Oldalképek
PDF
ePub

dégoûts que vous sentez pour la vertu, toutes les craintes que vous avez d'un engagement à ne pouvoir plus reculer; et conjurez-le de vous prendre, puisque vous ne savez pas vous donner.

Vous ne m'avez point envoyé la lettre de M. le duc de Chevreuse; il faut que vous l'ayez oubliée. Ayez la bonté de me l'envoyer par une voie sûre, et soyez persuadé, monsieur, que je vous suis dévoué sans réserve à la vie et à la mort.

་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་་

61.

A LA JEUNE DUCHESSE DE MORTEMART.

Se défier de soi-même, et se confier en Dieu : coopérer fortement à la grâce. Avis à la duchesse sur les moyens d'entretenir l'union dans sa famille

sur vous,

A Cambrai, 4 août 1706.

JE crois, madame, que le point principal pour vous est de ne désespérer jamais des bontés de Dieu et de ne vous défier que de vous-même. Plus on désespère de soi, pour n'espérer qu'en Dieu sur la correction de ses défauts, plus l'œuvre de la correction est avancée: mais il ne faut pas que l'on compte sur Dieu, sans travailler fortement de sa part. La grâce ne travaille avec fruit en nous, qu'autant qu'elle nous fait travailler sans relâche avec elle. Il faut veiller, se faire violence, craindre de se flat

(1) Marie-Henriette de Beauvilliers.

ter, écouter avec docilité les avis les plus humilians, et ne se croire fidèle à Dieu, qu'à proportion des sacrifices qu'on fait tous les jours pour mourir à soi-même dans la pratique. Puisque vous croyez avoir dit à M. le D. de M. (Duc de Mortemart ) quelque chose qui a pu lui faire de la peine par rapport à madame sa mère, c'est à vous à les raccommoder; faites-le doucement et peu à peu. Il est important au fils qu'il ne s'éloigne point d'une si bonne mère, qui l'aime tendrement, et qui a tant d'attention à ses véritables intérêts. Elle peut faire quelquefois trop ou trop peu, comme cela peut arriver à toutes les personnes les plus sages et les mieux intentionnées; mais, dans le fond, il est rare qu'une personne ait autant de piété sincère et de bonnes vues pour ses devoirs. Elle peut vous montrer quelquefois un peu de vivacité sur les choses qu'elle désireroit de vous pour votre bien mais elle vous aime, je l'ai vu à n'en pouvoir douter; et le trop que vous croyez peut-être sentir, n'est qu'un excès d'amitié. Vous devez donc, madame, travailler sans cesse à unir le fils avec la mère, pour l'intérêt du fils et pour le vôtre : mais il faut le faire sans vous jeter dans le trouble. Supposé même que vous ayez fait quelque faute considérable à cet égard-là, comme la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le marque, il faut en porter l'humiliation intérieure, sans se décourager. Il suffit que vous évitiez à l'avenir tout ce qui pourroit vous faire retomber dans de tels inconvéniens, et que vous ne négligiez aucun des moyens de réparer ce qui est passé. J'ai vu en vous, madame, une chose excellente, qui

est un cœur ouvert pour madame votre belle-mère (1). Dites-lui tout continuez, quoi qu'il vous en coûte; vous savez par expérience quel usage elle en fera. Dieu bénira cette droiture et cette simplicité. Vous voyez combien il vous fait de grâces, malgré vos infidélités sur votre correction. Voulez-vous abuser de sa patience, et la tourner contre lui-même, pour mépriser ses miséricordes impunément? Ce n'est pas assez de dire tout; il faut le dire d'abord, être sincère dès le premier moment, et n'attendre pas que Dieu vous arrache ce que vous voudriez lui pouvoir refuser.

O quelle joie pour moi, si je puis apprendre que Dieu ait élargi votre cœur, qu'il vous ait appris à mépriser votre imagination, qu'il vous ait accoutumée à travailler de suite pour tous vos devoirs, et à sortir de votre indolence! Alors vous auriez autant de liberté et de paix, que vous avez de trouble, de découragement et d'incertitude. Jugez, madame, par la liberté avec laquelle je vous parle, avec quel zèle je vous suis dévoué.

(1) Marie-Anne Colbert, duchesse de Mortemart, sœur des duchesses de Beauvilliers et de Chevreuse.

[blocks in formation]

Caractère du vidame d'Amiens, et du comte d'Albert, frère du duc de Chevreuse. Motifs d'entrer en négociation pour la paix.

A Cambrai, 12 novembre 1706.

J'AI été ravi, mon bon duc, de voir en passant M. le vidame : il est bon, vrai, aimable, et touché de Dieu; mais il a un besoin infini d'être aidé, sans être trop pressé il faut soutenir sa foiblesse, sans le fatiguer. J'aurois bien souhaité de pouvoir être plus long-temps à mon aise avec lui; mais il vous aura trouvé, et j'espère que vous le déciderez. Nous avons ici, depuis quelques jours, M. le comte d'Albert (1) qui est doux, commode, plein de complaisance et d'agrément dans la société. Il paroît s'accommoder avec nous; et je lui dis qu'il est comme Alcibiade, qui savoit être austère à Lacédémone, poli et savant à Athènes, magnifique et voluptueux chez les Perses. C'est un esprit doux, insinuant, souple, et qui prend toutes les formes selon les lieux et les personnes. Il sait penser très-sérieusement, et sur des

(1) Louis-Joseph d'Albert, dit le comte d'Albert, étoit fils du second lit de Louis-Charles d'Albert, duc de Luynes, et d'Anne de Rohan, fille puînée d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Il étoit par consé quent frère du duc de Chevreuse, si étroitement uni à Fénelon. Ce comte d'Albert s'attacha depuis à l'Electeur de Bavière, dont il fut grand-écuyer. Il épousa, en 1715, Magdeleine-Marie-Honorine de Berghes de Montigny, chanoinesse de Mons.

principes approfondis : on ne sauroit lui dire aucune vérité, qu'il ne se soit dite avec force; mais la même facilité d'esprit qui le tourne au bien, l'entraîne vers le mal dans le torrent du monde, où il est plongé. Quand il nous quittera, je le regretterai.

Les Suisses, ou le roi de Suède, ne pourroient-ils point, ou par leurs intérêts, ou pour la gloire d'une si importante négociation, entreprendre de faire la paix? Il n'y a pas un moment à perdre; l'hiver s'écoulera bien vite; il faut tout rétablir. Si l'argent vient tard, on sera surpris par le printemps, et on courra risque de se trouver dans une extrémité où l'on ne pourra faire ni la paix ni la guerre. La Provence, le Dauphiné, Lyon, seront exposés aux efforts du duc de Savoie et du prince Eugène. Voilà une très-grande frontière presque toute ouverte, avec le danger des Huguenots de Dauphiné, et des fanatiques des Cévennes, auxquels l'ennemi peut donner la main.

D'ailleurs, M. de Vendôme, qui a plus de vivacité et d'ardeur, que d'attention au total des affaires, ne peut souffrir la supériorité des ennemis sur lui; c'est une honte et un dépit personnel. Les ennemis prendront des places très-importantes devant lui, pour percer notre frontière et entamer le royaume; ou bien ils l'engageront à une bataille : c'est ce qu'il cherche. S'il la perd, il hasarde la France entière. C'est sur quoi on doit bien délibérer, sans l'abandonner à son impétuosité. Il faudroit un Charles V, pour retenir Bertrand du Gueslin. Il ne s'agit pas de la seule campagne de M. de Vendôme, mais de la fortune de l'État.

« ElőzőTovább »