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Je ne saurois exprimer, mon bon duc, à quel point je suis dévoué à notre bonne duchesse; la voilà chargée d'un nouveau poids. Mandez-moi, si vous le pouvez, un mot sur les deux jeunes mariés; je ne puis m'empêcher d'être curieux et vif sur tout ce qui vous touche, vous et la bonne duchesse. Je souhaite que ces deux jeunes personnes se tournent bien.

Dieu soit lui seul, mon bon duc, en vous toutes choses, l'alpha et l'omega.

Celui qui portera cette lettre à Paris chez madame de Chevry, est un très-honnête homme, qui compte de n'être à Paris qu'environ quinze jours. Je prie madame de Chevry de vous faire avertir un peu avant le départ de cet honnête homme, afin que vous puissiez vous servir de cette occasion pour m'envoyer ce qu'il vous plaira.

118** R.

AU VIDAME D'AMIENS.

Craindre de lasser la patience de Dieu; à quelles conditions le vidame peut désirer son avancement à la cour.

A Cambrai, 23 février 1710.

QUE vous dirai-je, mon très-cher monsieur, sinon qu'étant un parfaitement honnête homme à l'égard du monde, vous n'êtes pour Dieu qu'un vilain ingrat? Voudriez-vous combler de bienfaits et de marques de tendresse un ami qui seroit aussi tiède, aussi négligent et aussi volage que vous l'êtes pour Dieu? Malgré tant de sujets de vous gronder, je vous

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aime du fond du cœur; mais je veux que vous ne lassiez point la patience de Dieu, et que vous preniez sur vos goûts d'amusement et de vaine curiosité, plutôt que sur vos devoirs de religion. Eh! que sacrifierez-vous à Dieu, si vous n'avez pas même le courage de lui sacrifier ce qui est si superflu? C'est lui refuser la rognure de vos ongles et le bout de vos cheveux.

Pour votre avancement à la cour, je me borne å deux points: le premier est que vous ne ferez ni injustice, ni bassesse, ni tour faux, pour parvenir, et que vous vous contenterez de demander avec modestie et noblesse les grades pour lesquels votre tour sera venu, suivant les règles: le second est que vous ne désirerez au fond de votre cœur cet avancement permis, que d'une manière tranquille, modérée, et entièrement soumise à la Providence. L'ambition ne porte pas son reproche avec elle, comme d'autres passions grossières et honteuses. Elle naît insensiblement, elle prend racine; elle pousse, elle étend ses branches sous de beaux prétextes; et on ne commence à la sentir, que quand elle a empoisonné le cœur. Défiez-vous-en: elle allume la jalousie; elle se tourne en avarice dans les hommes les plus désintéressés; elle gâte les plus beaux naturels; elle éteint l'esprit de grâce. Voyez les vifs courtisans; craignez de leur ressembler. Veillez et priez de peur que vous n'entriez en tentation. Ce qu'on appelle un leste courtisan, et un homme éveillé pour sa fortune, est un homme bien odieux. Méritez sans mesure, demandez modestement, désirez très-peu. Mais n'allez pas, faute d'ambition, vous enfoncer dans un cabinet pour

mettre des machines en la place du monde et de Dieu même.

Bon soir, monsieur. Me pardonnez-vous d'en taut dire? Je vous aime trop pour en dire moins, dussiez-vous m'en faire la moue. Mille respects à madame la vidame. Je prie Dieu de bon cœur pour elle; mais ne le lui dites pas : car elle fait peut-être comme un quelqu'un qui me faisoit dire que je ne priasse pour lui, que quand il me le demanderoit, de peur qu'on n'obtînt sa conversion avant qu'il voulût bien se convertir. Elle est bonne et noble: il la faut gagner peu à peu, par confiance et par édification, sans la presser.

119.

AU DUC DE CHEVREUSE.

Il craint que Cambrai ne soit cédé aux ennemis. Caractère de plusieurs évêques et du curé de Saint-Sulpice.

A Cambrai, 24 février 1710.

Je viens, mon bon duc, de recevoir votre lettre datée du 21 février, et je me borne à vous dire que je prie Dieu qu'il vous rende tous vos soins.

Je vous mandai hier toutes mes imaginations sur la paix. Cambrai sera-t-il une des quatre places d'otage? Si ce malheur nous arrive, nous pourrions bien n'être jamais rendus. Si nous sommes dans le cas, ne pourriez-vous pas avoir la bonté de mander avec votre écriture de faussaire, à l'abbé de Beaumont, que son cousin a perdu son procès; si, au

contraire, nous ne sommes point otages, que le cousin a gagné avec dépens? Il est à craindre que les ennemis, sentant votre foiblesse pour soutenir la guerre, feront encore bien des incidens pour vous arracher, morceau à morceau, divers articles ultérieurs après le préliminaire arrêté.

J'aurois tort de croire que je connois mieux l'abbé Alamanni sur le petit séjour qu'il a fait ici, que le P. Le Tellier ne le connoît sur tout ce qu'il en a oui dire à Rome. Je suspends mon jugement; mais mes Mémoires sont, ce me semble, de nature à pouvoir être hasardés par un homme, qui, comme moi, ne veut que le bien de l'Église, si je ne me trompe. Décidez pour l'envoi avec le P. Le Tellier. Le cardinal Fabroni me paroît plus vif que solide théologien et homme d'affaires.

Vous avez bien dépeint M. de Meaux. Il est bon, mais brouillé, et mêlé de choses contraires. Pour M. de Rouen, il y a si long-temps que je ne l'ai vu, que je ne suis pas croyable; mais je sais, par des gens à qui il s'est ouvert en ce pays avec confiance, qu'il ne croyoit point qu'il y eût de Jansénistes, et que son goût étoit encore tourné vers eux. C'étoit sa pente autrefois; je doute qu'elle soit bien changée. D'ailleurs il n'a aucun savoir ni génie.

M. de Tournai a plus de sens, de connoissance du monde et de talens extérieurs; mais nulle science, beaucoup d'ambition secrète, avec un naturel doux, sage, réglé, mesuré et réservé.

M. le curé de Saint-Sulpice (2) n'est pas un esprit

(1) Voyez la note i de la lettre 111, pag. 319.

(2) M. de la Chétardie, curé de Saint-Sulpice, étoit un homme recom

bien fait; mais ne vous commettez pas, sondez le terrain, et ne parlez qu'à proportion des ouvertures, pour ne hasarder rien de trop.

On rebutera Rome; on fera triompher le parti ; on laissera le clergé frondeur rompre sa gourmette, si on ne fait pas recevoir la bulle (3). On ne sauroit faire de trop grands efforts pour y réussir; mais il faut une acceptation pure et simple : c'est un point capital.

Mille remercîmens à notre bonne et très-bonne duchesse; elle me fait trop de biens: Dieu les lui rende au centuple. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. Dieu sait combien je me mettrois en quatre pour mon bon duc.

mandable par ses vertus et ses lumières. Cependant Fénelon et ses amis n'étoient pas favorablement prévenus pour lui, et croyoient avoir à lui reprocher des procédés un peu durs envers Mme Guyon, dans l'affaire du quiétisme.

(3) Il est vraisemblable qu'ici, et dans plusieurs des lettres suivantes, il est question du Bref de Clément XI contre le Mandement de l'évêque de Saint-Pons en faveur du Silence respectueux, si formellement condamné en 1705 par la bulle Vineam Domini. Ce Bref fut revêtu de lettres-patentes; mais ne fut point enregistré. Voyez à ce sujet l'Avertissement du tome X, seconde partie, n. x, pag. lxvij et suiv. et les lettres de Fénelon au duc de Chevreuse des 17 et 24 avril 1710.

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