Oldalképek
PDF
ePub

le sort de l'Europe entière s'il était possible que le catholicisme y fût entièrement aboli. Or, toute attaque contre le pouvoir du souverain pontife tend là : c'est un crime de lèse-religion pour le chrétien de bonne foi et capable de lier deux idées ensemble; pour l'homme d'État, c'est un crime de lèse-civilisation, de lèse-société. Et, afin que l'on comprenne tout le danger de porter la moindre atteinte à ce pouvoir divin, et de prétendre même le définir sans une autorité suffisante qui ne pourrait être que celle de toute l'Église, nous allons examiner l'imprudent essai qu'on en fit en France, dans un moment de chaleur et de passion, en 1682. Ce mémorable exemple renferme plus d'une instruction; et il semble qu'après cent quarante ans, assez remplis de leçons de tout genre, il soit enfin permis de le juger, et possible de le faire avec calme.

wwwwwwwwww

CHAPITRE VII.

Des libertés gallicanes.

impose même le devoir de penser avant tout examen, ou que les libertés qu'on nomme gallicanes ne sont pas, pour ainsi parler, d'origine ecclésiastique, ou que le clergé français, toujours si attaché à l'unité de l'Église et au pontife romain qui en est le centre, entendait par là quelque chose de trèsdifférent de ce qu'à plusieurs époques ont voulu entendre des esprits turbulents et emportés. En effet, on dispute, depuis plus de deux cents ans, sur ces libertés, pour savoir en quoi elles consistent ; question aussi obscure, aussi incertaine aujourd'hui, et plus peut-être, qu'elle ne l'était en 1605, lorsque les évêques, alarmés de l'abus qu'on faisait de ce mot vague, supplièrent le roi de faire régler ce qu'on appelle libertés de l'Église gallicane (1). Ils réitérèrent plusieurs fois cette demande les années suivantes. «< Vos juges, disaient-ils, ont tellement << obscurci les libertés, que ce qui devrait servir de << protection se convertit en oppression de l'Église; « ce qui ne procède d'ailleurs que de l'obscurité de « la matière et de la perplexité en laquelle on a in«dustrieusement retenu les esprits, pour, sous « couleur de ce, facilement entreprendre sur la ju« ridiction ecclésiastique (2). » Les états-généraux adressèrent au roi la même prière en 1614 (3); tant les abus dont se plaignaient les prélats étaient graves et notoires. Malheureusement ces sages demandes furent bientôt oubliées, et le désordre alla croissant. Une lutte, qui durait encore à la fin du dernier siècle, s'établit entre les parlements et l'épiscopat, obligé de défendre contre eux ses droits les plus sacrés. Nulle guerre de ce genre ne fut jamais ni plus continuelle, ni plus vive; et son influence sur nos destinées a été trop grande pour que nous ne nous arrêtions pas un moment à en considérer la cause, intimement liée d'ailleurs au sujet que nous traitons.

Malgré l'uniformité de la discipline générale, il peut exister en certains lieux quelques usages anciens, quelques coutumes particulières, ou appropriées à des besoins particuliers aussi, ou indifférentes en soi, coutumes très-légitimes quand l'autorité les tolère, et plus encore quand elle les approuve, comme les rescrits des papes et les actes des conciles en offrent de nombreux exemples. Mais, pour qui conçoit bien l'unité de l'Église catholique ou universelle et l'esprit de son gouvernement, c'est un mot, certes, au moins étrange que celui de libertés: car il suppose, d'une part, que quiconqueroi; et, lorsque, dans la suite, ils eurent réussi à se

ne jouit pas de ces libertés subit une sorte de servitude, et, d'une autre part, que le pouvoir souverain, quel qu'il soit, ne pourrait s'exercer avec une égale étendue dans toute l'Église; ou qu'une portion de l'Église aurait eu le droit que n'a pas l'Église entière, de le limiter arbitrairement. Or, de ces deux assertions, entre lesquelles il semble qu'il faudrait nécessairement se décider, si l'on prenait le mot de libertés en un sens rigoureux, la première est scandaleuse et la seconde hérétique.

Cette simple observation autorise à croire, et

(1) Il est remarquable que jamais on n'ait entendu parler des libertés de l'Église d'Allemagne, des Églises de Hongrie, de Pologne, d'Espagne, de Portugal, d'Irlande, etc. Après l'Église gallicane, nous ne connaissons aujourd'hui que l'Église des Pays-Bas

Les parlements formaient d'abord un simple corps judiciaire, établi pour rendre la justice au nom du

créer peu à peu un autre pouvoir très-différent, ils continuèrent toujours d'exercer, d'une manière irréprochable, cette noble fonction. La gravité des mœurs, l'intégrité, la science, qui distinguaient si éminemment la magistrature française, lui avaient acquis, avec le respect et la confiance des peuples, une haute considération dans l'Europe entière. Elle la dut, ainsi que les vertus qui la lui méritèrent, à l'esprit profondément monarchique et chrétien qui avait présidé à son institution, Mais cet esprit, il faut le dire, s'altéra progressivement, sous plus

qui ait le bonheur d'avoir des libertés, grâce à la munificence d'un prince calviniste.

(2) Mémoires du Clergé, tom.XIII-(3) Corrections et additions pour les Nouveaux opuscules de M. l'abbé Fleury, p. 68.

d'un rapport, par l'effet des changements qui survinrent dans la société. On a vu qu'en cherchant, et avec trop de succès, à séparer la politique de la religion, en isolant dès-lors les unes des autres les nations que le christianisme tendait à unir, en luttant contre l'ordre de civilisation qu'il avait produit et que la puissance pontificale s'efforçait de défendre et de conduire à sa perfection, parce que de cet ordre dépendaient la paix et le bonheur des peuples et l'existence même du christianisme, les princes effectuèrent une véritable révolution dans la chrétienté, et, en matière de gouvernement, substituèrent, sans en avoir conçu le dessein formel, aux lois immuables de la justice le système variable des intérêts. De là une défiance générale, une ambition sans frein, et de perpétuelles entreprises du souverain contre les vassaux et des vassaux contre le souverain. La force, au fond, était devenue l'unique arbitre des droits, et le despotisme envahissait de tous côtés la monarchie. Ce fut sur les débris de son ancienne constitution que les parlements établirent leur puissance politique. Nécessaires au monarque pour donner un caractère légal aux agressions contre le pouvoir spirituel et contre les institutions de l'État, les parlements vinrent augmenter leur importance et leur autorité, au point d'en abuser quelquefois contre les rois eux-mêmes, à mesure que les antiques barrières, qu'une justice égale pour tous avait élevées autour de la souveraineté, tombaient.

On ne saurait se faire une juste idée de ces grands corps, si l'on ne distingue en eux deux choses tout à fait diverses. Comme défenseurs et juges des intérêts privés, rien de plus admirable; comme instruments de la politique du prince, ils hâtèrent la ruine de la monarchie. Dévoués à la puissance royale, fondement de leur propre puissance, ils s'efforcèrent de l'étendre sans aucunes bornes, en lui sacrifiant tous les autres droits. Ils asservirent entièrement la noblesse au trône, c'est-à-dire qu'ils la détruisirent en tant qu'institution politique; et, jusqu'à leur dernier moment, ils travaillèrent avec (1) Depuis l'édit de Nantes jusqu'aux temps qui précédèrent < sa révocation, et où on commençaît déjà à le violer ouvertement, ■ les parlements avaient été en partie composés de huguenots. Duerant cette période, il est naturel que ces corps se soient montrés récalcitrants et aient été animés d'un certain esprit de « républicanisme et d'opposition contre la cour. Quand les hu• guenots en furent éliminés, ce même esprit n'en sortit point • avec eux; les parlements étaient fiers de leur influence et de l'essai qu'ils avaient fait quelquefois de leurs forces. Cette cause n'est pas la seule de la conduite ultérieure du parlement, mais elle y contribua. C'est donc au milieu d'eux que se réfugia l'es• prit d'indépendance qui était resté dans la nation, et c'est là • qu'il se retrouva en 1788. » Essai sur l'esprit et l'influence de la reforme, par Ch. Villers, p. 167, troisième édition.

(2) Un mémoire adressé par Fénélon à Clément XI contient des détails curieux sur les progrès que le jansénisme avait faits, en 1703, dans les parlements, et surtout dans celui de Paris. Parmi

TOME II.

ardeur à l'oppression de l'Église : projet dont le succès complet aurait eu pour résultat de créer, au sein de l'Europe, un despotisme pire que le despotisme oriental.

[ocr errors]

Les troubles que fit naître le schisme d'Occident, la déplorable confusion qu'il introduisit dans l'Église, favorisèrent les entreprises des parlements contre son autorité. Elles prirent encore un caractère plus hostile tout ensemble et plus dogmatique vers le commencement du dix-septième siècle, époque où l'esprit du protestantisme envahit la magistrature (1); et c'est à cette cause qu'on doit attribuer les dispositions factieuses qu'elle montra bientôt après, au temps de la Fronde. Réprimées sous Louis XIV, le jansénisme les réveilla (2); car il eut, dès son origine, une frappante affinité avec le calvinisme, dont il renouvela, sur plusieurs points, les révoltantes doctrines. Il lui ressemblait surtout par son génie remuant, incapable de se plier à l'obéissance, et toujours prêt à la révolte. « Cette faction << dangereuse, disait l'avocat-général Talon, n'a rien « oublié, depuis trente ans, pour diminuer l'auto«rité de toutes les puissances ecclésiastiques et « séculières qui ne lui sont pas favorables (3). » La philosophie vint ensuite achever ce que la réforme et le jansénisme avaient commencé. Des anciennes institutions monarchiques, l'Église seule subsistait encore; on poursuivit la guerre contre l'Église avec toute la fureur protestante, modifiée par les idées philosophiques du temps. On marchait à grands pas vers le dernier terme : la hiérarchie politique anéantie, le roi et le peuple se trouvaient en présence : les parlements, secondés d'abord par les principes démocratiques qui se répandaient dans la nation, prétendirent représenter le peuple, et ils s'efforcèrent d'usurper, à ce titre, le pouvoir de législation, c'est-à-dire qu'ils tentèrent de s'emparer de la souveraineté, ou de substituer, à leur profit, un despotisme oligarchique au despotisme d'un seul. Mais le mouvement de destruction ne pouvait s'arrêter là. On avait miné pendant plusieurs siècles les bases de la société; elle s'abîma tout entière dans le gouffre

les magistrats attachés à la secte, Fénélon nomme le chancelier, le premier président, et le procureur-général, plus janseniste, dit-il, que Jansenius même. « Les avocats-généraux et beaucoup de présidents et de conseillers appartiennent, ajoute-t-il, au même parti. Il n'est donc pas étonnant que les principaux membres du parlement se soient opposés avec tant de véhémence, en présence même du roi, à l'acceptation, dans les formes solennelles, du bref de Votre Sainteté contre la Réponse des quarante docteurs. Ils criaient que c'en était fait des libertés gallicanes, si on reconnaissait en France l'autorité d'une constitution du saint-siége que la France n'eût pas sollicitée : comme si le médecin ne devait guérir que le malade qui lui demande la santé ! comme si le Vicaire de Jésus-Christ, pressé du devoir que lui impose la sollicitude de toutes les Églises, ne dût ni parler ni agir, si la France était si malade qu'elle repoussåt même le secours du médecin! Memoriale Sanctissimo D. N. clam legendum.- OEuvres de Fenelon, tom. XII, p. 609, 610.- (3) Réquisitoire du 23 janvier 1688. 7

que les rois et les parlements avaient eux-mêmes creusé.

:

Telles furent les destinées de ces grands corps, qui, en nivelant la nation et en affranchissant le monarque de toute loi divine extérieurement obligatoire, marchaient peu à peu à la conquête du pouvoir même qu'ils paraissaient servir et de là il est aisé de comprendre quelle était leur position à l'égard de l'Église. Combattre l'autorité de son chef, pour séparer toujours davantage l'État de la religion (ce qu'ils appelaient défendre les droits du roi); étendre leur propre juridiction aux dépens de la juridiction spirituelle, voilà le double but qu'ils se proposaient. Ils donnèrent à ces entreprises le nom de libertés de l'Église gallicane, et deux hommes suspects de protestantisme, Pithou et Pierre Dupuy, en composèrent un immense recueil (1), qu'un arrêt du conseil supprima le 20 décembre 1638, et que dix-neuf prélats, assemblés à Paris, condamnèrent l'année suivante, avec une indignation que tout le clergé français partagea. « Jamais, disaient-ils, la «foi chrétienne, l'Église catholique, la discipline « ecclésiastique, le salut du roi et du royaume, « n'ont été attaqués de doctrines plus pernicieuses « que celles qui, sous des titres spécieux, sont « exposées en ces livres. » Puis, après avoir qualifié de fausses et hérétiques servitudes ces libertés prétendues, ils ajoutent : « Nous assurons que ces « deux volumes ont été jugés, par notre commun << avis, pernicieux presque partout, hérétiques en beaucoup d'endroits, schismatiques, impies, con«traires à la parole de Dieu en plusieurs lieux, «tendant à la destruction de la hiérarchie et de la « discipline ecclésiastique, des sacrements et ordon«<nances sacrées, très - injurieux au saint-siége

[ocr errors]
[ocr errors]

apostolique, à notre roi très-auguste, à l'ordre et « état ecclésiastique, et même à toute l'Église galli<< cane, et pleins de très-dangereux scandales (2). » L'assemblée du clergé condamna de nouveau, en 1651, l'ouvrage de Dupuy, comme injurieux à la liberté de l'Église. « Elle arrêta de se plaindre « du débit d'un livre dont tout le monde connais« sait le venin et les dangereuses maximes. «M. de Bosquet, évêque de Lodève, fut invité à le « réfuter, et les assemblées de 1655 et de 1665 le pressèrent de publier cette réfutation (5). » M. de Marca ne voyait dans ce recueil fameux qu'un tissu

[ocr errors]

(1) Les Preuves des libertés de l'Église gallicane, de Dupuy, ne sont que le complément du Traité de Pithou.

(2) Pi ocès-verbaux des assemblées du clergë; pièces justificatives, tom. III, n. 1.

(3) Corrections et additions aux Nouveaux opuscules de M. l'abbé Fleury, p. 65.

(4) De concord. sacerd. et imperii ; in præfat., p. 11, edit. 1706. (5) Defens. Declar., lib. XI, cap. XX.

(6) Ibid.

(7) << Dans mon sermon sur l'unité de l'Église, prononcé à l'ou

de sentiments impies et de profanes nouveautés de paroles (4); et jamais, dit Bossuet, les évéques n'approuvèrent ce que leurs prédécesseurs ont tantde fois condamné (5).

Ce n'est pas qu'ils ne reconnussent certaines libertés de l'Église gallicane: mais qu'entendaientils par ce mot? des priviléges concédés, comme s'exprimaient, en 1659, les dix-neuf évêques, dans leur lettre déjà citée et l'auteur même de la Défense de la Déclaration de 1682 fait remarquer que les prélats français ont pris la précaution « d'avertir qu'ils regardent comme ayant force de «<loi les seuls statuts et coutumes qui se trouvent « établis du consentement du saint-siége et des « évêques (6). » Et c'est, nous apprend encore Bossuet, que les évèques et les magistrats étaient fort éloignés d'entendre de la même manière les libertés de l'Église gallicane (7), toujours employées contre elle (8): « en quoi, observait l'abbé Fleury, l'injus«tice de Desmoulins est insupportable. Quand il << s'agit de censurer le pape, il ne parle que des an«< ciens canons; quand il est question des droits du <«< roi, aucun usage n'est nouveau ni abusif: et lui, « et tous les jurisconsultes qui ont suivi ses maxi<«<mes, inclinent à celles des hérétiques modernes, « et auraient volontiers soumis la puissance même « spirituelle à la temporelle du prince....

[ocr errors]
[ocr errors]

« Si quelque étranger, zélé pour les droits de l'Église, et peu disposé à flatter les puissances temporelles, voulait faire un traité des servitudes «de l'Eglise gallicane, il ne manquerait pas de ma« tières ni de preuves...

« La grande servitude de l'Église gallicane, c'est « l'étendue excessive de la juridiction séculière... << Les appellations comme d'abus ont achevé de <«< ruiner la juridiction ecclésiastique (9). »

Il suit de là, premièrement, que ce que la magistrature appelait des libertés de l'Église, l'Église l'appelait des servitudes, et même d'hérétiques servitudes: et l'expression ne paraît pas trop forte quand on se rappelle les efforts des cours séculières, pendant le dernier siècle, pour soumettre à leur autorité l'administration mème des sacrements;

Secondement, que tenter de remettre en vigueur ces libertés, ce serait tenter de détruire l'Église et par conséquent le christianisme, et par conséquent la société.

a verture de l'assemblée de 1682, je fus indispensablement obligé « de parler des libertés de l'Église gallicane, et je me proposai « deux choses: l'une de le faire sans aucune diminution de la vé<< ritable grandeur du saint-siége; l'autre de les expliquer de la « manière que les entendent nos évêques, et non pas de la ma« nière que les entendent nos magistrats. » Lettre au cardinal d'Estrées. - OEuvres de Bossuet, tom. IX, p. 275, édit, de 1778. (8) Oraison funèbre de Letellier.

(9) Discours sur les libertés de l'Église gallicane; Nouveaux opuscules de M. l'abbé Fleury.

comme

Si l'on cherche maintenant quels étaient ces priviléges concédés, ces statuts et ces coutumes établis du consentement du saint-siége, dont parle Bossuet, il se trouve qu'on n'a pu jamais les définir avec précision. On ne peut dire, quelques-uns, que c'était le privilége qu'avait conservé l'Église de France de se gouverner par le droit commun; car ces deux choses, privilége et droit commun, s'excluent mutuellement. Sera-ce, comme d'autres l'ont soutenu, le droit de se gouverner par les canons des premiers conciles? Pas davantage, car la discipline de l'Église de France différait totalement, sur une multitude de points, de la discipline fixée par ces conciles. Ce ne pouvait donc être que des usages particuliers à quelques diocèses, ainsi qu'il en existe dans toutes les parties du monde catholique; des prérogatives accordées par les papes à certains siéges et, sous ce rapport, le mot de libertés n'a plus de sens, depuis que l'état entier de l'Église de France a été renouvelé par un acte immédiat de la puissance souveraine du pontife romain (1).

Les maximes théologiques établies dans la déclaration de 1682 ne sauraient être, en aucune manière, des libertés de l'église gallicane. L'Église ne connait point de libertés de doctrine; et nul catholique ne regardera comme de simples opinions d'école, des propositions formellement réprouvées par le Siége apostolique et par le plus grand nombre des Églises particulières. Il est, d'ailleurs, très-évident que la puissance du pape, instituée par Dieu mème, demeure toujours essentiellement, qu'on la reconnaisse ou non, ce que Dieu a voulu qu'elle fût; qu'aucune autre puissance ne peut ni l'étendre ni la restreindre, et qu'ainsi, de deux choses l'une, ou la déclaration pose avec exactitude les limites de la puissance pontificale, et alors l'Église gallicane n'est pas plus libre que les autres Églises; ou elle prescrit à cette puissance divine des bornes arbitraires, et alors l'Église gallicane, si elle mettait, ce qu'elle ne fit jamais, ses maximes en pratique, tomberait par cela mème dans le schisme, qui n'est pas non plus, que nous sachions, une liberté.

Considérée sous un autre point de vue, et avant mème d'examiner la doctrine qu'elle renferme, la déclaration de 1682 ne peut, pour employer l'expression la plus douce, qu'exciter un grand étonnement. Car que fait cette déclaration? Elle apprend au monde entier qu'en ce qui tient au pouvoir du

(1) Par sa bulle pour la nouvelle circonscription des diocèses, datée du 3 des calendes de décembre 1802, le pape déclare déroger, par son autorité apostolique, aux statuls, coutumes même immémoriales, priviléges, indults, concessions, etc., des siéges supprimés. Aucun des sièges nouveaux ne saurait donc avoir,

pape, l'Église gallicane ne pense ni comme le pape, ni comme les autres Églises unies au pape. Or, en supposant, ce que nous sommes assurément fort loin d'accorder, que le sentiment particulier de l'Église gallicane pût rendre un seul moment douteux ce qu'enseignent de concert le pape et les autres Églises, qu'en résulterait-il? que, le pouvoir étant incertain dans l'Église de Jésus-Christ, l'Église elle-même serait incertaine. Il faudrait, chose monstrueuse, admettre qu'il existe une société, disons plus, une société divine, dans laquelle on ne saurait pas, après dix-huit siècles, en qui réside la souveraineté. Si ce n'est pas là détruire la notion mème de société, la notion de l'Église une, universelle, perpétuelle, qu'on explique comment une souveraineté douteuse peut constituer un gouvernement certain ou une société certaine; comment l'Église peut être certainement une, universelle, perpétuelle, si l'on ignore quel est le pouvoir suprême dans l'Église, et par conséquent s'il est un, universel, perpétuel?

Et quel droit avait une assemblée de trente-cinq prélats convoqués par le roi, quel droit aurait eu même toute l'Église gallicane réunie en concile national, de décider seule des questions qui intéressent fondamentalement l'Église entière, et de fixer sa propre doctrine, ce n'est pas assez dire, de se créer une doctrine particulière, sur des points d'où dépend toute l'économie du gouvernement spirituel, et à l'égard desquels nulle doctrine ne saurait être vraie, selon les principes des gallicans mêmes, que celle professée par le pape et la majorité des évêques ?

De si étranges égarements ne peuvent s'expliquer que par l'état où se trouvait alors la France. Les parlements poursuivaient avec activité leur projet d'asservir l'Église en la séparant du pontife romain, ou en l'asservissant lui-même, dans l'exercice de sa puissance, à l'autorité temporelle. « Le roi, dans «la pratique, est plus chef de l'Église que le pape «en France. Liberté à l'égard du pape, servitude « à l'égard du roi. Autorité du roi sur l'Église « dévolue aux juges laïques. Les laïques dominent « les évêques (2). » Ainsi parlait Fénélon.

་་

Qui ne voit, s'écriait-il avec douleur, combien « de maux menacent l'Église catholique, en butte à << la jalousie, aux soupçons, aux disputes? Les « évêques n'ont désormais aucun secours à espérer, << ni presque plus rien à craindre du Siége apostolique; leur sort dépend entièrement de la seule

[ocr errors]

selon la doctrine de Bossuet et des autres évêques dont nous avons rapporté les paroles, de priviléges légitimes que ceux qui lui auraient été concédés, depuis 1802, par le souverain pontife. (2) Vie de Fénelon, par M. de Bausset. Pièces justificatives du livre VII.

[ocr errors]
[ocr errors]

<< volonté des rois. La juridiction spirituelle est « comme anéantie: excepté les seuls péchés dé«clarés secrètement au confesseur, il n'est rien dont les magistrats ne jugent au nom du roi, sans égard aux jugements de l'Église. Ce recours fré«quent et perpétuel au Siége apostolique, par lequel les évêques, s'approchant de Pierre, avaient <<coutume de le consulter sur les questions qui in«téressaient ou la foi ou les mœurs, est tellement « tombé en désuétude, qu'à peine reste-t-il quel«< que vestige de cette admirable discipline. Et, «quant à la chose même, les rois gouvernent et réglent tout selon leur bon plaisir. On ne s'adresse «au saint-siége que rarement, et. seulement pour «la forme; son nom, en apparence toujours « vénéré, n'est plus que l'ombre d'un grand nom. « On ne connait plus par les effets la puissance de «ce Siége que lorsqu'on sollicite de lui quelque dispense des canons. Qu'arrive-t-il de là? que les laïques mèmes accusent et tournent en dérision «< cette sublime puissance, à laquelle ils n'ont re« cours que pour en obtenir quelque faveur parti«culière; et c'est ainsi que cette aimable et maternelle autorité est devenue l'objet d'une envie « maligne (1). »

k

[ocr errors]

Le tableau que Fénélon fait du haut clergé à la même époque, achève d'éclaircir ce qui se passa en 1682. «La plupart des prélats, dit-il, se précipitent << d'un mouvement aveugle du côté où le roi in«cline et l'on ne doit pas s'en étonner; ils ne «<connaissent que le roi seul, de qui ils tiennent « leur dignité, leur autorité, leurs richesses, tandis « que, dans l'état présent des choses, ils pensent n'a« voir rien à espérer ni rien à craindre du Siége apostolique. Ils voient toute la discipline entre <«<les mains du roi, et on les entend répéter sou<< vent que, même en matière de dogme, soit pour « établir, soit pour condamner, il faut consulter « le vent de la cour. Il reste cependant quelques pieux évêques qui affermiraient dans le droit

་་

[ocr errors]

(1) Quantum vero Ecclesiæ catholicæ impendeat incommodum nemo non videt, dum æmulatio, suspicio et contentio grassans, caput atque membra, totum Ecclesiæ corpus divexat! Nunc episcopi nihil sibi præsidii sperandum, nihil pene metuendum vident ex Sede apostolica. Eorum quippe sors ex solo regum nutu omnino pendet. Spiritualis jurisdictio prostrata jacet; nihil est, si sola peccata clam confessario dicta exceperis, de quo laici magistratus ex nomine regis non judicent, et Ecclesiæ judicia non vilipendant. Frequens vero ac juris ille recursus ad Sedem apostolicam, quo singull episcopi, singulis tum fidei, tum morum quæstionibus, Petrum adire et consulere consueverant, ita jam inolevit, ut vix supersit mirabilis hujus disciplinæ vestigium. Quantum ad rem ipsam, reges ad nutum omnia regunt et ordinant. Sedes vero apostolica, inani tantum forma et raro compellatur. Nomen est, quod ingens aliquid sonat, et suspicitur ut magni nominis umbra. Neque certe quid possit hæc Sedes, jam usu norunt, nisi dum efflagitant a canonum disciplina dispensari. Unde ipsi laici culpant, et ludibrio vertunt hanc præcelsam auctoritatem, quam non adeunt, nisi ut suo commodo inserviat. Hinc contigit ut materna

<< sentier la plupart des autres, si la foule n'était << entraînée hors de cette voie par des chefs cor« rompus dans leurs sentiments (2). »

En cet état de choses, un différend s'élève entre Rome et le roi, à l'occasion d'une affaire où le pape défendait, de l'aveu d'Arnauld, les droits manifestes et les véritables libertés de l'Église. Les parlements échauffent la querelle, animent le monarque. Il prend la résolution de marquer, par un acte solennel, son ressentiment contre le souverain pontife, et il charge le clergé de sa vengeance. De serviles prélats se précipitent d'un mouvement aveugle du côté où le roi incline (3). En deux mots, voilà l'histoire de la célèbre déclaration de 1682.

Bossuet, qu'on ne soupçonnera point d'avoir partagé ces viles passions, mais qui n'était pas non plus tout à fait exempt d'une certaine faiblesse de cour, Bossuet essaya de modérer la chaleur de ses confrères. Il les voyait près de s'emporter aux plus effrayants excès, et il se jeta comme médiateur entre eux et l'Église, oubliant ce qu'en toute autre rencontre, et plus maître de lui-même, il aurait aperçu le premier, que l'Église n'accepte point de semblable médiation; que, n'ayant rien à céder, elle ne traite jamais, et qu'à quelque degré qu'on altère sa doctrine, si elle attend avec patience le repentir, le moment vient où la charité appelle elle-même la justice et la presse de prononcer sa sentence irrévocable.

Afin de laisser aux esprits le temps de se calmer, Bossuet essaya de traîner en longueur; il proposa d'examiner la tradition sur le sujet soumis aux délibérations de l'assemblée. On ne l'écouta point. Le roi voulait une décision prompte; ses ministres s'opposaient vivement à toute espèce de délai, et les prélats, de leur côté, ne montraient pas moins de zèle à complaire au monarque (4). Dès-lors Bossuet ne songea plus qu'à éloigner le schisme imminent dont la France était menacée, en adoucissant, au moins par les formes de l'expression, les maximes

et amabilis hæc auctoritas invidiam concitaverit. De Summi Pontif. Auctorit., cap. XLV. — OEuvres de Fénelon, tom. II, p. 407 et 408, édit. de Versailles.

(2) Plerique alii incerti et fluctuantes, quolibet rex se inclinaverit, cæco impetu ruunt. Neque id mirum est, siquidem regem solum norunt, cujus beneficio dignitatem, auctoritatem, opesque nacti sunt. Neque, ut res se nunc habent, quidquam incommodi metuendum, aut præsidii sperandum ex apostolica Sede existimant. Totam disciplinæ summam penes regem esse vident, neque ipsa dogmata aut adstrui, aut reprobari posse dictitant, nisi aspiret aulicæ potestatis aura.

Supersunt tamen pii antistites, qui cæteros plerosque in recto tramite confirmarent, nisi multitudo a ducibus male affectis in pejorem partem raperetur. Memoriale Sanctissimo D. N. clam legendum.-OEuvres de Fénelon, tom. XII, p. 604 et 605, édit, de

Versailles.

(3) « Le pape, disaient-ils, nous a poussés ; il s'en repentira. » Nouveaux opuscules de M. l'abbé Fleury, p. 142 et 143.

(4) Voyez les Nouveaux opuscules de M. l'abbé Fleury.

« ElőzőTovább »