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Dans la Lusiade, la flotte des Portugais est prête à doubler le Cap de BonneEspérance, lorsqu'un nuage noir et effrayant se forme au-dessus de leurs têtes. Un bruit affreux frappe les oreilles de Gama, chef de l'entreprise, et de ses compagnons. Aussi-tôt s'élève dans les airs un fantôme formidable, dont la taille énorme surpasse en hauteur le fameux colosse de Rhodes. Ses membres sont hideux; son visage est sombre et farouche; ses yeux étincelans sont cachés comme dans une fosse obscure, d'où jaillissent des flammes noires, livides, et plus sanglantes que lumineuses. Ce monstre, ou ce dieu, est le gardien de ces mers, dont aucun vaisseau n'avoit encore fendu les flots. Il pousse un horrible mugissement, qui semble sortir des plus profonds abîmes de la mer. Il reproche aux Portugais leur orgueilleuse audace; il menace leur flotte, et leur annonce tous les désastres et toutes les calamités qu'ils doivent essuyer dans leur entreprise. Cette fiction est vraiment belle; et au jugement de tous les critiques, elle doit plaire dans tous les temps et dans tous les pays. Je dois dire ici qu'elle a été imitée d'une Ode sur l'invasion des Maures, par Louis de Léon, poète espagnol.

Ši le vraisemblable doit toujours être Qualités joint au merveilleux de l'épopée, à plus

de l'action épique.

forte raison doit-il se trouver dans l'action même, et dans toutes les circonstances importantes de l'action. C'est la première qualité qu'elle doit avoir. Elle doit être encore entière et une. Je crois m'être assez étendu sur ce sujet dans l'article du poème dramatique. Je me contenterai de rappeler ici qu'une action est possible, lorsqu'il ne répugne point qu'elle ait été faite; qu'elle est vraisemblable, lorsqu'il y a quelque raison de croire qu'elle a été faite. Ainsi les personnages de l'épopée ne doivent jamais agir sans un motif, sans un dessein raisonnable, et qui paroisse sensible au lecteur.

J'ai dit encore que l'intégrité d'une action consiste dans son commencement, son milieu et sa fin; ce qui veut dire exposition du sujet, noeud et dénouement. J'ai expliqué ce que sont ces trois choses, et je ne ferai qu'ajouter ici qu'il n'en est pas du dénouement de l'épopée, comme du dénouement de la tragédie.

Dans celle-ci, le dénouement malheureux est le meilleur, parce que l'objet de la tragédie étant d'exciter la terreur et la pitié, ces deux passions sont portées au plus haut degré possible, lorsque nous voyons un héros plus malheureux que coupable, succomber dans une entreprise qu'il a tentée lui-même, ou qu'on a tentée contre lui. Mais quoi

que dans l'épopée il y ait et il doive y avoir beaucoup de ces situations terribles et attendrissantes, qui nous font frémir pour le héros, et nous arrachent des larmes; néanmoins son principal objet, son objet essentiel est de nous donner une grande, vertu à admirer. Or, si cette grande vertu échouoit, elle ne seroit point, à proprement parler, digne de notre admiration, je veux dire d'une admiration entière, pure et sans mélange, parce que ce sentiment ne peut être vraiment excité et porté à son comble, que par le succès et la joie. Il faut donc que le héros, franchissant tous les obstacles, vienne heureusement à bout de son entreprise. Ainsi Achille, après avoir dompté sa colère, fait tomber sous ses coups Hector, le plus brave défenseur d'Ilion. Ainsi Ulysse surmonte ses revers, et arrive à Ithaque. Ainsi Enée aborde en Italie, et triomphe de Turnus. Ainsi Godefroi dissipe les forces de l'Afrique et de l'Asie réunies contre lui, et s'empare de Jérusalem.

Mais, dira-t-on, sans doute, le dénouement du Paradis perdu n'est-il pas malheureux? Non, parce que Adam n'est pas le héros du poème : c'est Satan; et l'on voit assurément qu'il fait succomber le premier homme. C'est donc le Diable, dit l'abbé Batteux, qu'on nous donne à admirer. L'objet est sin

gulier; mais il en faut juger comme d'une idée de peintre, c'est-à-dire, par l'exécution, plutôt que par le fond même du sujet.

Il est quelquefois nécessaire de faire suivre le dénouement, par le récit de quelques événemens qui tiennent essentiellement à l'action : c'est ce qu'on appelle achèvement. La réconciliation d'Achille avec Agamemnon fait le dénouement de l'Iliade, puisque le poète ne s'étoit proposé, comme il le dit luimême, que de chanter la colère d'Achille et ses funestes effets. Mais cette réconciliation ne devoit pas en être la fin, parce qu'on auroit pu demander si elle avoit changé la face des affaires. Il y avoit donc quelque chose à desirer après la cessation de la colère d'Achille. Il falloit qu'il combattît les Troyens, les mît en déroute, et triomphât d'Hector. Cet achèvement de l'action doit être court, autant qu'il sera possible: autrement il seroit froid.

J'ai dit enfin que l'unité d'action se prend du rapport de ses parties, de l'unité d'intérêt, et de l'unité de péril ou de plusieurs périls, pourvu que l'un soit une suite nécessaire de l'autre. Mais il ne faut pas croire que l'unité du personnage puisse faire ici l'unité de l'action. Le poème épique n'est ni une histoire, comme la Pharsale de Lucain,

la Guerre punique de Silius Italicus, où sont décrits plusieurs événemens décousus; ni la vie entière d'un héros, comme l'Achilléide de Stace. Il se borne au récit d'une seule action héroïque, pour la faire admirer et la proposer pour exemple.

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Quant à l'unité de temps et de lieu l'épopée n'y est point asservie comme la tragédie. On a calculé que la durée de l'action de l'Iliade est de quarantesept jours celle de l'Odyssée, qui ne commence qu'au départ d'Ulysse de l'île d'Ogygie, est d'environ deux mois : celle de l'Eneide, qui ne commence qu'à la tempête qui jette Enée sur les côtes d'Afrique, est de deux saisons, l'été et l'automne. Ainsi le temps que doit durer l'action, n'est pas fixe et marqué. Mais la plupart des critiques s'accordent à dire que depuis l'endroit où le poète commence sa narration, temps ne doit pas s'étendre au-delà d'une

année.

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des dans

L'unité de l'action dans l'épopée Des épison'exclut point les épisodes. On a vu le poème que ce sont des actions particulières épique. subordonnées à l'action principale. Ils doivent toujours être tirés du fond même du sujet, ou, s'ils en sont éloignés, y être amenés par les circonstances. Pope compare le poème épique à un jardin la principale allée est

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