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que le fer l'a délivrée de Seleucus. Notre crainte redouble, lorsqu'on apporte la coupe empoisonnée: elle est à son comble, lorsqu'Antiochus l'approche de ses lèvres.

La situation d'Hippolyte fait naître également la terreur dans notre ame, lorsque Thésée, (scène 2°, acte 4o, tragédie de Phèdre), persuadé, sur le faux rapport de la misérable Œnone, que son fils est coupable, invoque contre lui Neptune qui lui a promis d'exaucer le premier de ses voeux, et l'abandonne à toute la colère de ce dieu redoutable. Nous ne pouvons voir ici sans une grande inquiétude le danger qui menace Hippolyte. Notre crainte n'en devient que plus vive, lorsque Thésée rejetant la justification de ce jeune prince, lui dit d'un ton foudroyant :

Pour la dernière fois, ôte-toi de ma vue.
Sors, traître. N'attends pas qu'un père furieux
Te fasse avec opprobre arracher de ces lieux.

Elle redouble encore, lorsque nous l'entendons dire dans le monologue qui suit:

Misérable, tu cours à ta perte infaillible.
Neptune, par le fleuve aux dieux mêmes terrible,

M'a donné sa parole et va l'exécuter.

Un dien vengeur te suit, tu ne peux l'éviter.

La pitié, suivant Aristote, est une douleur que nous avons des malheurs de

celui que nous jugeons digue d'une meilleure fortune, soit que nous en ayons éprouvé, soit que nous craignions d'en éprouver de semblables. La nature a donné à l'homme un coeur sensible et compatissant: la seule image des misères d'autrui le touche et l'attendrit. Si donc le poète tragique peint vivement par l'expression, ou représente par l'action même, le malheur du personnage pour lequel on s'intéresse, il ne manquera pas d'exciter la pitié dans l'ame du spectateur. C'est ainsi que Racine sait si bien nous attendrir sur le sort du jeune Joas, par la vive peinture du danger où il se trouva, lorsque la cruelle Athalie fit massacrer tous les princes de la race de David. (Voyez la scène 2o, acte 1o, de la tragédie d'Athalie.)

La situation d'Andromaque, dans la tragédie de ce nom du même poète, n'est pas moins attendrissante. Cette veuve d'Hector étoit esclave avec son fils Astyanax à la cour de Pyrrhus, fils du meurtrier de son époux. Les Grecs demandoient à ce prince lejeune Astya nax pour le faire périr. Pyrrhus, qui vouloit épouser Andromaque, piqué des refus de cette princesse, dit dans un transport de colère :

. Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector. ANDROMAQUE, se jetant aux pieds de Pyrrhus. Ab! seigneur, arrêtez! que prétendez-vous faire ?

Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère.
Vos sermens m'ont tautót juré tant d'amitié ;
Dieux! ne pourrois-je au moins toucher votre pitié!
Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée ?

Pyrrhus paroît persister dans sa réso lution. Andromaque tâche de le fléchir par un discours des plus touchans. (Voyez la scène 6o de l'acte 3.) La colère de Pyrrhus s'adoucit, mais sans qu'il renonce à son premier dessein. Il laisse à Andromaque le triste choix de l'épouser, ou de voir périr son fils. Quelle cruelle perplexité pour une mère tendre! (Voyez les scènes 7 et 8 du même acte.)

Le succès d'une tragédie dépend en grande partie de l'art avec lequel la terreur et la pitié y sont excitées, et du degré auquel ces deux passions y sont por tées. Ainsi le poète doit s'attacher à les graduer depuis le commencement de l'action jusqu'à l'entier dénouement. Il faut que le péril où se trouve son héros, et le malheur qu'il éprouve, soient présentés de manière que les incidens qui suivent, rendent ce péril et ce malheur plus terribles et plus attendrissans qu'ils ne l'étoient dans les incidens qui ont précédé, afin que la terreur et la pitié croissent toujours, jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à leur comble. Cela n'empêche pas pourtant, comme je l'ai dit ailleurs, qu'on ne puisse, qu'on ne

doive même entrelacer les situations, de quelques momens de joie et d'espérance, qui soulèvent l'ame, pour la faire retomber avec plus de force.

Il s'ensuit de tout ce que j'ai dit, que Malheurs la tragédie veut nécessairement une ac- propres à la tragétion malheureuse. Mais il ne faut pas die." conclure de là que toute action malheu reuse puisse en être le sujet. Une mort violente, un assassinat peuvent bien sou vent n'être pas tragiques. Ce sont les circonstances qui les rendent tels. Or, comme l'observe Aristote, ces circonstances sont, 1o. celles des personnes qui agissent ou contre lesquelles on agit; 2o. celles des rapports plus ou moins intéressans que ces personnes ont entr'elles.

1o. Les circonstances qui accompagnent une action, sont celles des person. nes qui agissent ou contre lesquelles on agit. Toute action théâtrale est une entreprise, dans laquelle il y a des obstacles à vainere, et où par conséquent plusieurs personnages agissent l'un contre l'autre. Or, le principal, celui pour lequel on s'intéresse, soit qu'il fasse luimême l'entreprise, soit qu'on la fasse contre lui, ne doit pas, lorsqu'il tombe dans l'infortune, être tout-à-fait méchant et tout-à-fait criminel. S'il l'étoit, il ne pourroit exciter ni la terreur ni la pitié. Pourroit-on craindre pour un scélérat menacé de perdre une vie si funeste

aux gens de bien? Pourroit-on être tou ché de pitié, s'attendrir sur un malheur qui ne seroit que la juste punition de ses forfaits? Ce principal personnage, loin d'être intéressant, seroit odieux. Il ne doit pas non plus être tout-à-fait bon et tout-à-fait innocent. Il exciteroit alors moins de pitié pour lui que d'indignation contre celui qui l'opprimeroit : le premier sentiment seroit étouffé par le second, parce que nous serions révoltés de voir la vertu la plus pure, l'innocence la plus éclatante dans l'opprobre et dans l'humiliation.

Il faut donc que ce personnage auquel se rapporte tout l'intérêt, et dont le malheur fait le dénouement de l'action, soit, ou criminel mais un peu vertueux, ou vertueux mais un peu coupable. Il sera criminel; mais il aura commis un crime sans avoir l'habitude du crime : une fureur passagère, l'excès d'une passion bonne en elle-même l'aura conduit à ce crime; et c'est pour cela que le malheur dans lequel il se sera précipité, excitera notre pitié, sans exciter notre haine. Il sera vertueux; mais sa vertu sera mêlée de quelque foiblesse qui l'aura fait tomber dans une faute, soit réelle, soit apparente; et c'est pour cela que le malheur qui en sera la suite funeste, déchirera notre ame, sans la révolter. Hippolyte et Britannicus sont vertueux; mais ils sont

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