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le christianisme commande et inspire. Mais qu'on prenne garde de s'y méprendre de ce qu'une lutte universelle s'est engagée entre le bien et le mal, il ne s'ensuit pas que le bien prédomine; cela prouve plutôt qu'au lieu de régner il est réduit à se défendre. Qui aurait songé, il y a cinquante ans, à se réjouir de la formation d'une école religieuse comme d'une victoire? On ne remarque tant l'action du christianisme que dans les sociétés qui ne sont plus chrétiennes. La vue d'une croix étonne et frappe en un pays protestant: ailleurs à peine excite-t-elle l'attention de la piété.

La situation présente de l'Europe diffère tellement de tout ce qu'on avait encore vu, que les meilleurs esprits, faute d'un terme de comparaison, s'abusent quelquefois d'une manière étrange dans les jugements qu'ils en portent. Il est impossible de rien comprendre à ce qui se passe sous nos yeux, si l'on ne reconnaît d'abord, dans les deux mouvements opposés qui agitent le monde, la continuation de la guerre que l'athéisme déclara ouvertement, vers le milieu du dernier siècle, à la religion catholique, sa seule véritable ennemie ; et si l'on ne considère, d'une autre part, que cette guerre, plus vive qu'elle ne le fut jamais, a totalement changé de nature, en ce qu'autrefois l'athéisme, n'ayant à ses ordres que des soldats dispersés et sans presque aucune organisation, combattait la société publique, chrétienne alors, sinon dans ses membres, au moins dans ses lois, ses institutions, ses usages, ses maximes; tandis que, maître aujourd'hui de cette société qu'il a conquise, il attaque, avec toutes les forces qu'elle lui prête, la religion, défendue seulement par des individus isolés. Loin que, d'un bout à l'autre, l'Europe soit travaillée par un ferment religieux, introduit dans la masse du corps social, le corps social s'est au contraire entièrement séparé de la religion. Il y a maintenant deux sociétés, non-seulement distinctes, mais armées l'une contre l'autre : la société des hommes sans Dieu, dont presque partout les systèmes prévalent dans le gouvernement et l'administration; la société des chrétiens unis sous l'autorité de l'Église, et qui, pour maintenir sur la terre une foi, un culte, un ordre moral, sont forcés de lutter sans relâche contre l'athéisme politique et ses conséquences. De là les prodiges de zèle qu'on admire avec raison; et de là aussi les maux extrèmes que produit nécessairement une oppression légale et une persécution savante. Qu'en cet état les esprits soient agités d'une inquiétude vague, cela se conçoit; on n'est pas à l'aise dans le vide : mais que cette inquié

(1) La prière commune du matin et du soir fut toujours en usage à bord des vaisseaux et parmi les troupes de toutes les nations chrétiennes ; mais, en France, où il faut que tout ce qui est

tude les pousse à de hautes contemplations, on en douterait fort, si celui qui l'affirme n'avait plus qu'un autre le droit d'ètre cru, toutes les fois qu'il s'agit de contemplations élevées.

A cause de l'abaissement où on l'a réduite, des attaques dont elle est l'objet, des sacrifices même attachés à la pratique sincère de sa doctrine et de ses commandements, la religion peut-être exerce aujourd'hui une action plus forte sur la portion des peuples qui lui est demeurée vraiment fidèle : mais le nombre des chrétiens a diminué depuis un demisiècle, et continue de diminuer progressivement. Ce fait n'est que trop incontestable, et serait, au besoin, susceptible d'être établi par les documents les plus positifs. Le gouvernement lui-même, à cet égard peu suspect d'exagération, est convenu, en exposant les motifs du projet de loi sur le sacrilége, de la multitude d'impiétés commises par des malheureux dépourvus de foi, et il a présenté la négligence, l'oubli, l'indifférence, comme le caractère particulier de ces tristes temps. C'était avouer, en d'autres termes, l'affaiblissement de la vie morale dans la société : car la société vit de foi ainsi que l'homme; et la religion, fondement des devoirs, est aussi l'unique source des idées spirituelles, et de tout ce qui élève au-dessus des sens. Si l'on en doutait, qu'on observe comment la philosophie du dernier siècle, en se répandant, a introduit peu à peu un matérialisme abject dans les esprits et dans les mœurs, d'où il a passé dans les lois, l'administration et le gouvernement. Des individus, égarés par de fausses doctrines, ont corrompu l'État, qui corrompt à son tour les individus: car quel est le peuple dont la foi pût résister à des lois athées, à l'influence continuelle d'un gouvernement à qui toute croyance est indifférente? Quand on le voit payer également, protéger également les cultes les plus opposés, que voulez-vous que pense la multitude toujours déterminée par l'exemple? Incertaine de ce qu'elle doit croire, elle s'affranchit bientôt de la pratique gênante des devoirs religieux; elle déserte l'église pour tous les lieux où ses passions l'appellent, et, privée d'instruction, de conseils, de règle de conduite, elle tombe rapidement dans une ignorance profonde et dans des habitudes brutales. Le repos du jour saint n'est plus gardé, et en cela l'on ne fait qu'imiter l'administration même. Le dernier signe de communion qui existe entre les peuples, au milieu de tant de cultes divers, disparaît (1). Cependant la dépravation va croissant; les liens de la famille se relâchent: ou plutôt l'on ne connaît plus ni mariage ni

attaché au service de l'État participe à l'athéisme de l'État, on n'a jamais pu obtenir qu'elle fût rétablie de sorte que le soldat, dans sa caserne, craignant de s'agenouiller devant Dieu, en présence

paternité; un homme a sa femelle et ses petits, voilà tout et encore souvent ne sait-on à qui ils appartiennent (1). Les vices se propagent, on les étale sans honte à tous les yeux ; ils entourent l'enfant dès le berceau, et leur hideuse nudité n'inspire ni horreur ni étonnement. Au sens moral, à peu près éteint, succède une sorte de mouvement aveugle qui pousse stupidement des ètres dégradés vers tout ce qui promet quelque jouissance à leurs grossiers appétits. Quelquefois un instinct féroce se développe en eux; ils ont soif du sang, et des forfaits inouïs épouvantent le monde.

Que dire d'une semblable société, de ses doctrines, de ses lois? que dire des hommes qui, possédés de je ne sais quel esprit de vertige, jettent les peuples dans cet abime, et de ceux, plus coupables encore, qui, par faiblesse ou par intérêt, se rendent les apologistes, les soutiens, les agents d'un si exécrable désordre? Encore une fois, que dire? Il n'y a que les paroles de l'Esprit saint: «Malheur « à vous dont le cœur est malade, qui ne croyez « point en Dieu, et que Dieu ne protégera point (2)! << Malheur à vous qui établissez des lois impies, et « qui écrivez l'injustice (3)! Malheur à la nation pé« cheresse, au peuple chargé d'iniquités, à la race « perverse, aux enfants du crime, qui ont aban« donné le Seigneur, qui ont blasphémé le Saint « d'Israel, et qui se sont retirés de lui (4)! Malheur << aux prophètes insensés qui suivent leur esprit et « ne voient rien (5)! Malheur à vous qui dites que «le mal est bien, et que le bien est mal; qui ap« pelez les ténèbres la lumière, et la lumière les té« nèbres! Malheur à vous qui ètes sages à vos pro<< pres yeux, et qui vous applaudissez de votre prudence (6) ! Malheur à vous qui avez un cœur

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des autres soldats, qui souvent ne souffriraient pas cette marque extérieure de religion, est exposé à perdre insensiblement la fof, en perdant l'habitude des actes de piété qu'elle commande et qul l'entretiennent. De retour dans son hameau, il y portera, avec l'incrédulité, les mœurs qu'elle engendre. C'est ainsi que le mal nait du mal, et que la corruption du gouvernement se communique de proche en proche, et par mille voies différentes, jusqu'aux derniers rangs du peuple.

(1) Ceux qui connaissent une certaine classe, malheureusement trop nombreuse, de la population de Paris, diront s'il y a rien d'exagéré dans ce tableau.

(2) Væ dissolutis corde, qui non credunt Deo, et ideò non protegentur ab eo! Eccles., II, 15.

(3) Væ qui condunt leges iniquas, et scribentes, injustitiam scripserunt! Is., X, 1.

(4) Væ genti peccatrici, populo gravi iniquitate, semini nequam, filiis sceleratis : dereliquerunt Dominum, blasphemaverunt Sanctum Israel, abalienati sunt retrorsùm! Is., I, 3.

(5) Væ prophetis insipientibus, qui sequuntur spiritum suum, et nihil vident! Ezech., XIII, 3.

(6) Væ qui dicitis malum bonum, et bonum malum; ponentes tenebras lucem, et lucem tenebras; ponentes amarum in dulce, et dulce in amarum! Væ qui sapientes estis in oculis vestris, et coram vobismetipsis prudentes! Is., V, 20, 21.

(7) Væ duplici corde, et labiis scelestis, et manibus malefacientibus, et peccatori terram ingredienti duabus viis!.. Et quid fa

<< double, et des lèvres criminelles, et des mains « souillées, et qui marchez en deux voies sur la << terre !... Que feront-ils, quand tout à l'heure Dieu « les regardera (7)? Malheur à eux, car leur jour << vient, et le temps de la visite approche (8)! »

Nous n'avons encore montré qu'une partie de l'influence que l'État exerce sur la société domestique pour la corrompre. Le moyen sans contredit le plus puissant, et dont le génie du mal a su le mieux profiter pour étendre le règne de l'athéisme, est l'éducation publique. C'était, avant la révolution, une maxime universellement reçue, qu'elle appartenait, chez les nations chrétiennes, à ceux à qui Jésus-Christ a dit: Allez et enseignez. « Les con« ciles provinciaux, dit monseigneur l'évèque d'A<«<miens, les ordonnances synodales, les édits de « nos rois, les arrêts du conseil d'État et des par<«<lements, la double puissance du sacerdoce et de « l'empire, reconnurent solennellement que l'édu«cation de l'enfance était le droit exclusif de l'épi« scopat (9). » Après avoir détruit l'ordre ancien on se hâte d'établir le principe contraire, afin d'assurer le triomphe de l'impiété et de l'anarchie. Il n'y avait plus d'évêques en France, mais il y avait encore des pères; on les dépouilla de l'autorité que Dieu même leur a donnée sur leurs enfants : la leur a-t-on rendue depuis? loin de là; on a consacré l'usurpation de la puissance paternelle. Écoutez

M. de Corbière :

<< L'instruction publique est chez nous une insti«<tution politique, et ce n'est pas une chose nou<< velle: les temps ont amené des changements suc«cessifs dans les établissements comme dans les « formes de l'instruction; le principe est resté le « même (10). »

cient, cum inspicere cœperit Dominus? Eccles., II, 14, 17. (8) Væ eis, quiâ venit dies eorum, tempus visitationis eorum. Jerem., L, 27.

(9) Mandement de monseigneur l'évêque d'Amiens, du 20 août 1823, concernant l'établissement d'une maison de frères destinée à l'éducation des enfants de la campagne, pag. 11.

Nous croyons utile de consigner ici l'indication des autorités sur lesquelles l'auteur du mandement appule le fait qu'il avance. -Conc. de Narbonne, 1551, can. 56; assemblée de Melun, 1579, tit. 38; conc. de Rouen, 1581, can. ler; conc. de Bordeaux, 1583, tit. 27; conc. d'Aix, 1585; conc. de Toulouse, 1390; éditde 1506, au mois de décembre, article 14; déclaration, 1657, article 21; déclaration, 1666, mois de mars, art. 22; lettres du roi Louis XIII, décembre 1640; édit du mois d'avril 1695; déclaration du roi, 13 décembre 1698, articles 9 et 10; déclaration du roi, 16 octobre 1700; arrêt du conseil d'État, 16 octobre 1641; idem, 18 septembre 1665, 20 août 1668, 12 mars 1669, 13 janvier 1680, 23 janvier 1680, 10 septembre 1681, 8 octobre 1682, 8 mars 1695, 25 février 1696; arrêt du parlement de Paris, 4 mars 1625 ; idem, 28 juin 1625, 19 mai 1628, 10 juillet 1632, 20 mars 1642, 20 juillet 1650, 6 août 1652, 9 février 1654, 5 janvier 1665, 31 mars 1665, 31 mars 1683, 17 février 1653, 3 mars 1651, 7 septembre 1697, 25 mai 1666, 23 août 1578, 29 mai 1647.

(10) Discours à la Chambre des Pairs, séance du lundi 21 juin 1824. Moniteur du 25 juin 1824.

Une assertion si positive étonne de la part d'un avocat, qui devrait avoir au moins quelque idée de notre ancienne législation : qu'il remonte seulement jusqu'à Louis XIV, il verra que personne alors ne se doutait de ce principe qui est resté le même. « Il est manifeste, déclarait, le 25 janvier 1680, le « conseil d'État; il est manifeste, qu'il n'appartient « qu'à l'Église de prend reconnaissance du fait des « écoles. Cet usage a toujours été suivi en France;... « aussi les jurisconsultes disent que le soin des « écoles est soumis aux ecclésiastiques. »

qui le noble pair n'assigne cependant que la seconde place dans la bibliothèque de l'enfance. Il ne dit pas à quel autre ouvrage il réserve la première : mais il tient extrêmement à ce qu'on mette entre les mains des jeunes personnes, lorsqu'elles seront déjà suffisamment familiarisées avec les lois fondamentales et les lois organiques, la Défense des quatre propositions de 1682, par Bossuet (2). Les esprits légers trouveront peut-être ces lectures excessivement graves; on ne nie pas qu'au premier aspect elles n'offrent quelque chose d'un peu sérieux pour des petites filles, et même pour des petits garçons : mais après cela aussi la France pourra se flatter d'avoir des citoyennes comme on n'en voit guère assurément, et les femmes les plus fortes de l'Europe en théologie et en politique gallicanes.

Puisque le ministre l'ignore, il est bon de lui apprendre que la doctrine qui le charme, et dont l'antiquité lui parait si vénérable, est née dans la Convention. C'est elle qui, la première, en violant tous les droits, essaya de faire de l'éducation une institution politique; projet digne de ses inventeurs, et que, sous ce rapport, il y a certainement quelque courage à adopter. Car enfin le ministre veut-il savoir quelle est, après la sienne, la plus haute autorité qu'on puisse alléguer en faveur de la maxime qu'avec tant d'à propos il entreprend de soutenir ? C'est l'autortié de Danton. En 1793, ce profond publiciste s'exprimait ainsi : « Il est temps de rétablir « ce grand principe, que les enfants appartiennent à la république avant d'appartenir à leurs parents. » Voilà certes un imposant accord: aussi M. Lainé, dont toute la France connaît la vive imagination, parait-il n'avoir pas été peu flatté de voir son admi-même; ses doctrines règnent dans les colléges

nistration justifiée par ce double suffrage. Sa naïve satisfaction se montre tout entière dans ces paroles qu'il adressait à la Chambre des Pairs :

« On est heureux d'entendre dire que l'instruc<tion publique pour les hommes est une institution « politique à régler par les lois : cela peut ranimer « des espérances et des vœux légitimes: mais, pour « n'avoir pas autant d'intérêt politique, l'instruction des femmes n'en est pas dépourvue (1). » Saisissant cette dernière idée, qui double le domaine de la politique, M. le marquis de Lally-Tolendal exprima le vœu légitime qu'on s'occupât promptement de former des citoyennes; et, en vérité, la chose est tellement facile, tellement simple, que, si nous ne jouissons pas bientôt de ce développement si désirable de nos institutions constitutionnelles, ce sera mauvaise volonté pure de la part de l'administration. Il ne s'agit que de faire apprendre à lire aux petites filles dans la Charte, à

(1) Moniteur du 13 juillet 1824, séance de la Chambre des Pairs du 10 juillet.

(2) Le noble pair désirerait ardemment que cet exemple (ce« lui d'un magistrat anglais qui apprenait à lire à son fils dans la ⚫ grande charte) fût suivi par nos institutrices; que les petits enfants trouvassent dans leur premier livre, sinon à la première ⚫ place, du moins à la seconde, les lois fondamentales, la charte royale que nous devons à la sagesse et à la bonté conservatrice

TOME II.

Il n'est pas inutile de rappeler ces extravagances : mieux que tout ce qu'on pourrait dire, elles montrent ce que devient la raison publique chez les peuples qui abjurent le christianisme. Ils tombent dans une sorte d'imbécillité à la fois risible et effrayante. Le sens leur est ôté, et c'est leur premier châtiment.

On se plaint depuis longtemps de l'esprit dans lequel la jeunesse est élevée en France: mais, dès qu'on fait de l'éducation une institution politique, l'éducation est nécessairement ce qu'est l'État lui

comme dans la société, quel que soit l'enseignement particulier de tel ou tel maître : aucune puissance humaine ne saurait faire qu'une institution politique soit opposée, et en elle-même et dans ses effets, au principe dont elle émane, qu'il y ait de la foi dans les écoles établies et administrées par un gouvernement qui professe l'indifférence absolue des religions. De là cette espèce de doute contagieux et cette impiété froide et tenace, qu'on observe avec épouvante dans la plupart des établissements publics d'éducation. Les désordres de mœurs, bien que portés à un degré autrefois inconnu, sont moins alarmants pour l'avenir. On se corrige du vice; rarement on revient d'une incrédulité précoce. Nous avons cité des faits terribles; nous en garantissons de nouveau la trop exacte vérité et combien n'en pourrions-nous pas citer d'autres! On dit qu'il aurait fallu taire ces faits : non, non, quand il s'agit d'avertir les parents des dangers auxquels ils peu

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vent, sans le savoir, exposer ce qu'ils ont de plus cher; quand il s'agit du salut des âmes, se taire est un crime, et dissimuler en est un plus grand.

La religion ne se commande point, elle s'inspire. L'exemple général, l'esprit des institutions, l'influence des lois, voilà ce qui fait sa force et ce qui la conserve; et c'est pour cela aussi qu'à bien peu d'exceptions près, nos écoles publiques ne peuvent être que des écoles d'impiété, et par conséquent de mauvaises mœurs. Lorsqu'on établit dans un collége, à côté d'une chapelle catholique, un prèche calviniste, quel doit être, je le demande, sur la foi des élèves, l'effet d'un semblable rapprochement? Protestant, catholique, chacun se moque de son culte, et ne voit dans la religion qu'une rêverie absurde, ou tout au plus qu'une coutume indifférente. Et qu'on ne croie pas remédier aux inconvénients d'un pareil système d'éducation en plaçant à sa tète un évèque; car l'unique résultat d'une si choquante inconvenance est d'abuser quelques familles, de perdre quelques enfants de plus, d'augmenter les dangers du mal en le couvrant d'un voile sacré, de mettre l'athéisme sous la protection de la religion même, et de persuader peut-être aux oppresseurs de l'Église qu'il n'est point de complaisances qu'on ne puisse exiger et attendre de ses ministres.

Cependant, corrompre l'enfance, c'est corrompre l'avenir tout entier, c'est appeler les fléaux et provoquer la ruine. Car quel est le peuple qui puisse subsister lorsque la base des devoirs, méconnue par l'État, est encore ébranlée dans la société domestique? Le temps approche où ces vérités, éternelles comme Dieu, cesseront d'ètre un objet de doute et de raillerie insensée. Quand, de sa main inexorable, la justice, qui ne meurt point, les aura écrites en caractères de sang sur une terre désolée, on comprendra que le monde est soumis à d'autres lois que celles inventées par la raison du dix-neuvième siècle. Beaucoup de générations ne passeront pas avant que cette grande et dernière leçon soit donnée aux hommes. Jusque-là tous les avertissements seront vains; mais ils ne laissent pas d'entrer dans les vues de la Providence pour éclairer ceux qui ont le cœur droit, et pour justifier la sévérité de ses jugements sur les autres.

CHAPITRE IV.

Que la religion, en France, n'est aux yeux de la loi qu'une chose qu'on administre.

Tout se lie et s'enchaîne tellement dans les sociétés humaines comme dans l'univers, que l'on ne

saurait traiter une question de quelque importance, sans en remuer un grand nombre d'autres, surtout lorsque l'absence de maximes établies et généralement reconnues oblige d'éclaircir et de prouver jusqu'aux vérités les plus simples. Aujourd'hui, principalement, qu'il n'est rien sur quoi l'on ne conteste; aujourd'hui qu'à la place de la raison publique, presque entièrement éteinte, il n'existe que des opinions aussi opposées entre elles, aussi diverses que toutes les chimères qui peuvent s'offrir à des esprits abandonnés sans règle à eux-mêmes, on ne doit supposer comme admis aucun principe, ni aucun fait, mais chercher d'abord, en parlant aux hommes, à se faire avec eux une raison commune, si l'on veut en être entendu. Ce n'est pas assurément une difficulté médiocre; et, parvînt-on à la surmonter, il y a loin de là encore à persuader et à convaincre. Malgré l'anarchie des croyances, jamais on ne fut plus affirmatif; et le caractère du temps présent est le dogmatisme individuel et le scepticisme social.

De cette disposition, signe infaillible d'un profond désordre et d'une faiblesse profonde, résulte, puisqu'il faut le dire, une espèce d'idiotisme public, auquel on ne voit rien à comparer dans les siècles précédents. De là l'étrange facilité avec laquelle on se laisse abuser par des mots. Appelez liberté la servitude, et la persécution tolérance, les hommes, tels que les a faits la civilisation philosophique, ne se croiront libres que dans les fers, et s'imagineront de bonne foi protéger en opprimant. Partout on remarque ce genre d'illusion: il se propage si rapidement, qu'il devient chaque jour plus difficile. de trouver des esprits qui en soient tout à fait exempts; et c'est pourquoi, voulant traiter de la religion dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, nous avons été obligé, pour être compris, d'examiner ce que sont actuellement en France et l'ordre civil et l'ordre politique. Un court résumé des réflexions qu'il nous a paru nécessaire de présenter sur cet important sujet aidera beaucoup à saisir les conséquences que nous ne tarderons pas à en tirer.

Pour quiconque est capable d'assembler deux idées, il est clair qu'à la place de la monarchie chrétienne, dont la révolution qui travaille l'Europe a fait disparaître jusqu'aux dernières traces, nous avons un gouvernement démocratique par essence, mais qui tient de son origine et des circonstances de sa formation un caractère particulier. Car on se tromperait prodigieusement si on le comparait à certaines démocraties que des causes naturelles avaient établies dans le sein de la chrétienté, et qu'on pourrait appeler légitimes. Elles n'étaient, à vrai dire, que des communautés indépendantes où cha

cun avait apporté et conservait des droits égaux, une réunion de familles liées par les mêmes intérèts, et qui, selon des règles convenues, administraient en commun la chose publique. La raison conçoit très-bien une semblable forme de police dans un petit État où règnent des mœurs simples, maintenues par une foi simple comme elles.

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La démocratie de notre temps, toute différente par son principe, repose sur le dogme athée de la souveraineté primitive et absolue du peuple. Considérées en elles-mêmes, nos institutions, sur lesquelles des discoureurs peuvent faire des phrases et bâtir des systèmes sans fin ne sont évidemment que des conséquences de ce dogme absurde. Il règne dans les esprits, il est l'âme de la société et le fond réel, quoique inaperçu, des opinions en apparence les plus divergentes. Combiné avec les idées étroites et matérielles de la politique moderne et la corruption morale qu'elles engendrent, il produit, et dans les lois une anarchie hideuse, et dans l'administration un despotisme tel qu'il n'en exista jamais de si funeste et de si dégradant. A la vue de ce supplice, car c'en est un, on serait tenté de croire qu'il y a des crimes pour lesquels la justice suprême condamne les peuples à être étouffés dans la boue.

Or, la révolution, qu'on a confondue et que l'on continue de confondre avec ce qui n'en fut qu'une horrible circonstance, n'est en réalité que le renversement des doctrines qui, depuis l'origine du monde, ont été le fondement des sociétés humaines. On la reconnaît bien moins à ses atroces violences, qu'à sa haine réfléchie pour le christianisme, qui partout se présente à elle comme un obstacle, et le seul qui retarde son triomphe complet. Aussi n'a-t-elle pas un moment cessé de le poursuivre. Tantôt, en poussant des cris de rage, elle le traîne sur les échafauds, tantôt elle le bannit de la société publique avec toutes les formules du respect, armant contre lui, tour à tour, et la fureur des hommes de sang, et la basse astuce des légistes, et les bouillantes passions de la jeunesse, et la corruption froide de la classe qui se vend, et l'ignorance de la populace, et l'imbécillité mème de quelques bonnes gens qui se croient religieux, qui le sont réellement, et qui, imperturbables dans leur confiance hebétée en des malheureux qui se jouent de leur incurable innocence, s'imaginent faire merveille et sauver la religion toutes les fois qu'ils prononcent contre elle un arrêt de mort.

A l'aide de ces divers moyens, la révolution est parvenue à exclure Dieu de l'État, et à établir l'athéisme dans l'ordre politique et dans l'ordre civil, d'où il passe dans la famille. L'éducation l'y introduit; il s'y propage par l'exemple et par l'influence

secrète et puissante qu'a sur les hommes l'esprit de la société dans laquelle ils vivent.

Mais dès-lors qu'est-ce que la religion pour le gouvernement? que doit être à ses yeux le christianisme? Il est triste de le dire, une institution fondamentalement opposée aux siennes, à ses principes, à ses maximes: un ennemi; et cela, quels que soient les sentiments personnels des hommes en pouvoir. L'État a ses doctrines, dont chaque jour il tire les conséquences dans les actes soit de législation, soit d'administration. La religion a des doctrines essentiellement opposées, dont elle tire aussi les conséquences dans l'enseignement des devoirs et de la foi, et dans l'exercice du ministère pastoral. Il y a donc entre elle et l'État une guerre continuelle, mais qui ne saurait durer toujours. Il faudra nécessairement ou que l'État redevienne chrétien, ou qu'il abolisse le christianisme; projet insensé autant qu'exécrable, et dont la seule tentative amènerait la dissolution totale et dernière de la société.

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Déjà elle chancelle de toutes parts, déjà sa vie s'affaiblit manifestement, à mesure qu'elle se sépare davantage de la religion; et cette effrayante séparation, qu'on s'efforcerait en vain de ne pas apercevoir, s'accroît d'année en année. Dans l'impossibilité actuelle de prononcer son abolition légale, on combat son influence, on restreint son action, on la façonne à l'esclavage, pour en faire, s'il se peut, en la dénaturant, un docile instrument du pouvoir. On redoute, et l'on a raison de redouter, une lutte ouverte où l'Église, qu'on ne subjugue point, puiserait un nouveau courage et des forces nouvelles. A la place de la violence, on emploie contre elle la ruse et la séduction. L'habituer à la servitude, en la flattant et en l'intimidant tour à tour, voilà ce qu'on cherche. On voudrait, non pas former avec elle une alliance sainte pour le triomphe de l'ordre et de la vérité, mais qu'elle se fondit peu à peu dans l'État tel qu'il est, en renonçant à ses croyances, son propre gouvernement, à ses propres lois, c'està-dire en s'anéantissant elle-même; ce qui est arrivé partout où l'unité catholique a été rompue. Les révolutionnaires de tout degré ne dissimulent point à cet égard leurs vœux; et je les loue de leur franchise, parce qu'au moins l'on sait clairement à quoi s'en tenir sur leurs desseins. L'administration tend au mème but, en feignant de les combattre : on l'a déjà vu, et nous n'aurons encore que trop d'occasions de le prouver. Hypocrite dans son langage, pour tromper les simples, elle se refuse obstinément aux améliorations comme aux réformes les plus nécessaires, à tout ce qui contredirait le grand principe de l'athéisme légal; et il n'est pas un seul de ses actes qui n'ait, sinon pour fin, du moins pour effet, de propager dans les esprits l'opinion funeste

à

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