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génie vigoureux, fécond, plein de naturel et de sublime, mais aussi, plein d'idées bizarres et gigantesques, sans la moindre étincelle de goût, sans la moindre connoissance des règles. En ce même temps Lopez de Vega florissoit en Espagne c'est le tragique le plus célèbre de cette nation.-La France eut bientôt une foule de poètes tragiques, parmilesquels on ne se ressouvient que de Mairet, auteur de Sophonisbe, et de Rotrou, auteurde Venceslas. L'art étoit encore dans l'enfance et dans le chaos.

Un génie tel que celui du grand Corneille, pouvoit seul débrouiller ce chaos, et amener le grand jour. C'est ce qu'il fit d'abord, en 1656, par la représentation du Cid, pièce imitée, il est vrai de l'espagnol de Lopez de Vega, mais imitée de la manière dont un génie créateur imite. Il donna ensuite Horace, Cinna, Polieucte, Rodogune, Heraclius, chefd'oeuvres immortels, qui lui ont si justement mérité le titre de père de la tragédie française.C'estdans ces pièces qu'on voit déployées toute la profondeur, toute l'étendue d'un génie vigoureux et sublime, toutes les ressources, tout le feu d'une imagination riche et lumineuse c'est là qu'on admire des plans hardis, des intrigues fortement nouées et habilement conduites, une marche ferme, rapide et imposante, un dialogue

serré, vif et pressant, la majesté et la variété des caractères, la grandeur et la véhémence des sentimens, le choc violent des grands passions, la noblesse des idées, l'énergie du style, la vivacité des images, la force du raisonnement. Voici sous quels traits Racine, l'homme du monde le plus capable d'apprécier Corneille, le peint et le caractérise dans un de ses discours prononcés à l'académie française. «< Après avoir quelque temps » cherché le bon chemin, et lutté, si je » l'ose ainsi dire, contre le mauvais goût » de son siècle, enfin, inspiré d'un gé>> nie extraordinaire, et aidé de la lec»ture des anciens, il fit voir sur la scène >> la raison, mais la raison accompagnée » de toute la pompe, de tous les orne>> mens dont notre langue est capable... » La scène retentit encore des acclama» tions qu'excitèrent à leur naissance le » Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous » ces chef-d'œuvres représentés depuis » sur tant de théâtres, traduits en tant » de langues, et qui vivront à jamais » dans la bouche des hommes. A dire le » vrai, où trouvera-t-on un poète qui » ait possédé à-la-fois tant de grands ta» lens, tant d'excellentes parties, l'art," » la force, le jugement, l'esprit ? Quelle »> noblesse! quelle économie dans les su» jets! quelle véhémence dans les pas»sions quelle gravité dans les senti

» mens! quelle dignité, et en même » temps, quelle prodigieuse variété dans » les caractères! Combien de rois, de » princes, de héros de toutes nations » nous a-t-il représentés, toujours tels >> qu'ils doivent être, toujours unifor» mes avec eux-mêmes, et jamais ne se » ressemblant les uns aux autres ?...... En >> fin ce qui lui est sur-tout particulier, » une certaine force, une certaine élé»vation, qui surprend, qui enlève, et >> qui rend jusqu'à ses défauts, si on peut >> lui en reprocher quelques-uns, plus » estimables que les vertus des autres ». Ces défauts, qu'on a remarqués même dans ses meilleures pièces, sont de vieux mots, des discours quelquefois embarrassés, quelques endroits qui sentent le déclamateur, des inégalités, même des chutes après les morceaux les plus su

blimes.

Racine qui entra dans la carrière du théâtre, lorsque Corneille commençoit à vieillir, sut éviter tous ces défauts. Moins fécond, moins vigoureux, moins sublime que lui, il est plus sage, plus soutenu, et toujours guidé par le goût. Ses plans sont toujours exacts, ses intrigues sagement conduites, sa marche unie et assurée, son dialogue juste et direct, son style pur, élégant et harmonieux. Partout il joint le plus grand art au génie, par-tout il plaît, il attache, il intéresse.

Jamais poète n'a peint le sentiment avec un coloris plus vif, plus naturel et plus vrai. Le talent particulier de Racine est de parler intimement au cœur et de l'attendrir. Il s'en faut bien qu'il ait d'anssi grandes beautés que Corneille : mais il n'a pas non plus d'aussi grands défauts. Ceux que lui reprochent des censeurs éclairés, sont de n'avoir pas excité la terreur avec la même véhémence qu'il a excité la pitié, de n'avoir pas toujours mis assez d'action dans ses tragédies, et d'avoir donné à tous ses héros -un cer tain air de ressemblance.

On a fait beaucoup de comparaisons entre ces deux souverains de notre scène. Mais pouvoit-on réellement comparer deux poètes qui ont excellé dans un genre différent; et ces comparaisons pourront elles jamais nous servirà apprécier le mérite de l'un, relativement au mérite de l'autre? Ne doit-il pas nous suffire de savoir et de reconnoître que personne n'a égalé Corneille dans le genre sublime, ni Racine dans le sien ? Quoi qu'il en soit, ces comparaisons ne sont pas tout-à-fait inutiles, puisqu'elles nous peignent, pour ainsi dire, d'un seul trait le vrai caractère de ces deux grands tragiques. C'est pour cette raison que je rapporterai ici le parallèle, où ce caractère m'a paru le mieux saisi et le mieux marqué : c'est celui qu'a fait la Bruyère.

Corneille, dit-il, ne peut être égalé dans les endroits où il excelle; il a pour lors un caractère original et inimitable: mais il est inégal... Dans quelques-unes de ses meilleures pièces, il y a des fautes inexcusables contre les mœurs, un style de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir, des négligences dans les vers et dans l'expression, qu'on ne peut comprendre en un si grand homme. Ce qu'il y a eu en lui de plus éminent, c'est l'esprit qu'il avoit sublime, auquel il a été redevable de certains vers, les plus heureux qu'on ait jamais lus ailleurs; de la conduite de son théâtre, qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens; et enfin de ses dénouemens : car il ne s'est pas toujours assujéti au goût des Grecs et à leur grande simplicité. Il a aimé au contraire à charger la scène d'événemens dont il est presque toujours sorti avec succès; admirable-sur-tout par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour le dessein, entre un si grand nombre de poèmes qu'il a composés.

Il semble qu'il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qu'ils tendent un peu plus à une même chose. Mais il est égal, soutenu, toujours le même par-tout; soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et

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