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pervertie opprime ou délaisse, est venu rétablir ici-bas le règne de Dieu, en rétablissant la fraternité parmi ses enfants investis des mêmes droits, soumis aux mêmes devoirs.

Aucune philosophie, aucune religion n'eut, avant le christianisme, aussi visiblement pour objet de reconstituer le genre humain dans l'unité, ni par conséquent ne connut comme lui cette souveraine loi de notre nature. L'unité, c'est l'ordre parfait, la paix, la puissance à son plus haut terme, la plénitude des biens et de la vie. Le christianisme donna pour base à ce grand édifice, que les siècles devaient progressivement élever, l'égalité non moins méconnue des hommes entre eux; et, en effet, quelle unité pourrait-on concevoir entre des êtres originairement et naturellement inégaux? Mais de l'égalité découle la liberté ou l'indépendance réciproque, en ce sens que nul ne possède le droit natif et intrinsèque de commander à aucun autre; car ce droit impliquerait une supériorité de nature. Sans égalité donc point d'unité, sans liberté point d'égalité; mais point de liberté non plus sans des devoirs mutuels volontairement accomplis, c'està-dire, accomplis par la volonté se portant d'ellemème et sans contrainte à tout ce qui produit l'union entre les êtres égaux autrement chacun n'aurait d'autre règle que son intérêt, sa passion; et du conflit de tant de passions, de tant d'intérêts opposés, naîtraient aussitôt, avec la guerre, la servitude et la tyrannie. Or, l'obéissance libre au devoir est une obéissance d'amour; et, lorsque l'amour s'affaiblit, la liberté décline en même proportion. A la place de l'union volontaire et morale dont il est le principe, la force, loi des brutes, opère une union purement matérielle. Le christianisme donc, pour atteindre sa fin, dut inculquer par-dessus tout le précepte de l'amour, et ce précepte le résume complétement. Détruire sur la terre le règne de la force, y substituer le règne de la justice et de la charité, et réaliser ainsi entre les membres de la grande famille humaine, individus et peuples, l'unité dans laquelle chacun, vivant de la vie de tous, participe au bien-être commun, sous les conditions les plus favorables au développement de ce bien-être même; telle est la tendance évangélique, en opposition manifeste avec les maximes qui ont régi le monde dans le passé et le régissent encore aujourd'hui. Soutenir ces maximes en pratique ou en théorie, chercher à perpétuer leur funeste influence, à établir l'ordre sur la force, au lieu de l'établir sur l'amour, sur l'égalité, sur la liberté, c'est donc combattre le christianisme; et le combattre bien vainement, car quelle puissance pourrait prévaloir contre les lois essentielles de l'homme? Ceux que d'exécrables passions pousseraient à cette tentative in

TOME 11.

sensée, qui, à quelque titre que ce fût, satellites des pouvoirs injustes, se rendraient l'instrument de leurs iniquités, les défenseurs de leurs prétentions insolentes, énormes, de leurs systèmes impies d'éternelle oppression; qui, continuant de diviser les enfants du même père en deux classes ennemies, l'une de quelques privilégiés, l'autre du peuple, diraient aux privilégiés: A vous la domination, les jouissances, l'oisiveté, les richesses; au peuple : A toi l'obéissance, le travail, la misère, et la faim et la soif: ceux-là, mis au ban de l'humanité, seraient tôt ou tard balayés de la terre, comme une race maudite en guerre avec Dieu et avec l'ordre voulu de Dieu

Soit qu'on regarde au dehors, soit qu'on rentre en son âme, pour y interroger cet instinct mystérieux de l'avenir inhérent à chaque créature, tout nous avertit qu'une grande transformation se prépare. La vie, retirée au fond des choses, y palpite avec énergie l'enveloppe dont elle était revêtue s'est desséchée sous l'haleine du temps. Un double travail de destruction et de régénération, mais celle-ci peu apparente encore pour qui ne pénètre pas au-dessous des surfaces, s'accomplit dans la société. Elle rejette ses vieilles institutions, mortes désormais; elle rejette les idées qui les animèrent, avant que la raison se fût élevée à une notion plus étendue, plus exacte et plus pure du droit. Des sentiments nouveaux, de nouvelles pensées annoncent une ère nouvelle. Les voix qui partent des ruines du passé, apportent à l'oreille des jeunes générations des sons étranges qui les étonnent, des paroles vides qu'elles ne comprennent point. Pleines d'ardeur et de confiance, elles marchent vers le point du ciel où la lumière leur est apparue, laissant derrière elles les larves de tout ce qui n'est plus se traîner et gémir dans la nuit. Rétrograder ou s'arrêter, le voulussent-elles, elles ne le pourraient pas. Une irrésistible puissance les force d'avancer toujours. Qu'importent les périls, les fatigues de la route? Elles disent comme les croisés: Dieu le veut! Le génie aussi prophétise. Du haut de la montagne, il a découvert la terre lointaine où le peuple se reposera au sortir du désert; et nos neveux, un jour en possession de cette terre heureuse, se rediront d'âge en åge le nom de celui dont la voix encouragea leurs pères dans le voyage.

« La société telle qu'elle est aujourd'hui n'exi«stera pas à mesure que l'instruction descend «dans les classes inférieures, celles-ci découvrent << la plaie secrète qui ronge l'ordre social depuis le « commencement du monde ; plaie qui est la cause « de tous les malaises et de toutes les agitations populaires. La trop grande inégalité des condi«tions et des fortunes a pu se supporter tant 71

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qu'elle a été cachée d'un côté par l'ignorance, de «<l'autre par l'organisation factice de la cité; mais, « aussitôt que cette inégalité est généralement << aperçue, le coup mortel est porté.

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<< Recomposez, si vous le pouvez, les fictions « aristocratiques; essayez de persuader au pauvre, << quand il saura lire, au pauvre à qui la parole est portée chaque jour par la presse, de ville en ville, de village en village; essayez de persuader « à ce pauvre, possédant les mêmes lumières et la « même intelligence que vous, qu'il doit se sou« mettre à toutes les privations, tandis que tel « homme, son voisin, a, sans travail, mille fois le << superflu de la vie; vos efforts seront inutiles: ne « demandez point à la foule des vertus au delà de ❝ la nature.

« Le développement matériel de la société ac«< croîtra le développement des esprits. Lorsque la << vapeur sera perfectionnée; lorsque, unie au « télégraphe et aux chemins de fer, elle aura fait << disparaître les distances, ce ne seront pas seule<<ment les marchandises qui voyageront d'un bout « du globe à l'autre avec la rapidité de l'éclair, << mais encore les idées. Quand les barrières fiscales << et commerciales auront été abolies entre les di<< vers États, comme elles le sont déjà entre les

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« provinces d'un même État ; quand le salaire, qui n'est que l'esclavage prolongé, se sera émancipé à l'aide de l'égalité établie entre le producteur << et le consommateur; quand les divers pays, pre<<nant les mœurs les uns des autres, abandonnant «<les préjugés nationaux, les vieilles idées de supré«matie ou de conquête, tendront à l'unité des

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peuples; par quel moyen ferez-vous rétrograder « la société vers des principes épuisés ? Bonaparte «<lui-même ne l'a pu : l'égalité et la liberté, aux« quelles il opposa la barre inflexible de son génie, << ont repris leur cours et emportent ses œuvres; « le monde de force qu'il créa s'évanouit; sa race <«< mème a disparu avec son fils. La lumière qu'il fit « n'était qu'un météore....

« Un avenir sera, un avenir puissant, libre, dans «toute la plénitude de l'égalité évangélique; mais << il est loin encore, loin, au delà de tout horizon visible: on n'y parviendra que par cette espérance «infatigable, incorruptible au malheur, dont les << ailes croissent et grandissent à mesure que tout << semble la tromper; par cette espérance plus forte, << plus longue que le temps, et que le chrétien seul " possède (1). >>

(1) M. de Châteaubriand, Essai sur la littérature anglaise, t. II, P. 391 et suiv.

DES

MAUX DE L'ÉGLISE ET DE LA SOCIÉTÉ,

ET

DES MOYENS D'Y REMÉDIER.

Instaurare omnia in Christo. Ephes., I, 10.

CHAPITRE PREMIER.

Introduction.

libre

Bien que le peuple d'Israël, conduit par une main toute-puissante, eût des promesses certaines de durée, il n'en éprouva pas moins des vicissitudes nombreuses; tour à tour glorieux, humilié, sous le ciel de la patrie, captif sur des rives étrangères, selon qu'il demeurait fidèle à sa loi, ou qu'un esprit d'erreur l'emportait en des voies trompeuses. Car, ainsi qu'en tous les enfants d'Adam, un principe de désordre luttait sans cesse, au sein de ce peuple, contre le principe de vie. Ses grandes destinées lui pesaient. Des hauteurs où Dieu l'avait élevé, pour indiquer au genre humain la route de l'avenir, il abaissait ses regards sur la plaine, impatient de se mêler à la foule qui se remuait là, ivre d'une joie malade. Séduit par la religion des sens, par l'éclat et l'attrait d'une société brillante comme le soleil d'Orient, voluptueuse comme la nature qu'il féconde; séduit par la servitude mème, il descendait : et aussitôt l'invisible vertu qui émanait du Saint des Saints pour conserver la nation choisie, semblait y rentrer momentanément. Les Chérubins repliaient leurs ailes sur l'arche sacrée. La nuit se faisait; et, dans cette nuit, je ne sais quelle lueur funèbre montrait à l'horizon le fantôme de la mort. Et, à ces époques lamentables, d'où partaient les premiers exemples de la prévarication? Qui donnait le signal

sans

de la révolte contre Jéhovah, et provoquait les calamités dont le récit, après tant de siècles, nous épouvante encore? Les rois et leurs flatteurs, les grands, les prètres mêmes. La corruption rampait du trône à l'autel, et de l'autel au tròne. Des pontifes, zèle et sans foi, ouvraient aux passions les portes du sanctuaire. Les cérémonies du culte antique, devenues un vain spectacle, voilaient mal l'ambition, le luxe, l'avarice, seules divinités que désormais on y adorât; et, quand le crime des uns, l'indifférence des autres, avaient placé l'État et la religion. qui lui servait de base sur le bord de l'abîme, une politique stupide, impie, achevait de les y précipiter. Toutefois, ni les avertissements, ni les conseils, les prophéties, ne manquaient au peuple qui se perdait. La douleur et l'indignation soulevaient de fortes poitrines, et du fond du désert, dernier asile de la conscience en ces temps de bassesse et d'aveuglement, des voix tonnantes jetaient la menace au milieu de Jérusalem.

Semblable en cela au peuple de Dieu qui en était le type, l'Église aussi a traversé bien des jours mauvais, a subi bien des épreuves depuis son origine. Persécutée au dehors par les puissances mondaines, elle a été travaillée au dedans par les hérésies, les schismes, nécessaires, dit saint Paul (1); par les désordres de ses ministres, ou leur insouciante langueur. Il y eut des époques désolantes où l'on aurait cru qu'elle allait périr, tant les attaques dirigées contre elle étaient violentes et multipliées, (1) I Corinth, XI, 19.

ou tant elle paraissait épuisée en elle-même. Car la force infinie qui la soutient est invisible, tandis que l'élément humain qui combat cette force divine frappe incessamment tous les yeux. Ainsi, lorsque le marteau des rois tombait de son énorme poids sur l'édifice sacré, on voyait ce qui brise, on ne voyait pas ce qui résiste, ou ce je ne sais quoi de plus secret encore qui répare. Lorsque l'erreur amoncelait ses nuages, on voyait les ténèbres s'épaissir, on ne voyait pas les rayons de la vérité indéfectible qui, d'en haut, pénétraient ces nuages et peu à peu les dissipaient. Lorsque, dans la chrétienté presque entière, tous les vices recouvraient le sacerdoce comme un vêtement, on voyait cette enveloppe impure, on ne voyait pas l'énergie interne qui bientôt allait la rejeter, on ne voyait pas l'amour, l'amour indestructible qui préparait intérieurement de nouveaux prodiges de vertu, de foi, de zèle et de sacrifice. Il en sera de même jusqu'à la fin. Jusqu'à la fin l'Église offrira ce mélange de la misère de l'homme et de la puissance de Dieu. Infirme dans sa patrie terrestre, elle paraîtra près de se dissoudre, à certains moments de sa durée. On dira: Son terme est venu, la voilà qui penche vers la tombe; et l'on ne se trompera pas tout à fait, car quelque chose qui est en elle, mais qui n'est pas elle, devra mourir effectivement. Ce sera, tantôt ce que le cours des choses et des passions humaines y aura établi d'étranger et souvent même de contraire à sa nature, tantôt ce qui, passager en soi, aura vieilli avec les âges des formes usées, des institutions qui, ne tenant pas à son essence, varient selon les temps, l'état de la société et ses besoins divers. Mais, après avoir abandonné cette dépouille décrépite, et livré ce qui est de l'homme à la destinée de l'homme, on la verra, relevant la tète, sourire aux peuples rassurés et marcher devant eux, avec une vigueur nouvelle, vers le but assigné par le Créateur à l'humanité rachetée par son Fils.

Toutefois, et quoique Dieu seul, présent à son Église, soit le principe vivant, l'efficace énergie qui la conserve et la développe, il est dans l'ordre voulu de lui qu'à l'action des causes qui tendent à la détruire ou à l'altérer, on oppose une action réparatrice, afin que la créature libre concoure, selon les lois de l'ordre, au salut universel et à sa propre régénération. Aussi ce devoir, imposé à tous, a-t-il été constamment rempli, au moins par quelquesuns, aux époques même des plus grandes ténèbres et de l'affaiblissement le plus général. Car la grâce ne tarit jamais, et jamais non plus Dieu ne laisse l'erreur sans avertissement, ni la prévarication |

(1) Sainte Hildegarde.

(2) Et tulit me Dominus cùm sequerer gregem, et dixit Dominus ad me: Vade, propheta, ad populum meum Israel Amos., VII, 15.

sans menace. Dans les plus sombres jours de l'Église, toujours il part, de quelque point de l'horizon, des jets de lumière suffisants pour éclairer ceux qui n'ont pas résolu de se perdre. Toujours on entend des voix qui redisent sur la terre ce qui de toute éternité a été dit dans le ciel. Si la discipline se relâche, si les mœurs se corrompent, et qu'oubliant les réalités immortelles, ceux à qui le Christ a montré au delà du sépulcre les biens véritables, s'égarent dans les rêves d'ici-bas, aussitôt Dieu suscite de saints réformateurs, des hommes animés de son esprit, puissants en œuvres et en parole, et la face du monde est renouvelée, et la ferveur renaît, et les âmes haletantes d'un désir céleste recommencent à aspirer vers leur vraie fin. Ce sera quelquefois un chrétien obscur, un pauvre moine, une simple femme (1), qu'il chargera d'instruire les rois ou de réveiller les pasteurs endormis. Il ira prendre sur la montagne un påtre grossier et il lui dira: «Va, et prophétise à Israël mon peuple (2). » Surtout s'il veut faire quelque chose de grand, opérer l'un de ces mouvements profonds qui laissent d'éternelles traces dans la société, il ne choisira point d'ordinaire un homme armé de puissance ou revêtu d'autorité; mais, dans quelque grotte solitaire, tout à coup son esprit saisira un humble ermite, sans nom, sans lettres, sans autre force que celle qui lui vient d'en haut ; et, à la parole de cet envoyé que nul ne connaît, soudain les peuples s'agiteront; on entendra un bruit comme d'armées qui se choquent, de royaumes qui tombent; et, dans les âges qui suivront, on racontera comment l'Europe, s'arrachant de ses fondements, se précipita sur l'Asie, pour sauver la foi et la civilisation chrétienne.

Il arrivera aussi que des abus profondément enracinés, et dont on aura vainement demandé la réforme, appelleront un autre genre d'intervention de la Providence. Alors, dans son courroux miséricordieux, le Dieu des vengeances sifflera, et des extrémités de la terre accourra celui qu'il a chargé d'exercer ses châtiments (3); ou bien il déchaînera pour un temps l'esprit de révolte, il commandera à la tempête de souffler, à la mer de soulever ses flots, et ils passeront et repasseront (4) sur les temples souillés, emportant pêle-mêle avec leurs débris les indignes ministres qui les profanaient, et les balayant comme l'algue. Tout cela est clémence, tout cela est bonté. Il fallut que l'Océan épuisât ses abimes pour purifier la terre aux jours de Noé, et prévenir la perte totale et irrémédiable de la race humaine.

(3) Et sibilabit ad eum de finibus terræ, et ecce festinus velociter veuiet. Is., V, 26.

(4) Flagellum inundans. Ib., XXVIII, 15.

D'autres fois il se formera comme une sorte d'opinion commune qui, croissant peu à peu, se trouvera partout répandue, sans qu'on puisse ni en démêler l'origine, ni en suivre les progrès. L'instinct d'une réformation indispensable, d'un changement qui se prépare, d'un développement, d'une révolution, se manifestera de mille manières, de sorte que chacun sera dans l'attente, et qu'en voyant le soleil se lever, on se demandera s'il doit éclairer jusqu'au soir ce qu'il avait éclairé la veille. C'est encore là, et plus que tout le reste, un de ces avertissements que Dieu donne à ceux à qui il a confié le gouvernement, soit des choses divines, soit des choses humaines. Ces époques sont fréquentes dans l'histoire des empires, et il s'en est rencontré aussi dans l'histoire de l'Église. La racine du pou

voir semble alors desséchée mais avec cette différence que celle de l'Église reverdit toujours et bientôt, tandis que les autres meurent pour jamais. En ces circonstances, ou le chef de la société chrétienne, attentif à ces graves symptômes, fait ce qui doit être fait, opère lui-même les changements inévitables, ou Dieu, par de grandes catastrophes, accomplit ce que le temps a rendu nécessaire. Car tous les maux qui désolent le monde, tous les désordres qui signalent certaines ères de transition, ont pour cause principale les opiniâtres résistances opposées à la loi de progrès qui régit le genre humain, et particulièrement la société, dans laquelle le Christ a déposé le germe d'une perfection sans bornes assignables.

Or, que nous vivions aujourd'hui à l'une de ces époques où tout tend à se renouveler, à passer d'un état à un autre état, c'est ce que nul, on peut le dire, n'oserait révoquer en doute. Jamais il n'exista de pressentiment plus vif, de conviction plus universelle seulement les uns s'effraient et les autres espèrent, parce que, selon qu'ils sont tournés vers l'avenir ou vers le passé, ils voient la vie, ou ils voient la mort. Mais, je le répète, tous croient à un changement profond, à une révolution totale prète à s'opérer dans le monde. Donc elle s'accomplira. En vain l'on voudrait retenir ce qui fuit, remonter le cours du temps, ou se fixer dans le chaos de la société actuelle, il est impossible. Il y a ici, dans le fond des choses, une nécessité souveraine, fatale, irrévocable, supérieure à toute puissance. Qu'est-ce que ces petits bras tendus pour rejeter en arrière le genre humain, et que ferontils? Une force irrésistible pousse les peuples: quoi qu'on fasse, ils iront là où ils doivent aller ; nul ne les arrêtera sur la route des siècles, car c'est sur cette route que, de proche en proche, et en avancant toujours, l'homme se prépare pour l'éternité.

I importe surtout à l'Église de ne pas s'y mé

prendre et de reconnaître de bonne heure la place qu'il lui convient d'occuper dans l'ordre nouveau, la place que lui a marquée cette providence qui veille perpétuellement sur ses destinées. Ceux qu'elle a chargés de la conduire ont, de nos jours, une mission dont la grandeur doit les pénétrer, je ne dirai pas d'étonnement, mais d'épouvante : car qui pourrait calculer les suites d'une faute commise, d'une erreur même involontaire, au moment décisif où tout un monde ébranlé cherche son équilibre, et s'agite convulsivement pour trouver sa voie à travers l'espace ténébreux? C'est à l'Église, à l'Église seule, qu'il appartient de la lui montrer : mais il faut pour cela qu'elle le précède, il faut qu'elle marche, il faut que ses propres guides sondent d'un œil sur l'avenir immense qui s'ouvre devant eux, pour s'orienter, en quelque sorte, au milieu des écueils, sur l'éternel pôle de la vie. Telle est la tâche qui leur est confiée. Ils ne l'accompliront pas sans doute avec les seules lumières de l'homme : car qu'est-ce que l'homme sait, et que voit-il? Il leur viendra un autre secours un rayon d'en haut les éclairera: les promesses nous en assurent. Sous le nouveau ciel où le cours des âges emporte l'arche sainte, apparaitront à leurs regards de nouvelles constellations. Mais encore est-il nécessaire qu'ils observent attentivement tous les signes qui peuvent servir à leur faire discerner la route qu'ils doivent suivre : autrement que seraient-ils, sinon des aveugles qui conduisent des aveugles (1)? Les pressentiments des peuples, leur instinct, leurs vœux unanimes, un certain fonds de pensées constantes, que n'altèrent point les opinions variables, sont au nombre de ces signes qui ne trompent point. Qu'ils se gardent donc de les mépriser. Toutes les créatures, et combien davantage les plus nobles! ont en elles-mêmes une puissance secrète qui les porte vers leur fin, je ne sais quelle voix qui leur suggère les moyens d'y parvenir. Vous que JésusChrist a placés à la tète de son Église, écoutez cette voix. Tenez-vous avec soin dans la direction divine des choses. Aisément on s'abuse quand on s'arrête au caractère superficiel que les passions impriment aux événements, à des circonstances secondaires, à des accidents passagers, semblables aux vagues qui se croisent en tous sens sur une vaste mer, dont la masse compacte et profonde se meut d'un mouvement uniforme. Dieu ne fait pas tout, même dans l'Église. Il veut que les chefs qu'il lui a donnés concourent, par leur libre action, à l'accomplissement de ses desseins sur elle. Et c'est pourquoi, sans qu'elle puisse périr, sans que nul puisse jamais accuser de mensonge la parole céleste, l'Église néanmoins peut souffrir, et souffrir beaucoup, et souffrir longtemps,

(1) Cæci sunt, et duces cæcorum Matth., XV, 14.

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