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ou à sortir d'un péril extraordinaire : mais ni la sagesse qui se prescrit des limites, ni la force qui s'arrête, ni la constance qui persévère dans l'exécution d'un plan mûri par la réflexion, rien, en un mot, de ce qui est absolument nécessaire au succès d'un pareil système ne saurait exister dans aucune démocratie. La mobilité des hommes et des choses empèchera toujours que le crédit y soit, pour ainsi dire, gouverné avec plus de suite et de règle que tout le reste. Exagéré bientôt au delà de toute mesure pour satisfaire la cupidité mème qu'il excite, devenu un immense agiotage, il remplace momentanément la conquête, et finit par la ruine générale, qui rend la guerre réelle plus inévitable encore : et l'on peut hardiment prédire que l'époque n'est pas éloignée où l'Europe reverra les armées françaises, animées du même esprit qui fit leur force sous notre première démocratie, reparaître au milieu des nations étonnées; et, si elles demandent d'où vient cette agression nouvelle, on leur dira qu'il y a des temps où les peuples sont contraints de chercher dans les camps une image de la société, et une image du bonheur dans la gloire.

Ce ne sont pas là les seules conséquences qu'entraîne avec soi le gouvernement démocratique, lorsque la religion n'y exerce pas une autorité puis sante et première, ce qui ne s'est jamais vu qu'en des États très-bornés, comme les petits cantons suisses; et alors la démocratie se change de fait en une théocratie véritable. Hors ces cas extrêmement rares, et lorsqu'elle demeure ce qu'elle est par sa propre essence, la démocratie détruit la notion de toute espèce de droit, soit divin, soit humain ; et c'est pour cela que, lorsqu'elle ne vient pas à la suite de l'athéisme, elle l'enfante tôt ou tard. La souveraineté absolue du peuple, telle mème qu'elle est devenue de doctrine publique en Angleterre, où cependant elle est modifiée dans ses applications par la nature aristocratique du gouvernement; la souveraineté du peuple, disons-nous, renferme le principe de l'athéisme, puisque, en vertu de cette souveraineté, le peuple, ou le parlement qui le représente, a le droit de changer et de modifier, quand il lui plait et comme il lui plaît, la religion du pays. Ce droit, que Blackstone attribue sans hésiter au parlement anglais, suppose, ou que toutes les religions sont indifférentes, c'est-à-dire, qu'il n'y a point de Dieu; ou, s'il y a un Dieu, que le parlement peut dispenser de ses commandements, abolir sa loi, ordonner ce qu'il défend, défendre ce qu'il ordonne ce qui évidemment est renverser toute notion du droit divin. Mais dès-lors comment pourrait-il exister quelque autre droit, et sur quoi reposerait-il? La raison, la loi, la justice n'est plus que ce que veut le peuple, ou le pouvoir qui re

présente le peuple : et c'est ce qu'ont très-bien vu le protestant Jurieu et Jean-Jacques Rousseau, qui admettent l'un et l'autre formellement cette conséquence.

Il suit de là manifestement que la démocratie, qu'on nous représente comme le terme extrême de la liberté, n'est que le dernier excès du despotisme: car, quelque absolu qu'on le suppose, le despotisme d'un seul a pourtant des limites; le despotisme de tous n'en a point: et voilà pourquoi les démocraties finissent toujours par un despote; après elles, il n'est rien qui ne paraisse tolérable au peuple.

La démocratie n'étant autre chose, ainsi qu'on vient de le voir, que le plus haut degré du despotisme, son action publique doit nécessairement présenter le même caractère. Quand donc on se plaint en France de l'administration, du ministère, quand on lui reproche d'être despotique, on se plaint que l'administration soit ce qu'elle est forcée d'ètre, on reproche au ministère ce qui ne dépend de lui en aucune façon. Toute espèce de gouvernement a ses conditions inévitables. Les hommes peuvent bien sans doute y mêler leurs passions, leurs vices, leur bassesse propre, et même il est rare qu'ils y manquent; mais ils ne sauraient changer la nature des choses; ils ne peuvent pas plus empêcher que l'action de la démocratie soit le despotisme, qu'ils ne peuvent empêcher une conséquence de sortir de son principe : et ceci nous conduit à de nouvelles considérations.

Nous avons montré que le ministère, simple agent des deux chambres, et administrant pour elles, était dans une dépendance absolue de leurs volontés. Or, telle est, dans les assemblées démocratiques nombreuses, la mobilité des opinions, des passions, des intérêts, en un mot de tout ce qui détermine les hommes à se réunir dans une volonté commune, que nulle majorité n'y saurait être assez durable pour que l'administration eût seulement une légère apparence de stabilité, si le principe du gouvernement, son esprit, ne fournissait pas au ministère le moyen de donner une fixité plus grande à cette majorité, qui lui est indispensable pour se maintenir, au moins quelque temps. A peine le souverain, c'est-à-dire le parlement, l'aurait-il choisi, qu'il s'apprèterait à le renverser, si le ministère ne réagissait sur le souverain par la corruption voyez l'Angleterre. Honneurs, emplois, argent, tout sera promis, tout sera donné pour obtenir et pour conserver la pluralité des suffrages; la corruption s'étendra du souverain à ceux qui élisent le souverain; elle pénétrera, par la contagion de l'exemple, jusque dans les dernières classes du peuple; et peut-être, après tout, sera-ce pour lui

une occasion d'apprendre que la conscience est pourtant quelque chose, puisque enfin cela se vend et s'achète.

Venir, dans un pareil système, réclamer des lois, des réglements, faire valoir des services rendus, des titres acquis, c'est presque une extravagance, c'est demander le renversement complet du gouvernement. La justice distributive dans l'administration serait la mort du ministère livré sans défense aux attaques de toutes les ambitions. Qui jamais lui permettrait de régner pour lui seul, de recueillir seul les avantages de la souveraineté, tandis que le souverain, dont il n'est que l'agent, languirait dans l'angoisse éternelle du désir? Il faut donc qu'il administre au profit du souverain, et dès-lors qu'il administre despotiquement, par deux raisons : et parce que les grâces, les faveurs, doivent être accordées, justement ou non, à ceux de qui dépend son existence; et parce que le despotisme administratif est le seul obstacle qui puisse, dans les démocraties, contenir quelque temps les violences de la multitude sans cesse provoquées par ceux qui spéculent sur ses passions et sur ses erreurs.

Chez un peuple ainsi constitué, la législation, soumise à mille influences variables, représentera dans son ensemble les triomphes successifs des opinions et des intérêts les plus opposés; à chaque page on y lira les vicissitudes du pouvoir, les craintes et les espérances des partis, les victoires des factions. L'administration n'offrira qu'incohérence et caprice, un flux et reflux perpétuel de mesures contradictoires, et des déplacements sans fin. L'estime ne s'attachera plus aux fonctions, mais aux appointements. Ainsi, plus de services gratuits. Autrefois on se dévouait, maintenant on se vendra; quelques chiffres pourront exprimer ce que l'État demande, ce qu'on lui promet; et le ministère, à chaque article de son tarif dégradant, aura soin de stipuler une lâche et servile obéissance. Toute charge, quelque haute qu'elle soit, sera dèslors placée entre le mépris qu'elle inspire et la convoitise qu'elle excite, à cause de ce qu'elle vaut d'argent. Il y aura mème, en certains cas, un revenu attribué à l'honneur, afin que quelques-uns en veuillent. Le trésor devra solder tous les désirs qu'on redoute il paiera les discours, il paiera le silence même. Les finances deviendront une immense loterie, vers laquelle afflueront toutes les cupidités. Dans le délire universel, les mots changeront de valeur : les dettes s'appelleront richesse ; on échangera avidement ses terres contre un morceau de papier ce sera le temps de l'imagination.

Un mouvement prodigieux, sans aucun but connu, sans direction constante, agitera la société. Dans l'instabilité générale, chacun, sentant que

tout lui échappe, que la famille mème n'a plus de garantie de durée, ne regardera que soi, ne pensera qu'à soi. Également privés d'avenir et de passé, sans ancêtres dont le souvenir ait désormais quelque prix, sans postérité sur laquelle ils puissent fonder un sage espoir, isolés dans le temps comme dans la vie, les hommes demanderont au jour présent ce qu'au sein d'une vraie société les siècles seuls accordent. Ils voudront tout, et tout à la fois. Des extrémités de l'ordre social, si ce mot a ici un sens, on les verra se précipiter, accourir en foule pour passer à travers les richesses, les grandeurs, le pouvoir. Qui restera ferme alors? qui ne cédera pas à l'entrainement, à la séduction générale ? S'il en est, qu'ils rendent grâce à Dieu; c'est lui qui les aura sauvés. La probité, la vertu, la religion mème, succomberont en plusieurs, qui se mettront à raisonner avec leur conscience, à se dire que pourtant on ne doit non plus rien exagérer; qu'on a des devoirs envers les siens ; que trop de roideur achèverait de tout perdre; que la sagesse conseille de se prêter aux circonstances; que le bien, tel qu'on le voudrait, n'est plus de saison; que c'est beaucoup déjà d'éviter l'excès du mal; et, en croyant ne choisir qu'entre deux maux, souvent ils choisiront entre deux crimes. La lâcheté, dans le langage de ce temps, s'appellera modération. De tristes exemples seront donnés; on en fera des modèles : car il faudra bien qu'à cette époque de vertige et de bouleversement la faiblesse ait son lustre, et le scandale sa gloire.

Jamais les charges publiques n'auront été si pesantes; on taxera jusqu'à la lumière. Dans les siècles de servitude on prélevait la dime des gerbes; dans le siècle de la liberté on prélèvera celle des hommes. De là un nouveau genre de trafic, plus ou moins étendu, plus ou moins lucratif, selon les consommations de la guerre. On achètera, pour les revendre des créatures humaines, et nul ne s'en étonnera; que sait-on si, au contraire, on n'y verra pas un progrès de l'industrie, qui pourra figurer dans le tableau de la prospérité nationale?

Il y aura dans les âmes un tel avilissement que l'on ne comprendra plus aucun sentiment noble, et que la simple probité deviendra presque incompatible avec tout ce que le pouvoir exigera de ses agents, suivant les moments et les circonstances. Ce sera, certes, une grande affliction pour les honnêtes gens qui aiment les places. Afin de sortir de cet embarras, ils sépareront ingénieusement l'homme public de l'homme privé; de sorte qu'en demeurant irréprochable comme homme privé, on pourra, comme homme public, ètre, en sûreté de conscience et d'honneur, le dernier des misérables.

Cette heureuse distinction une fois établie, l'administration marchera sans gène : certaine d'être obéie, elle pourra tout commander, mème les plus révoltantes vexations, même les plus viles pratiques. Rien désormais ne sera respecté : les confidences intimes de la confiance et de l'amitié, les secrets des familles, tout ce qu'il y a de plus sacré sur la terre, sera violé impudemment pour tranquilliser une lâche défiance, ou pour satisfaire une infâme curiosité.

Cependant la politique, bornée aux intrigues intérieures, et n'étant plus qu'une dispute de places, la nation perdra rapidement toute considération et toute influence au dehors; elle sera livrée aux hommes d'argent, et, pour peu qu'on y rève quelque profit, vendue peut-être à un juif.

Les spéculations particulières se mêlant à celles de l'État, et se multipliant à l'infini, il s'établira une circulation toujours plus active, et toujours plus effrayante, des fortunes réelles et des fortunes fictives créées par le crédit. L'industrie épuisera toutes ses combinaisons pour entretenir ce mouvement et pour l'accroître. Les sciences mêmes viendront au secours. On perfectionnera les procédés des métiers, des arts, on en inventera de nouveaux ; on tirera de la matière tout ce qu'elle peut donner, tout ce que les sens peuvent lui demander de jouissances; et, jusqu'au moment où cet édifice d'illusions et de folies disparaitra dans le gouffre d'une ruine universelle, on se récriera sur les progrès de la civili- | sation et de la prospérité publique.

Cependant la raison s'affaiblira visiblement. On contemplera avec surprise et comme quelque chose d'étrange les plus simples vérités, et ce sera beaucoup si on les tolère. Les esprits s'en iront poursuivant au hasard, dans des routes diverses, les fantômes qu'ils se seront faits. Les uns s'applaudiront de leur sagesse qui n'admet rien que de positif, c'est-à-dire ce qui se voit, ce qui se touche, ce qui se laisse manier avec la main; les autres se passionneront pour des rèves, et, plaignant le genre humain de son opiniâtre attachement à des idées qui ne durent après tout que depuis six mille ans, voudront, pour son bonheur, le forcer à vivre de leurs immortelles abstractions. Tous, quelles que soient leurs pensées, leurs opinions particulières, s'accorderont pour rejeter l'unanime enseignement des siècles. Il sera convenu que rien de ce qui fut ne peut plus être; que le monde doit changer; qu'il faut à ses lumières présentes une nouvelle morale, une religion nouvelle, un Dieu nouveau. En attendant qu'on le découvre, nous allons faire voir qu'en France l'État a cessé de reconnaître

l'ancien.

CHAPITRE II.

Que la religion, en France, est entièrement hors de la société politique et civile, et que par conséquent l'État est athée.

La révolution française, dont les causes remontent beaucoup plus haut qu'on ne se l'imagine généralement, ne fut qu'une application rigoureusement exacte des dernières conséquences du protestantisme, qui, né des tristes discussions qu'excita le schisme d'Occident, enfanta lui-même à son tour la philosophie du dix-huitième siècle. On avait nié le pouvoir dans la société religieuse, il fallut nécessairement le nier aussi dans la société politique, et substituer dans l'une et dans l'autre la raison et la volonté de chaque homme à la raison et à la volonté de Dieu, base immuable, universelle, de toute vérité, de toute loi et de tout devoir. Chacun dès-lors, ne dépendant plus que de soi-même, dut jouir d'une pleine souveraineté, dut être son maître, son roi, son Dieu. Tous les liens qui unissent les hommes entre eux et avec leur auteur étant ainsi brisés, il ne resta plus pour religion que l'athéisme, et que l'anarchie pour société.

Les affreuses proscriptions qui ensanglantèrent la France à cette époque de crime, proscriptions qu'on a depuis appelées des égarements, révélèrent tout ce qu'il y avait au fond des doctrines philosophiques, dont le triomphe proclamé au milieu des ruines, sur l'échafaud où montaient chaque jour et le prêtre, et le noble, et le savant, et le riche, et le pauvre, et l'enfant même, semblait être une orgie de l'enfer.

Ces épouvantables horreurs renfermaient dans leurs excès mème le terme de leur durée. Le meurtre s'arrêta, mais les doctrines restèrent elles n'ont pas un moment cessé de régner; leur autorité, loin de s'affaiblir, se légitime de jour en jour. Elles deviennent une espèce de symbole national consacré par les institutions publiques, et révéré de ceux mêmes qui l'avaient longtemps combattu. Dans l'ordre politique, nous en sommes encore, sous des formes et des noms différents, à la pure démocratie; elle gouverne et administre selon l'esprit qui lui est propre, et d'après les maximes du droit philosophique qui a fait la révolution. Partout on en trouve les conséquences, au grand étonnement de ceux qui croient vivre dans un État chrétien, sous un gouvernement monarchique, et qui, dans l'erreur de leur esprit, s'en prennent injustement aux volontés particulières de quelques hommes, de ce qui n'est que le résultat naturel, inévitable, des principes et des choses.

«dividu de se former,

Bonaparte, qu'il faut louer de ce qu'il a fait de bien, mit fin, par le Concordat, aux persécutions religieuses du Directoire et de la Convention. Il rendit aux catholiques le libre exercice de leur culte, mais par un simple acte de tolérance, ou de protection bornée aux individus : l'État, pendant son règne, n'en demeura pas moins athée; et rien depuis n'a été changé à ce qui existait sous ce rapport.

Combien de fois n'a-t-on pas remarqué que l'on chercherait en vain le nom de Dieu dans nos Codes, seul monument de ce genre où l'homme apparaisse pour commander à l'homme en son propre nom! Si ce recueil d'ordonnances humaines passait aux siècles futurs, sans qu'aucun autre souvenir de notre temps leur parvint, ils se demanderaient avec effroi si l'idée de la Cause suprême, du souverain Législateur, s'était donc perdue chez ce peuple; et, méditant l'oubli profond dans lequel il est tombé, ils s'efforceraient de jeter encore un voile plus épais sur sa mémoire.

La Charte, il est vrai, déclare que la religion catholique est la religion de l'État ; mais que signifient ces paroles? et comment y voir autre chose que l'énonciation d'un simple fait, savoir, que le plus grand nombre des Français professent la religion catholique, lorsque cette même Charte déclare aussi que l'État accorde une égale protection à tous les cultes légalement établis en France? Et, de fait, les ministres de ces cultes divers ne sont-ils pas nommés, ou au moins approuvés par l'État? ne reçoivent-ils pas de lui une rétribution? n'alloue-t-on pas chaque année des fonds pour l'entretien et pour la construction de leurs temples? ne jouissent-ils pas d'autant de priviléges que le clergé catholique? ne sont-ils pas même, à certains égards, traités avec plus de faveur? Or, l'État qui accorde une protection égale aux cultes les plus opposés, n'a évidemment aucun culte; l'État qui paie les ministres pour enseigner des doctrines contradictoires, n'a évidemment aucune foi; l'État qui n'a aucune foi, ni aucun culte, est évidemment athée. Ce sont là des choses trop claires pour qu'on puisse les contester; et aussi ont-elles été solennellement reconnues, en 1817, par le tribunal institué pour empêcher que nos lois ne reçoivent de fausse interprétation. Il s'agissait de savoir (nous citons le Conserva«teur) si l'autorité publique pouvait exiger de chaque citoyen des témoignages extérieurs de res«pect pour la religion de l'État. L'avocat de la partie appelante soutint que ce serait violer la « liberté des cultes établie par la Charte ; que, dans « l'esprit de nos lois, cette liberté devait s'étendre « à toutes les religions qu'il plairait à chaque in

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(1) Conservateur, tom. V, 65e livraison.

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adoptât aucune. Et, comme on avait montré, à l'occasion d'un mémoire publié précédemment « par le même avocat, que l'athéisme légal était « une conséquence nécessaire de l'interprétation « qu'il donnait à la Charte, il lui a fallu, pour l'in«térêt de sa cause, avouer hautement cette consé«quence, et même s'en prévaloir, comme du principe fondamental de la décision que le tribunal «allait rendre. Oui, a-t-il dit, la loi en France « est athée, et doit l'étre...

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«Toutes les sections de la cour de cassation, « réunies et présidées par M. le garde des sceaux, << ont rendu un jugement conforme aux conclusions « de M. Barrot, malgré l'éloquence énergique de « l'illustre défenseur de Louis XVI, et la vive op«position de plusieurs conseillers et quand ils « ont demandé que le mémoire où se trouvent les paroles qu'on vient de lire fût censuré, on leur « a répondu, avec raison, que les deux arrêts se«raient contradictoires; et la doctrine de l'a<< théisme légal a triomphé (1). »

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Les esprits alors étaient frappés de ce caractère hideux imprimé à nos lois par la révolution. M. de Châteaubriand écrivait à la même époque : « Au«jourd'hui, c'est le ministre de la justice qui com« bat jusqu'au nom de la religion, qui écarte de << nos transactions politiques la loi divine, comme « peu nécessaire sans doute aux règles humaines. « Il est tout simple alors que l'éducation ressemble << à la religion; il est inutile de créer des hommes « croyants pour des lois athées (2). »

On s'est fort calmé depuis ce temps-là; tant les hommes se font à tout! Et puis l'on ne saurait penser perpétuellement à Dieu; il faut bien aussi penser un peu à soi c'est, dans notre siècle, le zèle qui s'use le moins, et il y a souvent lieu d'admirer toutes les formes qu'il sait prendre, et toutes celles qu'il sait quitter.

L'esprit de notre législation et les principes qui en sont le fondement jettent quelquefois les hommes qui gouvernent en d'étranges embarras, lorsqu'ils essaient de concilier ces principes athées avec le besoin de l'ordre, avec les vœux de la partie de la nation restée chrétienne. Rien de plus instructif à observer que cette espèce de combat entre l'ancienne foi, la foi du genre humain, et les maximes nouvelles que la philosophie a données pour base à la société. Deux projets de loi, l'un sur le sacrilége, l'autre sur les communautés religieuses de femmes, ont été présentés aux Chambres en 1825. Les tribunaux n'avaient pu jusqu'alors punir les vols commis dans les églises, parce que, d'après nos Codes, la

(2) Ibid., 41e livraison, 1819.

rendue au nom de Dieu; qu'il ne faudrait donc non plus jamais parler de Dieu à aucun criminel conduit à l'échafaud, à moins qu'on ne pût lui dire : C'est l'homme seul qui vous condamne; on va vous as

maison de Dieu était considérée comme inhabitée. En 1824, le gouvernement, effrayé du grand nombre de vols sacriléges qui se commettaient, proposa de l'assimiler aux lieux qui servent d'asile à nos animaux domestiques, ou, suivant la juste expres-sassiner, et c'est pourquoi vous pouvez, sans com

sion de M. l'évêque de Troyes, de l'élever à la dignité d'une étable! On avait soigneusement exclu de ce projet de loi le mot de sacrilége : et, si on s'est cru obligé de le laisser paraître dans la loi de 1825, en revanche on y chercherait inutilement le nom de Dieu; parce qu'en effet le sacrilége, selon les auteurs du projet, n'est pas un crime contre Dieu, mais contre les opinions, les sentiments et les croyances des peuples.

La discussion, dans la Chambre des Pairs, ayant porté principalement sur la nature et le degré des peines qu'on infligerait aux malheureux qui se rendent coupables de sacrilége, nous sommes bien aise de dire ici que la religion était tout à fait étrangère à cette question. Elle a miséricorde pour tous ceux qui se repentent, et même pour ceux à qui la société ne peut ni ne doit pardonner. Que celui qui a reçu le glaive use du glaive pour faire respecter Dieu et sa loi, c'est son devoir; car nul ordre n'existerait sans cela sur la terre. Mais la religion n'a point de bourreaux ; et quand le crime, poursuivi au dehors par la justice humaine, au dedans par les remords, ne sait plus où se réfugier, elle lui ouvre son sein, et là encore il trouve et la paix et des espérances immortelles.

Toutefois ce serait une profonde et dangereuse erreur de conclure de là, contre l'exemple universel des peuples anciens et des nations chrétiennes, que la société abuse du droit de vie et de mort qu'elle a sur ses membres, lorsqu'elle punit le sacrilége de la peine capitale; et nous avons peine à comprendre comment ces paroles ont pu être prononcées devant la Chambre des Pairs.

« N'arrêtez pas mes regards sur la dernière con« séquence de la loi, ou vous me ferez frémir. La « voici tout entière, cette dernière conséquence : <«<l'homme sacrilége, conduit à l'échafaud, devrait << y marcher seul et sans l'assistance d'un prètre ; << car que lui dira ce prètre? Il lui dira sans doute: « Jésus-Christ vous pardonne. Et que lui répondra «le criminel? Mais la loi me condamne au nom de Jésus-Christ (1). »

Ce sophisme n'était pas digne de celui qui se l'est permis. Un enfant répondrait que l'homme ne pouvant condamner justement l'homme à mort, qu'en vertu d'un pouvoir au-dessus du sien, toute sentence de mort, si elle n'est pas un meurtre, est

(1) Opinion de M. le vicomte de Châteaubriand sur l'art. IV du projet de loi relatif au sacrilege.

TOME II.

mettre votre raison, vous réconcilier avec Dieu et croire qu'il vous pardonne. Tout cela montre ce que deviennent les lois, et l'esprit des lois, et celui des législateurs, sous les gouvernements athées.

Et remarquez les progrès que ce genre d'athéisme fait parmi nous d'année en année. En 1824, on avait demandé que, dans la loi du sacrilége, on ne parlat que de la religion catholique, apostolique, romaine, sauf à statuer, par une autre loi, sur les vols commis dans les synagogues et les temples protestants. En 1825, aucune voix ne s'est élevée dans la Chambre des Pairs, qui compte treize évêques dans son sein, pour réclamer cette séparation; de sorte qu'il a été légalement reconnu, sans la moindre opposition, qu'enlever dans un prèche calviniste une table, un banc, une nappe, ou une Bible dans une synagogue, était un véritable sacrilége: par conséquent, les objets employés à ces divers cultes ne sont ni plus ni moins sacrés que ceux à l'usage du culte catholique; que dès-lors l'État considère tous ces cultes comme également vrais, ou plutôt comme également faux : c'est-àdire que l'État s'est de nouveau déclaré athée.

Il ne faut assurément pas de grands efforts d'esprit pour comprendre une chose si claire : mais, si l'on souhaite de plus l'aveu précis du gouvernement, nous le produirons.

Dans un discours extrêmement remarquable, prononcé devant les Députés, un homme d'un mérite incontestable, et d'une rare habileté de raisonnement, a réduit à un petit nombre de questions, aussi simples qu'importantes, toute la controverse qu'a fait naître la loi sur le sacrilége. On ne saurait être plus loin que nous le sommes de partager les opinions de M. Royer-Collard; mais nous devons avouer que, dans ce siècle si fertile en sophistes niais, on est heureux de rencontrer un adversaire dont les idées sont liées entre elles, qui part de principes nettement posés, en admet les conséquences, au moins presque toujours, avec qui l'on peut dès-lors discuter sans dégoût.

En attaquant le projet de loi, il commence par prouver d'une manière invincible que les dispositions pénales qu'il contient sont, au plus haut degré, iniques, odieuses, impies, si la loi ne suppose pas la vérité des dogmes d'où dépend la réalité du sacrilége dans chaque cas particulier : qu'ainsi, par exemple, s'il n'est pas légalement vrai que JésusChrist, Dieu et homme, soit présent sous les espèces consacrées, le supplice infligé aux profanateurs des

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