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EN MATIÈRE DE RELIGION.

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verseroit l'ordre que Dieu a établi, et qui est fondé sur la transmission des connoissances nécessaires par le témoignage? Ne voit-on pas que ce qu'on demande par rapport à la prophétie, on pourroit le demander avec autant de raison pour tout le reste, et que cette question particulière implique une question générale que voici : Pourquoi Dieu ne révèle-t-il pas immédiatement à chaque homme ce qu'il est nécessaire que chaque homme sache? c'est-à-dire, Pourquoi chacun de nous n'est-il pas indépendant? pourquoi la société existe-t-elle? pourquoi le langage, la tradition, l'autorité, l'obéissance? pourquoi la foi? pourquoi la religion? pourquoi l'homme? A cela nous n'avons qu'un mot à répondre : Demandez-le à celui qui l'a fait.

Loin donc que la prophétie ou la prédiction des choses futures que l'homme n'a pu connoître que par une révélation divine soit incroyable en elle-même, il est impossible, l'homme existant, de concevoir qu'elle n'existe pas. Et comme les motifs pour lesquels Dieu se détermine à révéler l'avenir peuvent et doivent échapper souvent à notre intelligence, toutes les questions qu'on peut raisonnablement former sur les prophéties se réduisent à deux questions de fait, l'existence même de la prophétie et son accomplissement; en d'autres termes : Est-il certain que telle prophétie ait été faite? Est-il certain qu'elle soit accomplie? deux points dont on peut s'assurer comme de tous les autres faits, par le témoignage.

Cette simple observation suffit pour faire sentir

l'immense absurdité de ce que dit Rousseau dans l'Émile : « Aucune prophétie ne sauroit faire autorité » pour moi, parce que pour qu'elles la fissent, il fau>> droit trois choses dont le concours est impossible, » savoir, que j'eusse été témoin de la prophétie, que » je fusse témoin de l'événement, et qu'il me fût dé>> montré que cet événement n'a pu cadrer fortuite» ment avec la prophétie : car, fùt-elle plus précise, » plus claire, plus lumineuse qu'un axiome de géo» métrie; puisque la clarté d'une prédiction faite au » hasard n'en rend pas l'accomplissement impossible, >> cet accomplissement, quand il a lieu, ne prouve >> rien, à la rigueur, pour celui qui l'a prédit (1).

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Reprenons les questions posées plus haut: Est-il certain que telle prophétie ait éte faite? Est-il certain qu'elle soit accomplie? Pour en être certain, répond Rousseau, il faudroit que j'eusse été témoin de la prophétie et que je le fusse de l'événement. On ne peut donc, suivant Rousseau, être certain qu'une chose ait été dite, à moins qu'on ne l'ait entendue soi-même; qu'un événement soit arrivé, à moins de l'avoir vu de ses propres yeux. Il accorde donc plus de confiance au témoignage unique de ses sens qu'au témoignage uniforme des sens de plusieurs hommes, et même de tous les hommes: car rien ne modifie sa proposition. Il nie donc la possibilité de s'assurer d'aucun fait par le témoignage. Il nie spécialement qu'on puisse être certain de l'authenticité d'un livre quelconque, puis

(1) Émile, liv. IV, tom. III, p. 23 et 24. Ed. de 1793.

que la nature des choses qu'il renferme est indifférente dans le cas présent. S'il est, en effet, permis de douter du témoignage général des hommes quand ils affirment qu'un autre homme a dit ou écrit que le soleil cesseroit de se lever l'an prochain, il est également permis de douter de leur témoignage quand ils affirment qu'un homme a dit ou écrit que le soleil s'est levé l'an dernier. Que si vous supposez que les sens d'un grand nombre d'hommes ont pu les tromper en cette circonstance, qu'il est possible qu'ils aient cru voir ou entendre ce qu'ils n'ont ni entendu ni vu; sur quel fondement prétendrez-vous que vous ne pouvez être vous-même trompé par vos sens, que leur rapport est toujours fidèle, que seul d'entre les mortels vous voyez toujours réellement ce que vous croyez voir, vous entendez ce que vous croyez entendre, et que la certitude, refusée au reste du genre humain, est un privilége personnel qui n'appartient qu'à vous?

Ce n'est pas tout il existe une multitude de faits dont jamais aucun homme ne pourroit être certain, d'après les maximes de Rousseau; et ce sont précisément les faits qui, au jugement de tous les hommes, sont le moins susceptibles de doute, les faits qui intéressent un pays, un peuple entier, qui se manifestent à la fois en plusieurs lieux, et souvent ne s'accomplissent que dans un temps assez long: par exemple, une vaste inondation, une peste universelle, un soulèvement général, une conquête, la chute d'un empire. Afin d'acquérir le droit de douter des prophéties, parmi lesquelles il en est qui annoncent de semblables

événemens, Rousseau renverse donc la base de toutes les histoires aussi-bien que de toutes les sciences, qui se composent presque entièrement de faits généraux connus seulement par le témoignage, d'observations et de calculs si nombreux, qu'un homme ne pourroit sans folie entreprendre de les vérifier. Il renverse la société même, il détruit le fondement de toutes les re-. lations qu'elle établit entre les hommes, puisqu'il n'est possible à aucun d'eux de s'assurer par ses propres sens de l'existence de toutes les lois, de toutes les institutions, de toutes les coutumes et de tous les traités, en un mot des faits innombrables sur lesquels repose l'ordre public et le commerce du genre humain.

Outre la condition d'être témoin de la prophétie et de l'événement qu'elle annonce, Rousseau veut encore qu'il lui soit démontré que cet événement n'a pu cadrer fortuitement avec la prophétie; parce que, dit-il, la clarté d'une prophétie faite au hasard n'en rend pas l'accomplissement impossible. D'où il suit que, selon Rousseau, on ne sauroit être certain qu'une prédiction est réellement prophétique que lorsque son accomplissement est impossible. Ainsi, d'un côté, s'il y a prophétie, il est impossible qu'elle s'accomplisse, c'està-dire qu'il n'y a pas prophétie; et, d'un autre côté, si elle s'accomplit, ce n'est pas une prophétie, puisque l'événement prouve que son accomplissement étoit possible. N'admirez-vous pas cette puissante logique?

Si Rousseau, quoique ses paroles n'admettent guère cette explication, prétend seulement qu'on doit être

certain que l'accomplissement de la prophétie n'est pas un simple effet du hasard, il ne dit rien que tous les hommes n'avouent sans difficulté; et tous encore ils lui diront, avec l'orateur romain, « que >> le hasard n'imite jamais parfaitement la vérité, >> qu'il ne lui ressemble jamais en tout point (1), » que le sens commun distingue aisément ce qui peut être un effet fortuit, de ce qu'on doit attribuer à une cause certaine, sans quoi, ne pouvant pas même soup.çonner l'existence de l'ordre, nous n'en aurions aucune idée.

« Je ne dois point être surpris qu'une chose arrive » lorsqu'elle est possible, et que la difficulté de l'é>> vénement est compensée par la quantité des jets, >> j'en conviens. Cependant si l'on me venoit dire que >> des caractères d'imprimerie, projetés au hasard, » ont donné l'Enéide tout arrangée, je ne daignerois >> pas faire un pas pour aller vérifier le mensonge. >> Vous oubliez, me dira-t-on, la quantité des jets; >>> mais de ces jets-là combien faut-il que j'en suppose » pour rendre la combinaison vraisemblable? Pour >> moi, qui n'en vois qu'un seul, j'ai l'infini à parier

(1) Quidquam casu esse factum, quod omnes habet in se numeros veritatis? Quatuor tali jacti casu venereum efficiunt; numetiam centum venereos, si CCCC talos jeceris, casu futuros putas? Adspersa temerè pigmenta in tabula, oris lineamenta effingere possunt; num etiam Veneris Coc pulchritudinem effingi posse adspersione fortuitâ putas? Sus rostro si humi A litteram impresserit, num proptereà suspicari poteris Andromacham Ennii ab eà posse describi ?... Sic enim se profectò res habet, ut nunquàm perfectè veritatem casus imitetur. Cicer. de Divinat., lib. I, cap. XIII, n. 23.

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