Oldalképek
PDF
ePub

Le même poète nous fait voir encore dans sa tragédie de Polieucte, jusqu'à quel point on peut agrandir et embellir sur la scène un sujet tiré de l'histoire. Suivant le rapport de Surius, Polieucte, païen, avoit formé depuis long-temps le dessein d'embrasser le christianisme, lorsque l'empereur Decius fit publier un édit très-rigoureux contre les chrétiens. Lié de la plus étroite amitié avec un chrétien nommé Néarque, il lui témoigna le desir qu'il auroit de mourir pour la gloire du vrai Dieu, s'il avoit reçu la grace du baptême. Son ami lui ayant répondu que le martyre pouvoit suppléer à ce sacrement, aussitôt Polieucte, plein d'une sainte ferveur, crache sur l'édit de l'empereur et le déchire. I voit dans le même instant le peuple porter des idoles sur les autels pour les adorer: il les arrache à ceux qui les portoient, les brise et les foule aux pieds. Félix son beau-père, qui avoit ordre de la part de l'empereur de persécuter les chrétiens, tenta d'abord par des prières, des menaces, et ensuite par quelques tourmens, d'ébranler la constance de Polieucte. Mais n'ayant pu en venir à bout, il fit agir auprès de lui sa fille Pauline, qui n'eut pas un meilleur succès. Félix irrité contre son gendre, le condamna à perdre la tête; et cet ar

rêt fut aussitôt exécuté que rendu. Corneille, pour répandre sur ce sujet un intérêt vraiment théâtral, a ajouté à ce martyre le songe de Pauline, l'amour de Sévère, le baptême effectif de Poliencte, le sacrifice pour la victoire de l'empereur, la dignité de Félix qu'il fait gouverneur d'Arménie, la mort de Néarque, et la conversion de Félix et de Pauline.

Nous avons vu ailleurs que la comédie étant le contraste des ridicules, parce qu'elle peint les hommes, l'action y doit être subordonnée aux caractères. La tragédie peignant les actions, est le choc des grandes passions entr'elles ou avec les grandes vertus : on les y voit toujours lutter les unes contre les autres, et combattre avec violence la nature et le devoir. C'est le choc des grands intérêts qui se croisent, et qui divisant les personnages, produisent en eux cette diversité, cette opposition de grands sentimens qui nous attachent autant qu'ils nous étonnent. Ainsi les caractères doivent dans Ja tragédie être subordonnés à l'action. Le premier soin du poète est de la choisir, ensuite de l'arranger. En la développant, il peindra les caractères, et d'autant plus aisément, que ses personnages ne pourront agir les uns contre les autres, sans se montrer tels qu'ils

sont. Le poète comique distribuant son action, dit mes personnages doivent agir de telle manière, parce qu'ils ont tel caractère. Le poète tragique distribuant la sienne, dit : mes personnages doivent avoir tel caractère, parce qu'ils agissent de telle manière.

Ce que j'ai dit dans l'article du poème dramatique, des qualités et de la conduite de l'action, indique assez la manière dont une tragédie doit être construite, et me dispense de m'étendre ici sur ce sujet. Je me contenterai de faire observer qu'il y a deux choses auxquelles il ne faut jamais manquer dans l'exposition: la première, qu'elle soit assez claire, pour que le spectateur saisisse d'un coup d'oeil ce qui fait le véritable sujet de la pièce : la seconde, qu'elle excite beaucoup de curiosité; il faut que la première scène donne la plus grande envie de voir les autres. Dans le noeud, tout doit être action. Ce n'est pas que chaque scène doive présenter un événement; mais chaque scène doit être où un nouvel effort qui fasse marcher l'action vers son termé, ou un nouvel ob. stacle qui l'arrête, et qu'il faille surmonter. De cette manière, il n'y aura aucun vide ni aucune interruption; l'intérêt sera soutenu et toujours plus vif. Le dénouement doit être préparé de loin, sans que pourtant il puisse être prévu. Il faut

gédie de

qu'il soit tiré du fond de l'action, et produit naturellement par les incidens qui le précèdent. Pour tout dire en peu de mots, le premier acte d'une tragédie expose le sujet, et pique la curiosité. Dans le second, l'inquiétude commence. Dans le troisième, elle augmente. Le quatrième excite vivement la terreur et la pitié. Le cinquième les porte à leur comble;il déchire l'ame, il est tout rempli de larmes.

Une de nos meilleures tragédies pour la grandeur de l'action, la vivacité de l'intérêt, le choc des passions, et généralement pour la conduite de l'ouvrage, est l'Iphigénie en Aulide de Racine. Analyse C'est un vrai modèle qu'il est à propos d'une tra- que je mette ici sous les yeux, autant Racine, qu'il est possible de le faire par la voie del'analyse. Les principaux personnages de cette tragédie sont Agamemnon, Ulysse, Achille, Clitemnestre, femme d'Agamemnon, Iphigénie, fille d'Agamemnon, et Eriphile, fille d'Hélène et de Thésée. La scène est en Aulide, petite contrée de Béotie, près de l'ancienne ville et port de Chalcis, capitale de l'ile Eubée, aujourd'hui Negrepont.

Acte 1. La flotte des Grecs qui alloient faire le siége de Troie, ayant été arrêtée par le calme des vents, Agamemnon, suivi de Nestor, de Ménélas et d'Ulysse,

fut consulter l'oracle, qui, par la bouche
du fameux devin Calchas, rendit cette
réponse:

Vous armez contre Troie une puissance vaine,
Si dans un sacrifice auguste et solennel,
Une fille du sang d'Hélène

De Diane en ce lieu n'ensanglante l'antel.
Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
Sacrifiez Iphigénie.

Agamemnon pressé par Ulysse d'obéir à l'oracle; effrayé d'ailleurs par les dieux qu'il voyoit menaçans pendant son sommeil, écrivit à Argos, pour faire venir sa fille, sous prétexte qu'Achille à qui elle avoit été promise, vouloit la revoir et partir son époux. Tel est en substance le récit que, dans la première scène, Agamemnon fait à Arcas des événemens antérieurs à l'action qui va se passer c'est-là la préparation de l'action.

Ce chef des rois de la Grèce ne pouvant étouffer la voix de la nature, qui crie encore plus fortement dans son coeur, à l'approche du jour où Iphigénie doit arriver, charge Arcas d'aller audevant d'elle et de Clitemnestre, à laquelle il écrit de retourner à Argos, parce que Achille a changé de dessein. Voilà l'exposition du sujet voilà le germe de tous les incidens de la pièce.

Cependant le bruit se répand que Clitemnestre et Iphigénie doivent arriver au camp. Achille, qui n'ayant rejoint

E

« ElőzőTovább »