elles ne sont que les propres traits dont la nature se peint elle-même. Tout y est exprimé avec une naïveté charmante, une grace enchanteresse: tout y respire cette gaîté qu'il appelle luimême un certain charme, un air agréa ble qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux (1). Nul poète n'a su mieux que lui répandre tous les trésors de la poésie, avec ce prestige de l'art, qui cache l'art même : il n'en est aucun qui offre plus de beautés de détail. Tantôt c'est le riant et le gracieux des images: A l'heure de l'affut; soit lorsque la lumière (Les Lapins.). Tantôt c'est l'agrément et la vivacité : Je vois fuir aussitôt toute la nation Des Lapins, qui sur la bruyère, S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet. Faut-il peindre avec feu? les couleurs sont des plus fortes et des plus animées. Un renard est entré la nuit dans un poulailler: Les marques de sa cruauté Parurent avec l'aube. On vit un étalage (1) Préf. des Fabl. De corps sanglans et de carnage. Ne rebroussât d'horreur dans son manoir liquide. Apollon irrité contre le fier Atride, Tel encore autour de sa tente, De moutons et de boucs fit un vaste débris; (Le Fermier, le Chien et le Renard.) Ces comparaisons de petites choses à ce qu'il y a de plus grand, font un effet très-agréable dans l'apologue. Rien de plus propre à plaire et à attacher que cette espèce de contraste. Deux coqs vivoient en paix : une poule survint, Amour, tu perdis Troie, et c'est de toi que vint Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint. (Les deux Coqs.) Ici, ce sont des idées nobles, des figures hardies, un syle plein d'énergie et de majesté : Comme il disoit ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfans Que le Nord eût porté jusques-là dans ses flancs. Le vent redouble ses efforts: Il fait si bien, qu'il déraciné Celui de qui la tête au ciel étoit voisine, Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts. (Le Chêne et le Roseau.) : Moralité Là, ce sont des traits rapides, frappans Un bloc de marbre étoit si beau, (Le Statuaire.) Si La Fontaine fait parler ses personnages, son dialogue est vif, pressé, et toujours coupé à propos. Je n'en citerai que cet exemple tiré de la fable du loup et du chien. Chemin faisant, il vit le cou du chien pélé. de chose. 1 Mais encor? Le collier dont je suis attaché, Peu La moralité est de toutes les parties de l'Apo- de l'apologue la plus essentielle. Elle logue. doit naître sans effort, et naturellement du corps de la fable, parce que c'est pour elle que la fable est faite. Il faut qu'elle soit intéressante, courte et claire; c'est-à-dire que, et triviale, elle soit exprimée en peu de mots et sans la moindre équivoque. Ce sens moral doit sur-tout être vrai. On a très-bien sans être commune très-bien remarqué que celui de la fable Leur flamme en liberté devoit être éternelle : C'est ainsi que La Motte termine son récit. Assurément il veut faire entendre que deux coeurs unis par le sentiment, cessent bientôt de l'être, après qu'ils se sont liés par le mariage. Cela est-il vrai ? Et parce que cela arrive quelquefois, peut-on en faire une maxime? Il est indifférent de placer la moralité avant ou après le récit. Lorsqu'elle est placée au commencement de la fable, le lecteur a le plaisir, en suivant le fil de la narration, de juger si chaque trait s'y rapporte exactement à la vérité énoncée. Lorsqu'elle est placée à la fin, il goûte le plaisir de la suspension. Si le sens moral peut être deviné sans peine, et bien clairement entendu, on doit se dispenser de l'exprimer. L'origine de l'apologue remonte jus- Poètes qu'à l'antiquité la plus reculée. Nous fabulistes. voyons dans les livres saints qu'il fut en honneur chez les Hébreux, et par conséquent chez les peuples Orientaux plus de douze cents ans avant l'ère chrétienne. Celui qui passe pour en avoir été l'inventeur chez les Grecs, est He-. siode, né à Cumes en Eolie, province de l'Asie mineure, mais élevé à Ascrée en Béotie, et qui florissoit vers l'an 914 avant Jésus-Christ. On attribue à Stésichore, dont j'ai déjà parlé, l'invention de l'apologue de l'homme et du cheval, qu'Horace, Phèdre et La Fontaine ont si bien versifié. Mais Esope, né à Amorium, bourg de la Phrygie, vers l'an 550 avant JésusChrist, et qui passa une grande partie de sa vie dans l'esclavage, fut le premier qui rendit familière en Grèce cette manière ingénieuse d'instruire. La précision et la clarté font le plus grand mérite de ses fables: elles sont pleines de sens et de force, mais d'une brièveté extrême. C'est une simplicité toute nue, qui n'est relevée par aucun ornement. Phèdre, né dans la Thrace, affranchi d'Auguste, et imitateur d'Esope, est bien plus orné, plus fleuri que le fabuliste Grec. Il peint en racontant; sa poésie est soignée, sa diction pure, ses expressions toujours choisies. L'élégance, le naturel, le gracieux et la bonne morale, forment le caractère de ses fables. L'abbé Lallement les a traduites, Ce fabuliste, tout ingénieux, tout poli, tout varié qu'il est, a été effacé par notre aimable La Fontaine, qui vraisembla |