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Ce que

saire, lorsqu'ils ne l'ont pas en euxmêmes? Le voici. Le poète rassemble les plus beaux traits de la même espèce, qu'il voit épars dans la nature, et qui peuvent former un tout parfait en son genre. La réflexion que fait Cicéron dans son livre de l'Orateur, au chapitre de l'Invention, va nous servir à développer ce principe important. Lorsque le célèbre peintre Zeuxis voulut peindre une beauté parfaite, il pensa bien qu'il ne pourroit pas en trouver un modèle existant dans la nature. Que fit-il? Il observa les plus beaux traits dans différentes belles personnes, les rassembla, en forma un tout, et parvint à montrer sur la toile une beauté dans sa plus grande perfection.

Il est aisé de concevoir que le poète fait le poè emploie les mêmes moyens avec le même te pour succès. Molière voulant tracer le vrai

inventer.

caractère de l'avare, n'en chercha point un parfait modèle dans la société, c'està-dire, qu'il ne s'appliqua point à y découvrir un homme qui eût fait tout ce que fait ou peut faire un avare. Mais il observa attentivement différens avares; il saisit les plus grands traits d'avarice qu'ils avoient faits; il y ajouta, d'après la connoissance profonde qu'il avoit du coeur humain, d'autres traits qu'il imagina qu'un avare est capable de faire : il réunit tous ces traits, les attribua à son

personnage, et, par-là, vint à bout d'en composer un caractère parfait dans son genre.

Ainsi, le poète veut-il, par exemple, chanter un héros qui a terminé une glorieuse entreprise? Il lui donnera toutes les vertus des grands hommes ; et ces vertus seront portées au plus haut degré de perfection, où elles puissent se montrer dans l'homme même. Il mêlera, s'il veut, à ces vertus, quelques foiblesses, dont les plus grands hommes ne sont point exempts. Ces foiblesses ne rendront son héros que plus intéressant, parce qu'elles le rapprocheront de nous; parce qu'elles nous le représenteront sujet comme nous, à la fragilité de la nature humaine. De plus, il fera naître sous ses pas tous les obstacles, tous les périls, toutes les traverses, tous les malheurs qu'on peut raisonnablement imaginer. Mais il lui donnera en même temps, ou le courage, ou la force, ou l'adresse, ou la patience nécessaires pour les surmonter. Enfin, il fera faire à son héros toutes les belles actions, par lesquelles les plus grands hommes pourroient se signaler dans une pareille entreprise, et il le conduira de cette manière jusqu'à l'entier achèvement de l'action principale.

En un mot, quelque sujet que traite le poète; dans quelque situation qu'il se trouve, il doit agir et parler, faire agir

et faire parler ses personnages aussi régulièrement, aussi parfaitement qu'on peut agir et parler dans une pareille circonstance. Actions, sentimens, images, tout doit être tiré du sein de la belle nature. Si ce sont des actions, il faut que dans leur espèce, elles soient aussi belles qu'on puisse l'imaginer, et qu'on ait quelque raison de croire qu'elles ont été ou qu'elles ont pu être réellement faites. Si ce sont des sentimens, il faut que dans leur espèce, ils soient aussi beaux qu'on puisse l'imaginer, et que l'on ait quelque raison de croire qu'un homme en auroit ou pourroit en avoir de pareils dans une semblable circonstance. Si ce sont des images, il faut que, dans leur espèce, elles soient aussi belles qu'on puisse l'imaginer, et qu'on ait quelque raison de croire que les objets dont elles sont les copies exactes, existent ou peuvent exister.

Mais si le poète fait faire à son héros des choses impossibles à l'homme; s'il lui donne des sentimens infiniment audessus de l'ètre le plus grand de son espèce; s'il présente l'image d'un objet que notre esprit ne peut en aucune manière supposer existant, ou capable de recevoir l'existence, alors on s'écriera: Ce n'est point dans la nature; on ne reconnoit point là la nature. De même, s'il fait faire à son héros des actions ignobles

ignobles et basses, sous prétexte que tous les hommes peuvent en faire de pareilles; s'il représente un objet avec toutes ses imperfections, avec tous ses défauts, sous prétexte que cet objet existe réellement, alors on s'écriera: Ce n'est point dans la belle nature; ce n'est point là la belle nature.

Ainsi le poète qui voudra, par exemple, mettre sous nos yeux un sauvage, nous le représentera non comme un homme civilisé, ce ne seroit point dans la nature; mais comme un homme parfait d'entre les sauvages, avec leurs mœurs, leurs passions, leurs vertus : ce sera alors dans la nature et dans la belle nature.

Voilà en quoi consiste l'art de l'imiter cette belle nature voilà ce qu'on doit entendre en poésie et dans les autres arts par inventer. L'homme, à proprement parler, ne peut point créer: là fiction la plus brillante, la plus riche et la plus vaste, n'offre rien qui n'existe dans la nature. Qu'on suppose une action accompagnée des plus favorables circonstances qui puissent la relever; un homme vertueux parfait dans son genre; un scélérat qui le soit aussi dans le sien: on verra que ces diverses circonstances, ces différentes vertus, ces différens vices existent, ou peuvent exister; qu'ils existent, parce qu'on en trouve des exemples dans

les temps passés, ou dans le siècle présent; qu'ils peuvent exister, parce qu'ils ne choquent nullement notre raison, et que bien plus, nous avons quelque sujet de croire à leur existence réelle. Un homme n'a jamais remarqué aucun avare qui, dans sa maison, au milieu d'un cercle nombreux, voyant deux chandelles allumées, en souffle une. Il voit l'avare de Molière souffler cette chandelle; en est-il révolté? Non sans doute, parce qu'il conçoit qu'un homme vraiment avare est capable de faire une pareille action. Un homme ignore entièrement qu'un souverain, non content de pardonner à un sujet qui vouloit lui arracher le trône et la vie, a redoublé ses bienfaits à son égard, et l'a accablé de biens: il voit dans Corneille, Auguste tenir cette conduite envers Cinna; en est-il révolté? Non sans doute, parce qu'il conçoit qu'un monarque vraiment généreux peut porter jusques-là sa clémence.

Il est aisé de juger que ce que je viens de dire des circonstances d'une action, et des différens traits qui composent un caractère, doit s'appliquer à un tableau, à un édifice, à un monument présentés dans toute la beauté, dans toute la perfection imaginable. Les différentes figures de ce tableau, leurs attitudes leur expression, leur coloris, les diffé

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