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affaires deviennent difficiles, plus vous devez y agir avec foi.

Ne hésitez point par respect humain; ne prenez aucun parti, ni par timidité naturelle, ni par un certain sentiment soudain, qui pourroit ne venir que de vivacité d'imagination; mais par la pente du fond de votre cœur devant Dieu seul, après que vous avez écouté sans prévention les raisons des hommes. Ménagez beaucoup votre santé, qui est très-délicate, et qui pourroit très-facilement s'altérer. Non-seulement l'effort d'un grand travail épuise, mais encore une suite d'occupations tristes et gênantes accablent insensiblement. L'ennui et la sujétion minent sourdement la santé. Il faut se relâcher et s'égayer; la joie met dans le sang un baume de vie. La tristesse dessèche les os; c'est le Saint-Esprit même qui nous en avertit (a).

Je suis ravi de tout ce que j'entends dire de Mgr le D. de B. (Duc de Bourgogne.) Tâchez de faire en sorte que ceux qui en sont charmés à l'armée le retrouvent le même à la cour. Je sais qu'il y a des différences inévitables; mais il faut rapprocher ces deux états le plus qu'on peut. Il faut que le vrai bien vienne en lui par le dedans, et se répande ensuite au dehors. Il en est de la grâce pour l'ame, comme des alimens pour le corps. Un homme qui voudroit nourrir ses bras et ses jambes, en y appliquant la substance des meilleurs alimens, ne se donneroit jamais aucun embonpoint; il faut que tout commence par le centre, que tout soit digéré d'abord dans

(a) Prov. XVII. 22.

l'estomac, qu'il devienne chyle, sang, et enfin vraie chair. C'est du dedans le plus intime que se distribue la nourriture de toutes les parties extérieures. L'oraison est, comme l'estomac, l'instrument de toute digestion. C'est l'amour qui digère tout, qui fait tout sien, et qui incorpore à soi tout ce qu'il reçoit; c'est lui qui nourrit tout l'extérieur de l'homme dans la pratique des vertus. Comme l'estomac fait de la chair, du sang, des esprits pour les bras, pour les mains, pour les jambes et pour les pieds, de même l'amour dans l'oraison renouvelle l'esprit de vie pour toute la conduite. Il fait de la patience, de la douceur, de l'humilité, de la chasteté, de la sobriété, du désintéressement, de la sincérité, et généralement de toutes les autres vertus autant qu'il en faut pour réparer les épuisemens journaliers. Si vous voulez appliquer les vertus par le dehors, vous ne faites qu'une symétrie gênante, qu'un arrangement superstitieux, qu'un amas d'œuvres légales et judaïques, qu'un ouvrage inanimé. C'est un sépulcre blanchi: le dehors est une décoration de marbre, où toutes les vertus sont en bas-relief; mais au dedans il n'y a que des ossemens de morts. Le dedans est sans vie; tout y est squelette; tout y est desséché, faute de l'onction du Saint-Esprit. Il ne faut donc pas vouloir mettre l'amour au dedans par la multitude des pratiques entassées au dehors avec scrupule; mais il faut, au contraire, que le principe intérieur d'amour, cultivé par l'oraison à certaines heures, et entretenu par la présence familière de Dieu dans la journée, porte la nourriture du centre aux membres exté

rieurs, et fasse exercer avec simplicité, en chaque occasion, chaque vertu convenable pour ce momentlà. Voilà, mon bon duc, ce que je souhaite de tout mon cœur, que vous puissiez inspirer à ce prince, qui est si cher à Dieu. La piété, prise ainsi, devient douce, commode, simple, exacte, ferme, sans être ni scrupuleuse ni âpre. Ayez soin de sa santé : il manquera à Dieu, s'il ne ménage pas ses forces. Je vous suis toujours dévoué sans réserve comme je le dois.

51 **

(AU DUC DE CHEVREUSE.)

Portrait de l'Electeur de Bavière (1).

M. l'Électeur m'a paru doux, poli, modeste, et glorieux dans sa modestie. Il étoit embarrassé avec moi, comme un homme qui en craint un autre sur sa réputation d'esprit. Il vouloit néanmoins faire bien pour me contenter; d'ailleurs il me paroissoit n'oser en faire trop, et il regardoit toujours par-dessus mon épaule M. le marquis de Bedmar, qui est, dit-on, dans une cabale opposée à la sienne. Comme ce marquis est un Espagnol naturel, qui a la confiance de

(1) Nous ignorons la date de cette lettre. On ne peut guère douter qu'elle n'ait été adressée au duc de Chevreuse. L'Electeur de Bavière, dont il est ici question, est Maximilien-Emmanuel, frère de JosephClément, Electeur de Cologne. Il étoit, depuis 1692, gouverneur des PaysBas, pour le Roi d'Espagne. Les deux frères prirent en 1703 le parti de Louis XIV, dans la guerre de la succession.

la cour de Madrid, l'Électeur consultoit toujours ses yeux avant que de me faire les avances qu'il croyoit convenables: M. de Bedmar le pressoit toujours d'augmenter les honnêtetés; tout cela marchoit par ressorts comme des marionnettes. L'Électeur me paroît mou, et d'un génie médiocre, quoiqu'il ne manque pas d'esprit, et qu'il ait beaucoup de qualités aimables. Il est bien prince, c'est-à-dire, foible dans sa conduite, et corrompu dans ses mœurs. Il paroît même que son esprit agit peu sur les violens besoins de l'État qu'il est chargé de soutenir; tout y manque; la misère espagnole surpasse toute imagination. Les places frontières n'ont ni canons ni affûts; les brèches d'Ath ne sont pas encore réparées; tous les remparts sous lesquels on avoit essayé mal à propos de creuser des souterrains, en soutenant la terre par des étaies, sont enfoncés, et on ne songe pas même qu'il soit question de les relever. Les soldats sont tout nuds, et mendient sans cesse ; ils n'ont qu'une poignée de ces gueux; la cavalerie entière n'a pas un seul cheval. M. l'Électeur voit toutes ces choses; il s'en console avec ses maîtresses, il passe les jours à la chasse, il joue de la flûte, il achète des tableaux, il s'endette; il ruine son pays, et ne fait aucun bien à celui où il est transplanté; il ne paroît pas même songer aux ennemis qui peuvent le surprendre.

J'oubliois de vous dire qu'il me demanda d'abord, et dans la suite encore plus des nouvelles de M. le Duc de Berri que des autres princes. Je lui dis beaucoup de bien de celui-là; mais je réservai les plus grandes louanges pour M. le Duc de Bourgogne, en ajoutant qu'il avoit beaucoup de ressemblance avec

madame la Dauphine. Dieu 'veuille que la France ne soit point tentée de se prévaloir de la honteuse et incroyable misère de l'Espagne!

52 ** R.

AU VIDAME D'AMIENS,

FILS PUINÉ DU DUC DE CHEVREUSE.

Il partage la douleur que lui causoit la perte de son frère aîné, et profite de ce triste événement pour le ramener à une vie plus chrétienne.

22 octobre 1704.

J'AI ressenti, monsieur, avec une grande amertume la perte que vous avez faite; j'en ai encore le cœur malade. Vous avez vu de près, dans un exemple si touchant (1), la vanité et l'illusion du songe de cette vie. Les hommes tiennent beaucoup au monde; mais le monde ne tient guère à eux. La vie, qui est si fragile pour tous les hommes, l'est infiniment davantage pour ceux de votre profession. Ils n'ont aucun jour d'assuré, quelque santé dont ils jouissent. Ils ne s'occupent que des amusemens de la vie, qu'ils exposent continuellement: ils ne pensent presque jamais à la mort, au-devant de laquelle ils vont, comme si elle ne venoit pas assez vite.

On est sans cesse dans la main de Dieu sans songer à lui, et on se sert de tous ses dons pour l'offen

(2) La Dauphine étoit sœur de l'Electeur. Elle étoit morte en 1690. (1) Honoré-Charles, duc de Montfort, frère aîné du vidame d'Amiens, venoit d'être tué dans un combat donné près de Landau, le 9 septembre précédent.

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