Oldalképek
PDF
ePub

toujours céder l'intérêt de sa propre gloire à celui des bonnes mœurs et de la vertu.

Peignez donc, j'y consens, les héros amoureux;
Mais ne m'en formez pas des bergers doucereux.
Qu'Achille aime autrement que Thircis et Philene.
N'allez pas d'un Cyrus nous faire un Artamène (1):
Et que l'amour souvent de remords combattu,
Paroisse une foiblesse et non une vertu (2).

Le style de la tragédie est le style Style de la qui convient aux personnes du premier tragedie. rang. Supposez des monarques, des héros, des ministres, des hommes illustres, qui sont à la tête d'un gouvernement quelconque, parler aussi parfaitement qu'ils peuvent parler; soit lorsqu'ils discutent les intérêts de leur nation ou leurs intérêts particuliers; soit, pour tout dire en un mot, lorsqu'ils sont agités d'une violente passion, excitée par un grand objet, et faites-les parler de même; vous aurez saisi le véritable style de la tragédie. Mais observez que ces personnages n'étant pas supposés être poètes, vous ne devez pas les faire parler en poètes : quoique vous donniez à leur langage le rhythme

(1) Roman de mademoiselle Scudéri. C'est le nom qu'elle donne à Cyrus, ce fameux roi des Perses, dans les voyages qu'elle lui fait entreprendre.

(2) Boileau. Art Poét. ch. 11.

de la poésie, vous ne pouvez pas lui en donner l'enthousiasme et les fougueux transports. Ainsi vous rejeterez les hyperboles, les comparaisons directes, les apostrophes aux êtres insensibles, et toutes ces expressions figurées qui n'appartiennent qu'au nourrisson des Muses, lorsqu'il se montre sans prendre aucun soin de se cacher.

Il faut cependant remarquer qu'il y a des occasions, où ces expressions flgurées, ces apostrophes à des êtres insensibles, loin d'être déplacées dans la tragédie, y font un effet admirable: c'est lorsque la passion ou le sentiment les fait naître. Que Pyrrhus, amoureux d'Andromaque, lui offre de relever les murs de Troie, et d'y couronner son fils; cette princesse, fidèle à la cendre de son époux, peut fort bien lui répondre :

Seigneur,tant de grandeurs ne nous touchent plus guère: Je les lui promettois tant qu'a vécu son père.

et puis s'écrier tout-à-coup

Non, vous n'espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n'a pu conserver mon Hector!

Que le vieil Horace plaide la cause de son fils vainqueur, qui, par le meurtre de sa sœur, se trouve dans un danger de mort; il lui sera sans doute per

mis de dire avec une espèce d'enthousiasme :

Lauriers, sacrés rameaux qu'on veut réduire en poudre,
Vous qui mettez sa tête à couvert de la foudre,
L'abandonnerez-vous à l'infâme couteau,

Qui fait cheoir les méchans sous la main d'un bourreau ?
Romains, souffrirez-vous qu'on vous immole un homme,
Sans qui Rome aujourd'hui cesseroit d'être Rome,
Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom

D'un guerrier, à qui tous doivent un si beau nom?

Il est aisé de sentir que ce n'est point ici le poète qui parle, mais que c'est le personnage même, livré à une passion, à un sentiment qui remplit toute son

ame.

Quant aux métaphores, on sait que bien souvent les plus fortes et les plus vives ne choquent point dans la plus simple conversation. Ainsi l'on ne sera pas surpris qu'Agamemnon dise d'Achille:

Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent?
Achille va combattre et triomphe en courant.

Une règle invariable pour le style tragique, est que les personnages doivent toujours parler avec dignité, mais sans enflure; avec une noblesse qui n'ait rien d'ampoulé, avec une simplicité qui n'ait rien de bas. L'affectation et l'obscurité sont encore deux défauts qui seroient insupportables dans la tragédie. Ne seroit-il pas en effet ridicule d'entendre des héros parler par énig

mes et d'une manière intelligible? II. le seroit peut-être encore davantage de les voir courir après les éclairs de l'esprit, tandis que leurs discours doivent toujours porter l'empreinte de la passion et du sentiment. C'est un principe que le poète ne doit jamais perdre même quand il fait raisonner ses personnages. La passion et le sentiment qui les animent, doivent toujours percer à travers le raisonnement; ou, pour mieux dire, le raisonnemnt doit toujours être tiré du fond de la passion et de la nature du sentiment.

de vue,

Le style tragique a divers tons, diverses nuances, selon le caractère, les passions, la situation des personnages. Il n'est personne qui n'admire dans Phèdre le beau récit de la mort d'Hippolyte c'est un chef-d'oevre de poésie et de peinture. Mais il n'est personne qui n'approuve la remarque faite depuis long-temps, que ce morceau si brillant et si fleuri, n'est pas bien placé dans la bouche d'un personnage accablé de douleur, et qui fond en larmes en faisant ce récit. On sent qu'Horace doit parler d'une manière plus forte et plus élevée que Curiace, parce qu'il y a dans son caractère une grandeur, et même si l'on veut, un peu de férocité, qui n'est pas dans celui de son beaufrère. On sent que Camille, qui a perdu

un amant qui alloit être son époux, peut, dans les premiers transports de sa douleur, s'exprimer avec une véhémence et un emportement qui ne conviendroit point à Sabine, qui n'a perdu qu'un frère. Mais je répéterai encore ici, que quand il s'agit de style, les exemples instruisent mille fois mieux que les préceptes les plus étendus. On ne sauroit en indiquer aux jeunes gens un trop grand nombre, pourvu qu'ils soient bons.

Veut-on connoître le vrai langage des héros tragiques qu'enflamment l'amour de la patrie et une ardeur insatiable pour la gloire? On le trouvera dans celui d'Horace (tragédie de ce nom par Corneille, acte 2o, scène 1ere), lorsque Curiace en le félicitant de ce que Rome l'a nommé avec ses deux frères pour le combat, ne peut s'empêcher de lui témoigner ses craintespour Albe sa patrie. Ön doit voir aussi dans Iphigénie en Aulide par Racine (acte 1er, scène 2°), comment s'exprime Achille brûlant d'aller se signaler sous les remparts de Troie, quoiqu'il sache que les dieux y ont marqué son tombeau.

Pour avoir une juste idée du langage des grands souverains dans la tragédie, voyez sur quel ton Corneille (tragédie de Cinna, acte 5o, scène iere)

« ElőzőTovább »