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Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue

Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ;

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ;

Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ô mon Dieu !

Dans vos cieux, au delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues

Où la douleur de l'homme entre comme élément.

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants

S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences

Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

Je vous supplie, ô Dieu, de regarder mon âme,
Et de considérer

Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme
Je viens vous adorer!

Considérez encore que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté ;

Que j'avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,

Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !

Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,

Que j'ai pu blasphemer,

Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !

Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler,

Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
Dans les afflictions,

Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations!

Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts,
Je me sens éclairé dans ma douleur amère

Par un meilleur regard jeté sur l'univers.

Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire
S'il ose murmurer;

Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer !

Hélas! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,

Comme si, dans sa nuit, rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m'écoutait !

Hélas! vers le passé tournant un œil d'envie,
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vu ouvrir son aile et s'envoler.

Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure,
L'instant, pleurs superflus!

Où je criai: L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc ! je ne l'ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
O mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,

Il nous est malaisé de retirer notre âme

De ces grandes douleurs.

Voyez-vous ! nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,

Si beau qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison;
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste

Considérez

De tout ce qu'on rêva,

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ELLE était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus parmi les joncs penchants;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,

Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême

Qui reste à la beauté quand nous en triomphons, Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime, Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive,

Elle me regarda pour la seconde fois,

Et la belle folâtre alors devint pensive...

Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l'eau caressait doucement le rivage !...
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux et riant au travers.

J'ai cueilli cette fleur...

J'AI cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline,
Que l'aigle connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L'ombre baignait les flancs du morne promontoire ;
Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
A l'endroit où s'était englouti le soleil,

La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s'enfuyaient, au loin diminuées ;
Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée ;
Elle est pâle et n'a pas de corolle embaumée,
Sa racine n'a pris sur la crête des monts
Que l'amère senteur des glauques goémons;
Moi j'ai dit : Pauvre fleur, du haut de cette cime,
Tu devais t'en aller dans cet immense abîme
Où l'algue et le nuage et les voiles s'en vont,
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
Le ciel, qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde,
Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour.
Le vent mêlait les flots; il ne restait du jour
Qu'une vague lueur, lentement effacée,

Oh ! comme j'étais triste au fond de ma pensée,
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir
M'entrait dans l'âme avec tous les frissons du soir !

LES FLEURS DU MAL

L'Ennemi.

MA jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,

Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux,
Pour rassembler à neuf les terres inondées

Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

O douleur ! ô douleur ! Le temps mange la vie,
Et l'obscur ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie!

(1) BAUDELAIRE (Charles), né et mort à Paris (1821-1867). Esprit rare et curieux, traducteur fidèle d'Edgar Poe, Baudelaire était à peine connu par quelques articles de fine et incisive critique lorsque les Fleurs du mal lui conquirent du coup, et au premier rang, une place à part parmi les poètes. En effet, c'était bien là le frisson nouveau » dont parlait Victor Hugo, quelque chose d'inconnu jusque alors dans la poésie. Le volume fit scandale à son apparition, et valut même à son auteur des poursuites judiciaires. On y admire la forme savante, non moins concentrée que la pensée, et tout à coup, au milieu d'une étrangeté maladive, fouillée à dessein, des pièces

d'une grâce et d'une mélancolie exquises, trempées de chaude lumière, et toutes chargées de la langueur des parfums exotiques.

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