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Dans la tragédie de Cinna par Corneille, l'action n'est pas préparée, parce qu'elle n'avoit pas besoin de l'être ; ce qui arrive assez souvent.

Je l'ai juré, Fulvie, et je le jure encore:
Quoique j'aime Cinna, quoique mon cœur l'adore,
S'il veut me posséder, Auguste doit périr;
Sa tête est le seul prix dont il peut m'acquérir.

Voilà le sujet exposé. C'est Emilie qui vient de parler: elle étoit fille de Toranius, tuteur d'Auguste, qui l'avoit lui même proscrit durant le triumvirat.

Cinna, chef de la conjuration, dit à Emilie que tous les conjurés, animés par le long récit qu'il leur a fait des proscriptions d'Auguste, ont renouvelé leur serment d'être fidèles, et qu'on doit le poignarder pendant le sacrifice. L'empereur mande Cinna et Maxime, autre chef de la conjuration. Un ordre si prompt fait craindre d'abord aux deux amans que tout ne soit découvert. Mais Cinna persuadé qu'ils s'allarment imprudemment, résolu d'ailleurs à braver, s'il le faut, les plus affreux supplices, se rend auprès d'Auguste. Voilà le noeud commencé. Il s'agit de savoir si Auguste périra, ou si Cinna échouera dans son entreprise.

Octave délibère avec Cinna et Maxime s'il quittera l'empire, se résout par les conseils de Cinna lui-même à le gar

der, etlui donne Emilie pour épouse. Mal gré cette confiance et ce nouveau bienfait de la part d'Auguste, le chef des conjurés persiste à vouloir le faire périr. Voilà le noeud formé.

Cina a confié à Maxime son amour pour Emilie, et le secret motif qui le fait agir. Maxime qui l'aime aussi, est désespéré de voir qu'il sert lui-même son rival. Euphorbe, affanchi de Maxime, lui conseille de découvrir la conjuration à l'Empereur, dont il obtiendra par ce moyen la main d'Emilie. Cependant Cinua voyant approcher le moment de l'exécution de l'entreprise, éprouve des remords. Il ne peut se résoudre à assassiner Auguste qui lui a dit :

Cinna, par vos conseils je retiendrai l'empire;
Mais je le retiendrai pour vous en faire part.

Emilie qui l'asservit, le ramène à la conjuration. Il y court en furieux, déterminé à s'immoler lui-même après avoir poignardé Octave. Voilà le noeud serré.

Euphorbe a tout découvert à Auguste de la part de Maxime, qui feint d'être touché d'un juste repentir. L'empereur est irrésolu sur ce qu'il doit faire. Punira-t-il les conjurés? leur fera-t-il grace? Emilieapprend qu'Auguste a mandé Cinna, et qu'Evandre son affranchi a été arrêté ainsi qu'Euphorbe. Maxime vient

lui dire de plus que la conjuration est découverte,qu'on va l'arrêter elle-même par ordre d'Octave, et veut l'engager à prendre la fuite avec lui. Mais il n'en reçoit que des réponses pleines de fierté et de mépris. Maxime désespéré veut laver sa honte et son forfait dans le sang d'Euphorbe qui lui a donné ces lâches conseils. Voilà le noeud qui se serre encore davantage.

Auguste après avoir rappelé à Cinna tous les bienfaits dont il l'a comblé, lui dit qu'il est instruit qu'il veut l'assassiner. Cinna d'abord interdit, reprend bientôt son audace et brave l'empereur. Emilie qui vient elle-même s'accuser en fait autant, lorsque Maxime qu'Auguste croyoit seul fidèle, vient déclarer aussi son crime, et son lâche artifice pour posséder Emilie. Voilà le noeud aussi serré qu'il puisse l'être et qui va se dé

noner.

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Auguste choqué de l'audace d'Emilie et de Cinna, paroît résolu à ordonner leur supplice. Mais s'élevant tout à-coup au-dessus de lui-même, il pardonne à Cinna à qui il donne Emilie, il pardonne à Maxime à qui il laisse sa place; et tous les conjurés doivent entendre publier qu'il a tout appris et veut tout oublier. Voilà le dénouement.

Mœurs ou

res des

III.

Des Personnages Dramatiques.

Les personnages ou acteurs dans un ouvrage dramatique, sont le principal objet qui fixe l'attention du spectateur. Il n'a, pour ainsi dire, d'ame que pour sentir leur bonheur ou leurs peines : elle s'identifie en quelque sorte avec la leur. Il est donc de la plus grande importance que le poète en les faisant agir, apporte tous ses soins à les représenter tels qu'ils doivent être. Il y en a un qui est toujours dominant, et pour lequel les autres paroissent sur la scène : c'est celui qui forme l'entreprise, ou qui en est l'objet. J'ai déjà dit que l'intérêt principal doit rouler sur lui. Il faut par conséquent qu'il soit peint avec de plus fortes couleurs que les autres. C'est ce qu'on voit dans toutes les bonnes pièces de théâtre, soit des anciens, soit des modernes.

Le poète ne peut bien faire connoître caractè- et bien représenter ses personnages que personna par les mœurs ou caractères (car on ges dra- peut confondre ici ces deux choses matiques. Ces mœurs ou caractères sont les incli

nations, les habitudes bonnes ou mauvaises des hommes. Elles sont générales ou particulières. Les moeurs générales sont les mœurs des différentes nations,

des

des Grecs, des Romains, celles d'un peuple civilisé, celles d'un peuple barbare. Dans ces moeurs générales sont aussi comprises les moeurs des différens âges et des différentes conditions. On peut relire le morceau d'Aristote que j'ai cité sur ce sujet dans la Rhétorique française. Je ne ferai qu'ajouter ici la description que Boileau a faite, après Horace, des trois âges de l'homme.

Un jeune homme toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l'impression des vices;
Est vain dans ses discours, volage en ses desirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.
L'âge viril plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s'intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent, regarde l'avenir.

La vieillesse chagrine, incessamment amasse ;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu'elle entasse ;
Marche en tous ses desseins d'un pas lent et glacé,
Toujours plaint le présent, et vante le passé;
Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,
Blåne en eux les douceurs que l'âge lui refuse (1).

Les moeurs particulières sont le caractère distinctif de chaque personnage, soit historique, soit inventé. Il faut que le même personnage ait les mœurs de sa nation, de sa patrie; par conséquent qu'un héros de la Grèce ne soit point représenté sous les mêmes traits qu'un citoyen de Rome, un Athénien sous les mêmes qu'un Spartiate, un Espagnol

(1) Art Poét. ch. III.

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