qui se contredit dans les termes : c'est comme si Turenne eût desiré de faire la guerre aux ennemis sans leur faire aucun mal. Et que font ces hyperboles, si ce n'est de ré

veiller plus vivement la mémoire de l'embrâsement du Palatinal, exécuté à regret sans doute, mais enfin exécuté, et sur les ordres de Louvois, qui en donna de semblables à Catinat, mais qui ne fut pas obéi !

Un orateur peut saisir avec empressement l'occasion de caractériser la politique et les talens d'un ministre aussi fameux que le cardinal Mazarin, et ce devrait être un des embellissemens de l'oraison funebre du chancelier Letellier, éleve et créature de ce ministre. Mais il n'y avait pas plus d'art que de vérité à nous dire que Mazarin avait appris à Louis XIV l'art de régner et les secrets de la royauté. Il était trop public qu'il ne lui avait rien appris du tout, ni souffert qu'on lui apprît rien. Fléchier dit de Letellier dans ce même discours : « Au milieu >> des grandeurs humaines, il en connut le » néant, il se vit mortel. » N'y a-t-il pas là un peu d'emphase? Qu'un monarque tel que Louis XIV dise à sa cour qui pleure autour de son lit de mort Pourquoi pleurez-vous? M'avez-vous cru immortel? cette parole est belle : elle est d'une ame tranquille, qui se prononce à ellemême son arrêt sans le craindre: mais quoique la place de chancelier soit une grande dignité, il n'est pourtant pas très-extraordinaire qu'un chancelier se voie mortel.

Quant aux éloges de Louis XIV, comme ennemi et destructeur de l'hérésie, ils sont les mêmes dans Fléchier que dans Bossuet, quoique moins fréquens; mais Fléchier pousse les choses plus loin. Comme les Hollandais étaient hérétiques, il appelle la guerre de Hollande une guerre sainte, où Dieu triomphait avec le prince. L'invasion de la Hollande une guerre sainte! Voilà de ces traits qui justifieraient la mauvaise huneur de quelques philosophes qui ont totalement

réprouvé l'éloquence du panégyrique, si jamais un excès pouvait en justifier un autre.

Le P. de Larue a dit de Fléchier: « L'amour » de la politesse et de la justesse du style l'avait »saisi dès ses premieres études. Il ne sortait » rien de sa plume, de sa bouche, même en >> conversation, qui ne fût travaillé; ses lettres » et ses moindres billets avaient du nombre et » de l'art. Il s'était fait une habitude et presque >> une nécessité de composer toutes ses paroles, » et de les lier en cadence. » Les ouvrages de Fléchier prouvent la fidélité du témoignage que lui rend le P. de Larue. Il faut de ces hommes-là pour achever de limer et d'épurer une langue récemment perfectionnée; mais ce ne sont pas ceux qui en portent le plus haut la gloire et la puissance. Celui qui donne tant de soin et de tems à ses paroles, n'est pas pressé par ses idées; et mettre du nombre et de l'art dans ses moindres billets, c'est être né plutôt pour la perfection des petites choses, que pour la création des grandes.

Avec les ouvrages oratoires de Bossuet et de Fléchier, on met ordinairement entre les mains des jeunes étudians ceux de Mascaron, et l'on a grand tort, à moins que le maître ne soit assez éclairé pour les avertir que si Bossuet et Fléchier sont généralemeut, chacun dans leur genre, de hons modeles à suivre, Mascaron, malgré la grande réputation qu'il eut de son vivant, n'est le plus souvent qu'un très-mauvais modele, et d'autant plus dangereux pour les jeunes gens, qu'il a tous les defauts les plus propres à les séduire, aujourd'hui surtout où il est de mode de faire revivre en tout genre de composition tout ce que l'exemple et l'autorité de nos classiques avait condamné à une réprobation générale et durable. Ce n'est pas que l'esprit de Mascaron

ne paraisse tendre naturellement à s'élever, mais nou pas comme la lumiere qui domine tout pour tout éclairer et tout embellir; c'est au contraire comme une fumée ténébreuse qui ne monte dans les airs que pour les obscurcir et se dissiper. Cette comparaison est l'emblême de la véritable et de la fausse élévation; et celle de Mascaron est presque toujours la derniere. Il précéda de quelques années Bossuet et Fléchier, avant de se trouver en concurrence avec eux dans les mêmes sujets; et l'on voit qu'il était encore plein de tout le mauvais goût qui avait infecté si long-tems l'éloquence de la chaire et du barreau. Au lieu de ces moyens naturels qui proportionnent les paroles aux choses, de ces détails vrais et intéressans qui peignent l'homme qu'on célebre, et le font aimer et admirer, de ces mouvemens qui entraînent l'auditeur dans le sujet, de ces réflexions qui le ramenent à lui-même, de ces tableaux des grands événemens qui les montrent à l'imagination, c'est une décomposition laborieuse d'idées follement alambiquées, un amas d'hyperboles gigantesques qui semblent monter les unes sur les autres, une recherche bizarre de rapprochemens forcés, de spéculations fantastiques, de comparaisons fausses, de phrases boursoufflées, enfin un fatigant mélange de métaphysique, de mysticité et d'enflure. Tel est Mascaron dans quatre de ses oraisons funèbres, et il n'en a fait que cinq pour le prouver, il n'y aurait qu'à les citer de page en page; mais un petit nombre d'exemples pris les uns fort près des autres, suffira pour démontrer que sa maniere d'écrire est précisément telle que je viens de l'exposer.

Son premier discours est consacré à la mémoire d'Anne d'Autriche : la premiere partie roule toute entiere sur la longue stérilité de cette

reine et sur la fécondité qui la suivit. Voici un fragment de son exorde : « S'il n'y a qu'un tem>>ple où il soit permis de lui élever un tombeau, » dont le marbre et les pierres précieuses dési»gnent la dignité des cendres qu'il renfer» me, ne serait-il pas permis à la douleur de » lui élever un autre tombeau et un mausolée » plus riche que le premier, où toutes les vertus » chrétiennes et morales, naturelles et surna» turelles, infuses et acquises tiendront lieu de >> marbre et de pierres précieuses? Mais s'il est » difficile de faire un chef-d'oeuvre quand on » travaille sur ces matériaux pesans et grossiers » que le soleil cuit dans le centre de la terre, » ou que la rosée forme dans le sein de la mer, » à quelle difficulté ne dois-je pas m'attendre, » à quel travail sur ces matériaux invisibles et » spirituels que le soleil de la grâce a formés » dans le cœur de notre auguste princesse ? En>> core, pour réussir dans ce premier ouvrage, » souvent il ne faut que retrancher quelque par» tie superflue avec le ciseau; mais dans celui>> ci je suis obligé de me comporter d'une ma» niere bien différente; et s'il ne me faut rien » ajouter par la flatterie, aussi faut-il que je » tâche de ne rien diminuer par la bassesse de » mes pensées, etc. »

Après une longue distinction entre les créatures spirituelles qui sont stériles, et les créatures corporelles qui sont fécondes, il s'écrie: « Si j'en demeurais là, Messieurs, quel partage >> donneriez-vous à Anne d'Autriche? La met» triez-vous parmi le rang des anges et des sub»stances spirituelles dans le tems de sa stérilité, » ou bien dans sa fécondité lui donneriez-vous » la premiere place parmi ces Dames (1) illus

(1) Encore les Dames!

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