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plupart des grandes causes plaidées par Cicéron, étaient de grandes scenes représentées sur le premier théâtre du Monde. A quoi pense-t-il quand il nous dit que, dans les plaidoyers de Gautier et de Lemaître, on trouvera de plus belles especes de causes que dans Cicéron et Démosthene; que le procès de ce dernier contre Eschine était purement du genre didactique si Eschine n'y eût pas joint l'accusation_contre Démosthene? Mais cette accusation était le fond du procès, l'objet principal d'Eschine; et si Patru s'était souvenu de l'appareil et de la solennité de cette cause, plaidée devant l'élite de toute la Grece, et où il s'agissait de l'intérêt de ces peuples, au lieu de nous dire, en nous citant une cause de son tems, aujourd'hui absolument oubliée, qu'il n'y avait rien de pareil chez les Anciens, il serait convenu sans doute que cette lutte mémorable d'Eschine contre Démosthene était, non-seulement par la célébrité des deux athletes, mais par la nature même et les circonstances et dépendances de la cause, un des plus grands spectacles que dans aucun siecle et chez aucun peuple l'éloquence judiciaire eût pu donner au Monde et à la postérité.

Ce qu'elle a produit de plus beau dans le dernier siecle n'appartient pas proprement au barreau, ne fut pas l'ouvrage d'un légiste, ni la plaidoirie d'un avocat, ni même un mémoire juridique; ce fut le travail de l'amitié coura-geuse défendant un infortuné qui avait été puissant; ce fut le fruit d'un vrai talent oratoire auimé par le zele et le danger, et signalé dans une occasion éclatante. On voit bien que je veux parler du procès de Fouquet, et des défenses publiées en sa faveur par Pélisson et adressées au roi. Voltaire les compare aux plaidoyers de Cicéron; et au moment où Voltaire écrivait ce

jugement, ces apologies de Fouquet étaient sans contredit tout ce que les Modernes pouvaient en ce genre opposer aux Anciens, et ce qui se rapprochait le plus de leur mérite. Ce n'est pas qu'elles soient encore tout-à-fait exemptes de cet abus de figures qui sent le déclamateur; qu'il n'y ait aussi quelques incorrections dans le langage, quelques défauts dans la diction, comme la longueur des phrases, l'embarras de quelques constructions et la multiplicité des parentheses; mais les beautés prédominent, et il n'y a plus ici de vices essentiels. Tout va au bnt, et rien ne sort du sujet. On y admire la noblesse du style, des sentimens et des idées, l'enchaînement des preuves, leur exposition lumineuse, la force des raisonnemens, et l'art d'y mêler sans disparate une sorte d'ironie aussi convaincante que les raisons; l'adresse d'intéresser sans cesse la gloire du roi à l'absolution de l'accusé, de réclamer la justice de maniere à ne renoncer jamais à la clémence, et de rejeter sur les malheurs des tems et la nécessité des conjonctures ce qu'il n'est pas possible de justifier; une égale habileté à faire valoir tout ce qui peut servir l'accusé tout ce qui peut rendre ses adversaires odieux, tout ce qui peut émouvoir ses juges; des détails de finance très-curieux par eux-mêmes, par les rapports qu'ils offrent avec l'étude de cette science, telle qu'elle est en nos jours, et par la nature des principes qui établissent un certain désordre comme inévitable, nécessaire, et même salutaire dans les finances d'un grand Empire. On y admire enfin des pensées sublimes et des mouvemens pathétiques, et principalement une péroraison adressée à Louis XIV, que je vais citer, quoiqu'un peu étendue, parce que ce seul morceau suffit pour confirmer tout ce que j'ai dit à la louange de Pélisson, et les reproches qu'on peut lui faire.

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« Et vous, Grand Prince (car je ne puis m'empêcher de finir, ainsi que j'ai commencé, par votre Majesté même), c'est un dessein digne sans doute de sa grandeur, ce n'est pas un petit dessein que de réformer la France: il a été moins long et moins difficile à votre Majesté de vaincre l'Espagne. Qu'elle regarde de tous côtés : tout a besoin de sa main, mais d'une main douce, tendre, salutaire, qui ne tue point pour guérir, qui secoure, qui corrige, et répare la nature sans la détruire. Nous sommes tous hommes, Sire; nous avons tous failli; nous avons tous desiré d'être considérés dans le Monde; nous avons vu que sans bien on ne l'était pas : il nous a semblé que sans lui toutes les portes nous étaient fermées, que sans lui nous ne pouvions pas même montrer notre talent et notre mérite si Dieu nous en avait donné, non pas même servir votre majesté, quelque zele que nous eussions pour son service. Que n'aurions-nous pas fait pour ce bien, sans qui il nous était impossible de rien faire? Votre Majesté, Sire, vient de donner au Monde un siecle nouveau, où ses exemples, plus que ses lois mêmes ni que ses châtimens, commencent à nous changer. Nous serons tous gens d'honneur pour être heureux, et nous courons après la gloire comme nous courions après l'argent, mourant de honte si nous n'étions pas dignes sujets d'un si grand roi, par-là véritable

ment, et après cette seconde formation de nos esprits et de nos moeurs, le pere de tous ses peuples. Mais quant à notre conduite passée, Sire, que votre Majesté s'accommode, s'il lui plaît, à la faiblesse, à l'infirmité de ses enfans. Nous n'étions pas nés dans la République de Platon, ni même sous les premieres lois d'Athenes écrites de sang, ni sous celle de Lacédémone, où l'argent et la politesse étaient un crime, mais dáns

Il ne nous

la corruption des tems, dans le luxe inséparable de la prospérité des Etats, dans l'indulgence française, dans la plus douce des monarchies, non-seulement pleine de liberté, mais de licence. était pas aisé de vaincre notre naissance et notre mauvaise éducation. Nous aimons tous votre Majesté : que rien ne nous rende auprès d'elle si odieux et si détestables, et que, s'empêchant de faillir comme si elle ne pardonnait jamais, elle pardonne néanmoins comme si elle faisait tous les jours des fautes. Et quant au particulier de qui j'ai entrepris la défense, particulier maintenant et des moindres et des plus faibles, la colere de votre Majesté, Sire, s'emporterait-elle contre une feuille seche que le vent emporte (1)? car à qui appliquerait-on plus à propos ces paroles que disait autrefois à Dieu même l'exemple de la patience et de la misere, qu'à celui qui, par le courroux du ciel et de votre Majesté, s'est vu enlever en un seul jour, et comme d'un coup de foudre, biens, honneur, réputation, serviteurs, famille, amis et santé, sans consolation, et sans commerce qu'avec ceux qui viennent pour l'interroger et pour l'accuser? Encore que ces accusations soient incessamment aux oreilles de votre Majesté, et que ses défenses n'y soient qu'un moment; encore qu'on n'ose presque espérer qu'elle voie dans un si long discours ce qu'on peut dire pour lui sur ces abus des finances, sur ces millions, sur ces avances, sur ce droit de donner des commissaires, dont on entretient à toute heure votre Majesté contre lui, je ne me rebuterai point; car je ne veux point douter auprès d'elle s'il est coupable, mais je ne saurais douter s'il est malheureux. Je ne veux point savoir ce qu'on dira s'il est (1) Job.

et que

puni; mais j'entends déjà, avec espérance, avec joie, ce que tout le monde doit dire de votre Majesté si elle fait grâce. J'ignore ce que veulent demandent, trop ouvertement néanmoins pour le laisser ignorer à personne, ceux qui ne sont pas satisfaits encore d'un si déplorable malbeur; mais je ne puis ignorer, Sire, ce que souhaitent ceux qui ne regardent que votre Majesté, et qui n'ont pour intérêt et pour passion que sa seule gloire. Il n'est pas jusqu'aux lois, Sire (c'est un grand Saint qui l'a dit), il n'est pas jusqu'aux lois qui, toutes insensibles, toutes (1) inexorables qu'elles sont de leur nature, ne se réjouissent lorsque, ne pouvant se fléchir d'ellesmêmes, elles se sentent fléchir d'une main toutepuissante, telle que celle de votre Majesté en faveur des hommes dont elles cherchent toujours le salut, lors même qu'elles semblent demander leur ruine. Le plus sage, le plus juste même des rois crie encore à votre Majesté, comme à tous les rois de la Terre: Ne soyez point si juste. C'est un beau nom que la chambre de justice; mais le temple de la clémence, que les Romains éleverent à cette vertu triomphante en la personne de JulesCésar, est un plus grand et un plus beau nom encore. Si cette vertu n'offre pas un temple à votre Majesté, elle lui promet du moins l'empire des cœurs, où Dieu même desire de régner, et en fait toute sa gloire. Elle se vante d'être la seule entre ses compagnes, qui ne vit et ne respire que sur le trône. Courez hardiment, Sire, dans une si belle carriere votre Majesté n'y trouvera que des rois, comme Alexandre le souhaitait, quand on lui parla de courir aux jeux

:

(1) Faute de français il faut tout, qui dans ce sens est indéclinable devant un féminin commençant par une voyelle.

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