Oldalképek
PDF
ePub

De plus le Roi est malheureusement trop âgé pour pouvoir compter qu'il verra son successeur en âge de gouverner d'abord après lui. Quand même on seroit assez heureux pour éviter une minorité selon la loi, c'est-à-dire, au dessous de quatorze ans, il seroit impossible d'éviter une minorité réelle, où un enfant ne fait que prêter son nom au plus fort. Il n'y a aucun remède entièrement sûr contre les dangers de cet état des affaires. Mais si la prudence humaine peut faire quelque chose d'utile, c'est de profiter dès demain à la hâte de tous les momens pour établir un gouvernement et une éducation du jeune prince, qui se trouve déjà affermi, si par malheur le Roi vient à nous manquer. Son honneur, sa gloire, son amour pour la maison royale et pour ses peuples, enfin sa conscience exigent rigoureusement de lui, qu'il prenne toutes les sûretés que la sagesse humaine peut prendre à cet égard. Ce seroit exposer au plus horrible péril l'État et l'Église même, que de n'être pas occupé de cette affaire capitale par préférence à toutes les autres. C'est là-dessus qu'il faut tâcher de persuader, par les instrumens convenables, Mme de Maintenon et tous les ministres, pour les réunir, afin qu'ils fassent les derniers efforts auprès du Roi. Le père confesseur doit aussi sans doute y entrer, avec toute la force possible, pour l'intérêt de la religion qui saute aux yeux. Il y auroit des réflexions infinies à faire là-dessus; mais vous les ferez mieux que moi je n'en ai ni le temps ni la force. Je prie notre Seigneur qu'il vous inspire; jamais nous n'en eûmes un si grand besoin.

On m'a dit que Mm la duchesse de Chevreuse a

été malade; j'en suis bien en peine. O mon Dieu, que la vraie amitié cause de douleur!

175 ** R.

AU DUC DE CHAULNES.

Sur l'abandon à Dieu. Inquiétudes de Fénelon sur la santé du duc de Chevreuse.

A Cambrai, 4 mars 1712.

JE ne puis, mon bon et cher duc, résister à la volonté de Dieu qui nous écrase. Il sait ce que je souffre; mais enfin c'est sa main qui frappe, et nous le méritons. Il n'y a qu'à se détacher du monde et de soi-même; il n'y a qu'à s'abandonner sans réserve aux desseins de Dieu. Nous en nourrissons notre amourpropre, quand ils flattent nos désirs; mais quand ils n'ont rien que de dur et de détruisant, notre amourpropre hypocrite, et déguisé en dévotion, se révolte contre la croix; et il dit, comme saint Pierre le disoit de la passion de Jésus-Christ: Cela ne vous arrivera point (a). O mon cher duc, mourons de bonne foi!

J'ai été bien en peine de la santé de M. le duc de Chevreuse. Voyez avec madame la duchesse de Chevreuse et M. Soraci les moyens de le conserver par un bon régime. Mille respects ȧ madame la duchesse de Chaulnes. En vérité, personne n'est plus attaché à elle que j'y suis pour le reste de mes jours. Je

(a) Matth. xvI. 22.

donnerois ma vie pour vous deux. Soyez tout à Dieu; aimez-moi. Je vous suis dévoué à jamais sans bornes.

176.

AU DUC DE CHEVREUSE.

Il l'engage à écouter de sa part l'abbé de Beaumont sur les mesures à prendre. Représentations à faire à Mme de Maintenon. Politique de l'évêque de Meaux. Inquiétudes sur les papiers qu'on pouvoit avoir trouvés chez le Dauphin.

[ocr errors]

A Cambrai, 8 mars 1712.

JE commence mon bon duc, par vous conjurer de faire attention avec confiance à tout ce que l'abbé de Beaumont vous dira pour moi. C'est la sincérité et la droiture même : il n'y a presque point de cœur comme le sien; son secret est à toute épreuve. Ses vues ne sont pas infaillibles; mais il approfondit et embrasse il mérite d'être écouté.

:

Je donnerois ma vie non-seulement pour l'État, mais encore pour les enfans de notre très-cher prince, qui est encore plus avant dans mon cœur que pendant sa vie. Vous aurez la bonté d'examiner tout ce qui m'a passé par la tête ".

Je croirois que le bon (duc de Beauvilliers) feroit bien d'aller voir madame de Maintenon, et de lui parler à cœur ouvert, indépendamment du refroi

(1) Il est vraisemblable que ce fut peu de jours après cette entrevue de l'abbé de Beaumont avec le duc de Chevreuse, que Fénelon rédigea les Memoires politiques, datés de 1712, et qu'on a vus plus haut, tom. XXII, pag. 600 et suiv.

dissement passé. Il pourroit lui faire entendre qu'il ne s'agit d'aucun intérêt, ni direct ni indirect, mais de la sûreté de l'État, du repos et de la conservation du Roi, de sa gloire et de sa conscience, puisqu'il doit, autant qu'il le peut, pourvoir à l'avenir. Ensuite il pourroit lui dire toutes ses principales vues, et puis concerter avec elle ce qu'il diroit au Roi.

Je ne propose point ceci sur l'espérance qu'elle soit l'instrument de Dieu pour faire de grands biens. Je ne crains que trop qu'elle sera occupée des jalousies, des délicatesses, des ombrages, des aversions, des dépits, et des finesses de femme. Je ne crains que trop qu'elle n'entrera que dans des partis foibles, superficiels, flatteurs pour endormir le Roi, et pour éblouir le public, sans aucune proportion avec les pressans besoins de l'État. Mais enfin Dieu se plaît å se servir de tout. Il faut au moins tâcher d'apaiser madame de Maintenon, afin qu'elle n'empêche pas les résolutions les plus nécessaires. Le bon (duc de Beauvilliers) lui doit même ces égards dans cette conjoncture unique, après toutes les choses qu'elle a faites autrefois pour son avancement.

Si on fait un conseil de régence, vous seriez coupable devant Dieu et devant les hommes, si vous refusiez d'en être. Vous vous trouvez le plus ancien duc d'âge et de rang qui puisse secourir l'État; vous savez tout ce que les autres ignorent; vous devez infiniment au Roi et à la maison royale; vous devez encore plus à notre cher prince mort, et à ses deux enfans, exposés à tant d'horribles malheurs, que vous ne devicz à lui vivant et en pleine prospérité. Vos

soins et vos négociations ne seroient rien, en comparaison du poids de votre suffrage dans un corps ignorant et foible. Il faut se sacrifier sans ménagement. Si vous ne daignez pas m'en croire, consultez N..... Mandez-lui ma pensée, et suivez la sienne. Vous manquerez à Dieu, si par vertu scrupuleuse, ou humilité à contre-temps, vous prenez un autre parti.

:

M. Girard (l'évêque de Meaux) vous dit qu'il désire que Rome condamne le système des deux délectations c'est pour demeurer libre en faveur de ses anciens préjugés, jusqu'à ce qu'il en soit dépossédé par une décision qu'il doute fort qu'on voie venir. Je ne doute pas qu'il n'ait fait bien des pas pour contenter notre cher prince, pour n'effaroucher pas le Roi, pour ne donner aucun ombrage à M. Bourdon (P. Le Tellier); mais il me revient qu'il ne change point d'opinion. Voici un temps où chacun va se ménager avec beaucoup de politique.

Le plan formé auroit ses avantages, s'il étoit exécuté avec force; mais la force manquant, tout manquera. M. Pochart (le cardinal de Noailles) ne refusera rien il coulera, paiera d'équivoque, et croira gagner tout en gagnant du temps. En effet, il n'a qu'à en gagner un peu. Il se voit tout auprès d'un avenir où il pourra lever la tête, faire trembler Rome, et prévaloir à la cour. Le parti même lui conseillera tous les tempéramens les plus flatteurs, et voudra que, sur les choses même les plus outrées contre le parti, il ne refuse rien, il fasse tout espérer, et il glisse insensiblement d'un jour à l'autre. Les gens mous se flattent, espèrent, attendent. Il aura tout en paroissant perdre tout. I attendrira dans

« ElőzőTovább »