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170** R.

AU DUC DE CHAULNES (1).

Bien des choses qu'on croit innocentes sont dangereuses dans la pratique.

A Cambrai, 4 janvier 1712.

Je ne m'étonne point, monsieur, de ce que la dissipation du monde et le goût du plaisir vous appesantissent le cœur pour vos exercices de piété; mais vous devez voir, par cette expérience, combien les choses qu'on croit innocentes sont dangereuses dans la pratique. On se livre à ses curiosités, aux amusemens d'une société de parens et de bons amis, aux commodités d'une vie douce et libre; en cet état, on dit Que fais-je de mal? Ne suis-je pas dans les bornes d'une vie réglée selon ma condition? Ne suffit-il pas que je prie Dieu à certaines heures, que je fasse quelque bonne lecture chaque jour, et que je fréquente les sacremens? Oui, sans doute, tout cela seroit suffisant, s'il étoit bien fait; mais votre vie molle et dissipée vous empêche de le bien faire. Il faudroit que tout le détail des occupations de la journée se ressentît des exercices de piété, et qu'il fût animé par l'esprit puisé dans cette source. Au contraire, c'est l'heure de la prière et de la lecture qui se ressent de la mollesse et de la dissipation qui dominent dans le détail des occupations extérieures. On porte à la prière une imagination toute pleine de vaines curiosités, un esprit flatté de ses pensées et de ses projets, une volonté partagée entre le devoir (1) Voyez la lettre 163, ci-dessus, et la note 1, pag. 512.

vers Dieu, et le goût de tout ce qui flatte l'amourpropre. Faut-il s'étonner si la prière se tourne si facilement en distractions importunes, en sécheresse, en dégoûts, en impatience de finir? Ce qui doit êtré le soutien contre toutes les tentations, n'est point soutenu. Ce qui devroit nourrir le cœur, manque de nourriture; la source même tarit. Quel remède y trouverons-nous? Je n'en connois que deux : l'un est de diminuer la dissipation de la journée; l'autre est d'augmenter le recueillement aux heures de liberté.

Je ne voudrois point que vous retranchassiez rien sur vos devoirs à l'égard du public; il m'a paru même que vous ne donniez pas assez de temps aux visites de bienséances, et aux soins de la société selon votre état. Mais il faut couper dans le vif sur vos heures de liberté. Moins de raisonnemens curieux, moins de paperasses, moins de détails et d'anatomies d'affaires. Il faut trancher court par deux mots décisifs, et apprendre un grand art, qui est celui de vous faire soulager. Vous vous dissipez plus dans votre cabinet à des choses pénibles, que vous ne vous dissiperiez à rendre des devoirs contre votre goût de liberté. Il n'y a que la passion qui ragoûte l'amourpropre, et qui dissipe. Otez aux hommes la passion et le ragoût de l'amour - propre, nulle occupation de devoir ne les distraira; ils feront tout paisiblement en la présence de Dieu; tous leurs travaux extérieurs se tourneront en oraison. Ils seront comme ces anciens solitaires, qui travailloient des mains dans une oraison presque continuelle. Pour les temps de prière et de lecture, je ne voudrois pas que vous les augmentassiez maintenant; vous avez trop d'occupa

tions au dehors: mais je voudrois que vous joignissiez à ces exercices réglés un fréquent retour au dedans de vous-même pour y trouver Dieu pendant que vous êtes en carrosse, ou en des lieux qui ne vous gênent point. Pour la mortification, contentez-vous de celle d'un régime exact, et de la souffrance de votre mal. Voilà tout ce que je puis vous dire à la hâte. Mille assurances d'attachement très-respectueux à madame la duchesse de Chaulnes. Dieu sait, mon cher et bon duc, combien je vous suis dévoué sans réserve.

171.

AU DUC DE CHEVREUSE.

Etat d'abandon où se trouvent les frontières; peu d'espérance de la paix. Nouvelles tracasseries suscitées à Fénelon au sujet du quiétisme. Remercimens au duc de Chaulnes pour un présent qu'il en a reçu.

A Cambrai, 11 janvier 1712.

Je vous importunerai peut-être, mon bon duc, par mes longues et fréquentes lettres mais n'importe; il faut bien que vous me supportiez un peu.

1o Je continue à vous dire que, si on ne prend pas des mesures plus efficaces que l'on n'a fait jusqu'à présent, cette frontière ne sera point approvisionnée au mois d'avril. La lenteur par charrois est incroyable presque toutes les voitures du pays sont ruinées. Si on achève de les ruiner, il n'y aura plus de quoi continuer la guerre sur cette frontière. Si on ne les ruine pas, on manquera de tout. Les ennemis ont les rivières et les chaussées derrière eux. Le désordre qu'on leur a causé sera bientôt réparé

du côté de la Scarpe. L'autre côté sera plus difficile et plus tardif; mais ils y travailleront dès le mois de mars. Il ne faudroit point se flatter dans des choses où l'on risque tout. On demande l'impossible aux paysans; et comme on n'en tirera qu'une partie, on se trouvera en mécompte.

2o Il est capital de confier l'armée à un général de bonne tête, qui ait l'estime et la confiance de tous les bons officiers. On court risque d'ouvrir la France aux ennemis en un seul jour, faute de bien peser ceci. J'ai plus de liaison avec M. le maréchal de Villars qu'avec les autres, par toutes les avances qu'il a faites vers moi; mais je songe au besoin de l'État. Vous savez tout.

3o J'ai vu nos plénipotentiaires, et j'ai compris, sur leurs discours, que la paix est encore bien en l'air. Je ne puis m'empêcher de vous dire qu'on ne sauroit jamais l'acheter trop cher, si on ne peut pas l'obtenir, comme on l'espère. Le dedans la demande encore plus que le dehors. On dit que M. de Bergheik va revenir d'Espagne. Il est hardi et insinuant; il parlera au Roi, et pourra vouloir faire la paix au profit de l'Espagne, aux dépens de la France.

4° M. l'abbé de Polignac m'a dit que madame la maréchale de Noailles l'avoit prié de m'avertir de sa part, en bonne amitié, qu'il y a un ouvrage dont on me croit l'auteur, quoique mon nom n'y soit pas, et qui est imprimé depuis peu de temps, où les erreurs du quiétisme sont dangereusement insinuées. On veut, dit-elle, m'attaquer là-dessus. J'ai répondu que, loin d'avoir composé un livre sur cette matière, je n'en connois aucun qui y ait le moindre

rapport, et que je pardonne par avance tout le mai qu'on tâchera de me faire sur un si mauvais prétexte. Je crois qu'il s'agit de la Dénonciation de la Théologie de M. Habert. M. Habert dit souvent, dans sa Réponse, que le Dénonciateur est quiétiste, et que ceux qui le soutiendroient seroient fauteurs du quiétisme; parce que le Dénonciateur dit que, selon le système attribué à saint Augustin, la plus forte délectation impose une nécessité absolue de faire le mal. En vérité, cette imagination est bien bizarre. M. Habert veut que le Dénonciateur soit quiétiste, parce que ce Dénonciateur démontre que c'est M. Habert lui-même qui établit par son système le quiétisme le plus monstrueux. Je vois bien qu'on veut m'alarmer pour me faire taire; mais je ne crains point, et j'irai mon chemin.

5o Les écrivains du parti remplissent le monde d'ouvrages séduisans; je suis réduit au silence. Il n'y a que M. de Meaux qui veut écrire pour la bonne cause, et qui la détruira par une très-fausse défense. Les Jésuites pourroient écrire utilement, et ne le font pas. Pourquoi plusieurs d'entre eux ne nous soulagent-ils pas d'une partie de l'ouvrage, en montrant avec évidence, par de bons textes, à quoi les Thomistes chefs de leur école ont borné le vrai thomisme, pour le distinguer de l'hérésie? Au nom de Dieu, pressez là-dessus M. Bourdon (P. Le Tellier.) Il faut une controverse où nous agissions de concert, et qui mette Rome au fait.

6° En attendant ce que vous aurez à me renvoyer, je fais un abrégé de mon grand ouvrage sur saint Augustin. Cet abrégé suffiroit pour diriger dans l'é

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