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pose que pour N..., et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là, Nous ne sommes en sûreté qu'autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse, aux plus petits même, la liberté de nous reprendre. Pour moi, je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu'ils ont remarqué en moi, et je ne veux m'élever au-dessus d'aucun des plus petits frères. Il n'y en a aucun que je ne blâmasse, s'il n'étoit pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne duchesse, au-delà de toute expression.

Madame de Chevry me paroît vivement touchée de l'excès de vos bontés, et j'ai de la joie d'apprendre à quel point elle les ressent. J'espère que cette reconnoissance la mènera jusqu'à rentrer dans une pleine confiance, dont elle a grand besoin. Personne ne peut être plus sensible que je le suis à toutes vos différentes peines.

137** R.

AU DUC DE CHEVREUSE.

Sur le siège d'Aire. Dispositions de Fénelon envers les parens du duc.

A Cambrai, 23 octobre 1710.

ME voici heureusement arrivé, mon bon duc, et je me hâte de vous dire que je suis triste de n'être plus dans la bonne compagnie où j'étois. Rien n'est si dangereux que de s'accoutumer å trop de douceur: vous me dégoûteriez de la résidence, et madame la duchesse me feroit malade de bonne chère.

Je crois que vous ne devez point parler des droits royaux à la fin de l'écrit. Une chose qui paroît si forte pourroit exciter la critique; il vaut mieux exposer simplement le fait, pour le faire passer sans contradiction; et je serois même tenté de n'y parler point du titre de comté donné à ces fiefs impériaux, de peur des lecteurs malins : il suffiroit peut-être de nommer les fiefs impériaux. Quand on aura appri voisé le public à cette union des Alberti de Florence avec ceux desquels vous descendez incontestablement, la chose ira d'elle-même; on ne pourra point douter du titre de comté, ni des droits royaux, etc.

Les nouvelles qu'on a ici sur le siège d'Aire (1) marquent que les ennemis n'avoient point encore pris le chemin couvert; mais comme il y a eu, depuis la date des lettres, diverses attaques, M. de Signier, notre commandant, craint que ce qui étoit à faire ne soit bien avancé. M. du Fort, colonel de je ne sais quel régiment, et fils de M. Le Normand, financier, y a été tué. M. de Vallière (2), excellent officier dans les mineurs, y a été blessé.

Je ne suis nullement content de mon voyage par rapport à M. le duc de Luynes; je ne l'ai presque pas vu, et le soin de le voir de près devoit être une de mes principales affaires : c'est là-dessus que je vous demande les moyens de réparer ma faute pour l'année prochaine.

(1) Le marquis de Goesbriant fut obligé de rendre la ville d'Aire, le 9 novembre suivant, après cinquante-deux jours de tranchée ouverte. (2) Jean-Florent de Vallière, lieutenant-général des armées du Roi, né à Paris le 7 septembre 1667, acquit une telle expérience dans le commandement de l'artillerie, qu'il en fut regardé comme le meilleur officier. Il mourut, en 1759, àgé de 92 aus.

Je vous envoie toutes mes lettres, que je suis sûr que vous aurez la bonté d'envoyer à leurs adresses par des mains sûres.

Je prie pour la paix, pour P. P. (le Duc de Bourgogne), et pour l'Église. Je vous conjure d'entrer dans ces trois intentions, et de les porter sans cesse au fond de votre cœur. Le mien est tout gros : d'ailleurs je n'oublierai jamais à l'autel ni vous, mon bon duc, ni les vôtres. O que j'aime notre bonne duchesse! Il ne suffit pas que vous soyez doux et bon, comme vous l'êtes avec elle; il faut que vous ouvriez son cœur par l'épanchement du vôtre, et qu'elle trouve Dieu en vous. Puisqu'il y est, pourquoi ne l'y trouveroit-elle pas en toute occasion? Je veux que M. le vidame se corrige de ses défauts par un courage de pure foi, espérant contre l'espérance; qu'il tranche, qu'il expédie, qu'il décide en deux mots; qu'il se laisse déranger, et qu'il donne tout le temps convenable à la société du monde. C'est une vexation; mais elle est d'ordre de Dieu pour lui, et elle se tournera en un bien véritable, s'il ne résiste point à Dieu pour se contenter soi-même. En cas qu'il fasse ce miracle, je lui promets pour récompense que madame la vidame deviendra meilleure que lui, et qu'il sera tout honteux de voir qu'elle le devancera c'est une bonne personne, digne de devenir encore meilleure qu'elle n'est. Bonsoir, mon bon duc; je n'ai point de termes pour vous dire tout ce que je sens.

138 R.

AU MÊME.

Caractère et dispositions du comte de Bergheik; motifs de négocier promptement la paix.

A Cambrai, 2 novembre 1710.

JE profite, mon bon duc, de la première occasion sûre qui se présente, pour vous rendre compte de la conversation que j'ai eue ici avec M. de Bergheik, qui y a passé en s'en allant à Paris. Il m'a confié qu'il doit aller de Paris en Espagne, où le Roi et la Reine le demandent avec des empressemens incroyables. C'est un homme adroit et hardi. Vous pouvez compter qu'il sera le plus invincible obstacle à l'évacuation d'Espagne pour la paix. Au reste, il est pleinement persuadé de deux choses: l'une, que s'il arrivoit encore un mauvais évènement au roi d'Espagne, sans être promptement et fortement secouru par la France, il seroit sans ressource, et qu'il n'auroit plus qu'à revenir; l'autre, que dès ce jour-là nous serions à portée de conclure une prompte paix, parce que les ennemis, las et épuisés, ne veulent, quoi qu'on en puisse dire, qu'une paix moyennant cette évacuation. Il convient que la défiance mutuelle a fait échouer la négociation de Gertruydemberg; et que comme la France a pris des ombrages outrés, en s'imaginant que les alliés ne voudroient point de paix quand même on leur donneroit une pleine sûreté pour cette évacuation tant désirée, les alliés, de leur

côté, ont cru voir clairement que nous ne voulions point de bonne foi faire cette évacuation, qui dépend de nous selon eux. Il assure que nous l'avons offerte plusieurs fois, et que nous l'avons dépeinte comme si facile, qu'on ne peut plus nous écouter sérieusement quand nous protestons que nous n'en sommes pas les maîtres.

Non-seulement M. de Bergheik soutiendra le roi et la reine d'Espagne contre toutes les propositions d'évacuer, mais de plus il ne manquera pas de dire au Roi, en passant à Versailles, tout ce qu'il imaginera de plus flatteur pour l'éloigner de la paix par de hautes espérances. Il soutient que la nouvelle dime (1) va relever toutes les affaires, et rétablir toutes les finances; que les troupes seront facilement payées; que les peuples ne seront point trop chargés; qu'on crie mal à propos; qu'un grand royaume comme la France ne manque jamais; que les peuples ne se soulèvent que dans l'abondance; que plus ils sont abattus par la misère, moins ils sont à craindre; qu'enfin les ennemis, presque aussi las que nous, désireront la paix sans exiger l'évacuation de l'Espagné, dès qu'ils verront que la dîme nous met en état de commencer une guerre offensive, ou du moins de faire durer la défensive avec quelque succès. Je ne prétends ni louer ni blâmer les opinions de

(1) Ce fut cette année, pour la première fois, qu'on vit établir un împôt territorial en France. Un édit enregistré à la Chambre des Vacations, le 26 octobre 1710, ordonna la levée du dixième de tous les revenus. Les conditions odieuses et humiliantes que les ennemis avoient prétendu dicter à Louis XIV, contribuerent beaucoup à faire passer facilement l'établissement d'un impôt qui parut d'abord si onéreux, et qui l'est devenu encore plus dans la suite.

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