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tomber à Dioméde le fouet de la main, Minerve se hâte de le ramasser, et le rend à ce guerrier.

Ajoutons que quand les dieux paroissent dans l'épopée, ils ne doivent pas s'y montrer dans l'appareil de leur grandeur. Les mortels en seroient éblouis et atterrés. D'ailleurs ces dieux ne pourroient alors opérer que des miracles; sinon ils compromettroient leur gloire. Or, les miracles, qui sont un dérangement de l'ordre naturel, fait par la Divinité même, ou par un agent qu'elle emploie, ne peuvent trouver place dans l'épopée. Ainsi il faut bien prendre garde de ne pas les confondre avec le merveilleux.

Le poète doit donc se contenter de représenter la conduite de ces dieux (il ne s'agit encore ici que des divinités du paganisme), telle que la religion existante la faisoit connoître aux peuples. par rapport aux choses humaines, et de leur faire faire des actions dignes de leur puissance et de leur grandeur, sans que pourtant ils renversent les loix de la nature établies. Que dans l'Iliade, Mars blessé, jette un cri pareil à celui d'une armée; que Jupiter ébranle tout l'Olympe par le seul mouvement de ses sourcils; voilà un merveilleux admirable, mais qui est dans l'ordre des choses: il plaît, il étonne, il transporte,

Qu'Enée et ses vaisseaux par le vent écartés,
Soient aux bords africains d'un orage emportés ;
Ce n'est qu'une aventure ordinaire et comniune,
Qu'un coup peu surprenant des traits de la fortune.
Mais que Junon constante en son aversion,
Poursuive sur les flots les restes d'llion;
Qu'Eole en sa faveur les chassant d'Italie,
Ouvre aux Vents mutinés les prisons d'Eolie;
Que Neptune en courroux s'élevant sur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache;
C'est-là ce qui surprend, frappe, saisit, attache (1).

Cette intervention des dieux produit un bien bel effet dans les poèmes d'Homère et de Virgile. Mais elle nous paroîtroit absurde dans les poèmes modernes, c'est-à-dire, dans ceux dont l'histoire des peuples chrétiens a fourni ou peut fournir le sujet. La raison veut que cette première branche du merveilleux soit tirée du fond de la créance commune des peuples pour lesquels on écrit, et que le poète ne fasse agir que les divinités connues et honorées dans les pays et dans les temps où s'est passée l'action qu'il

raconte.

S'ensuit-il de-là qu'on puisse introduire dans un sujet chrétien les anges, les saints et les démons? Il y a des critiques qui pensent que non : Boileau même est de ce nombre. Mais le sentiment le plus général est qu'on le peut. En effet, puisque dans les principes de toute religion, il

(1) Boileau. Art Poét. ch. 1.

est incontestable que la Divinité règle et dirige tous les événemens, seroit-ce dégrader la majesté de notre Dieu, que de supposer, non-seulement qu'il a préparé une action vraiment grande, vraiment importante que fait un héros vertueux, mais encore qu'il suit l'exécution de cette action par les ministres de ses ordres et de ses volontés? Répugneroitil que le poète se dît inspiré par un génie céleste, à qui l'Etre suprême auroit decouvert tous les secrets ressorts de sa sagesse dans l'entreprise de son héros ? II est certain que ce merveilleux peut être dans un poème la source des plus sublimes beautés. Que de peintures fortes et touchantes, que de tableaux brillans et magnifiques, que de grands traits de morale, que d'importantes vérités, en un mot, quelle abondance de richesses poétiques peut fournir au poète notre auguste religion! Les admirables ouvrages des prophètes et des écrivains sacrés en sont la preuve. D'ailleurs les épiques modernes ont employé ce merveilleux avec succès; et l'on ne peut disconvenir que les endroits où ils en ont fait usage, en se renfermant dans les bornes des idées que nous donne la foi, ne sont pas les morceaux les moins frappans de leurs poèmes.

Pour que ce merveilleux du christianisme puisse plaire aux lecteurs éclairés,

qui veulent que la poésie épique présente les objets dans l'état le plus parfait, mais sans contrarier l'ordre naturel, et l'ordre surnaturel des choses, il faut observer à la rigueur ce que j'ai dit ci-dessus de l'intervention des dieux. Les anges, les saints et les démons ne doivent paroître dans un sujet chrétien que de loin à loin, et sans que le merveilleux qu'ils opèrent, aille jusqu'au miracle. On ne sauroit trop répéter que l'épopée n'en veut point. Lorsque Milton décrit les ruses du tentateur; fait entretenir les génies qui président aux astres, aux fleuves, aux montagnes; nous représente le fils de Dieu s'offrant à son père pour racheter le genre humain ; nous fait entendre les récits prophétiques deRaphaël, qui trace à Adam l'histoire à venir de sa postérité lorsque le Tasse nous fait voir l'ange Gabriël apparoissant à Godefroi, pour l'animer à la conquête de Jérusalem; les démons excitant un violent orage contre les chrétiens, pour leur arracher la victoire qu'ils remportoient sur les infidèles; dans un autre combat l'archange Michel, armé de sa lance redoutable, faisant rentrer jusqu'au fond des abîmes ces esprits infernaux; un céleste guerrier s'offrant aux regards de Godefroi, au moment où il escalade les murs de Solime, lui montrant l'immortelle Milice qui seconde

ses efforts et partage sa victoire, des escadrons innombrables d'esprits lumineux, dont les uns sapent les tours ennemies, et les autres foudroient les remparts; ce merveilleux nous paroît beau sans doute : il nous ravit, il nous enchante, parce que dans sa sublimité même, il n'offre rien qui soit contre l'ordre des choses que le souverain Créateur a établi. Qui n'admirera point un pareil trait de cette espèce de merveilleux dans ces beaux vers de la Henriade?

Cependant sur Paris s'élevoit un nuage,

Qui sembloit apporter le tonnerre et l'orage:
Ses flancs noirs et brûlans tout-à-coup entr'ouverts
Vomissent dans ces lieux les monstres des enfers;
Le Fanatisme affreux, la Discorde farouche
La sombre Politique, au coeur faux, à l'œil louche,
Le démon des combats respirant les fureurs,
Dieux enivrés de sang, dieux dignes des Ligueurs.
Anx remparts de Paris ils fondent, ils s'arrêtent ;
En faveur de d'Aumale au combat ils s'apprêtent.
Voilà qu'au même instant du haut des cieux ouverts,
Un ange est descendu sur le trône des airs,
Couronné de rayons, nageant dans la lumière,
Sur des ailes de feu parcourant sa carrière,
Et laissant loin de lui l'occident éclairé
De sillons lumineux dont il est entouré.
Il tenoit d'une main cette olive sacrée,
Présage consolant d'une paix desirée :
Dans l'autre étinceloit ce fer d'un dieu vengeur,
Ce glaive dont s'arma l'ange exterminateur,
Quand jadis l'Eterne! à la mort dévorante
Livra les premiers nés d'une race insolente.
A l'aspect de ce glaive, interdits, désarmés,
Les monstres infernaux semblent inanimés:
La terreur les enchaîne; un pouvoir invincible
Fait tomber tous les traits de leur troupe inflexible.

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