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Le vidame (2) se tourne tout-à-fait de manière à nous donner du contentement. Sa vie est réglée; le mauvais exemple ne l'ébranle pas; il s'occupe fort chez lui; la raison, l'honneur, la droiture, sont devenus ses motifs dominans : il fait des réflexions bien sérieuses sur la religion, qui paroissent des effets de grâce, et il désire d'être marié. Ainsi nous croyons devoir lui donner une épouse cet hiver au plus tard, et il n'est question que de la choisir. C'est sur ce choix, mon cher archevêque, que nous vous demandons votre avis, madame de Chevreuse et moi. Nous ne pensons plus aux filles de M. Chamillard (3); on les croit engagées ailleurs, et Dieu nous a déterminés sur cela par diverses raisons et inconvéniens. Suivant votre avis, nous regarderons principalement dans ce choix la personne avec un bien raisonnable et une naissance honnête, et nous ne songerons pas à la prétention du duché, afin qu'il n'y ait point de mécompte. Trois sortes de personnes se présentent à nos yeux; des filles de grande maison ou illustrée, des demoiselles plus riches, des filles de robe et de bon lieu avec du bien. Parmi les premières, je n'en vois que deux, mademoiselle de

(2) Louis-Auguste d'Albert d'Ailly, cinquième tils du duc de Chevreuse, connu d'abord sous le nom de vidame d'Amiens, depuis duc et maréchal de Chaulnes.

(3) M. de Chamillard étoit alors contrôleur-général des finances. It lui restoit encore deux filles à marier: la première, Marie-Thérèse de Chamillard, épousa, le 24 novembre 1701, Louis, vicomte d'Aubusson, depuis maréchal de la Feuillade, veuf depuis quatre ans de CharlotteThérèse Phelipeaux de la Vrillière. La seconde, Geneviève-Thérèse de Chamillard, épousa, le 14 décembre 1702, Gui- Nicolas de Durfort, duc de Quintin-Lorges.

CORRESP. 1.

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Noailles, avec deux cent mille livres, et mademoiselle de Tourbe, avec quatre cent mille; car je ne compte pas mademoiselle de Melun, qui est dans le grand jeu de la cour, et dont le bien est fort diminué. Vous savez mieux que personne les raisons qui m'éloignent naturellement de l'alliance de Noailles(); mais le bon D. (de Beauvilliers) a voulu que je vous la nommasse quand je lui ai dit que je vous écrivois toutes mes vues. Cette demoiselle a quinze ans, est bien faite, douce, spirituelle, sage. Le vidame n'y a pas grand penchant a cause des beauxfrères, mais n'en a néaumoins nul éloignement. Mademoiselle de Tourbe a quatre ou cinq ans plus que le vidame, et est depuis deux ans dans une piété qui se soutient. On doute si son humeur ne tient pas de race ses amies disent que non; on le peut approfondir. Parmi les demoiselles, on parle de quelques héritières de Guienne et de Bretagne, mais dont, jusqu'à présent, les qualités personnelles ne me sont pas connues. Mais vous avez mademoiselle du Forest dans votre voisinage, dont vous m'avez assuré ce printemps que vous sauriez des nouvelles exactes, et je vous prie de vous en souvenir. Je n'ai pu rien apprendre à Paris de sa maison. Enfin, dans la robe, on parle de mademoiselle de Varangéville, qui sera riche, mais dont la naissance est bien peu de chose,

(4) On devine facilement que le motif de la répugnance des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers pour une alliance avec la maison de Noailles, étoit fondée sur la manière dont le cardinal s'étoit déclaré contre Fénelon dans l'affaire du quiétisme, et sur l'usage qu'on l'accusoit de faire de son credit auprès de madame de Maintenon pour le tenir éloigné de la cour.

et mademoiselle de Nesmond, fille du marquis qui est lieutenant-général de marine, laquelle aura cinq ou six cent mille livres (parce que la présidente sa tante la mariera), et dont on loue l'éducation et l'honneur. Je serai fort aise, mon bon archevêque, d'être conduit par vous dans le choix d'une de ces personnes (5); et j'ajouterai seulement, pour n'oublier '; aucune réflexion sur ce sujet, que le vidame a vingtcinq ans accomplis dans la fin de cette année, et aura environ quarante mille livres de rente, toutes dettes payées.

Je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui ; j'envoie cette lettre à la B. D. (Duchesse de Beauvilliers) pour vous la faire tenir par la première occasion sûre; et je ne vous puis assez marquer combien je suis content d'elle en toutes manières. Je le suis bien aussi du B. P. Ab. (de Langeron), qui avance beaucoup, ce me semble. Plaise à Dieu que j'imite de si bons exemples, et que je profite des lumières qu'il me donne par eux et par luimême, pour n'agir et ne vivre que pour son amour et sa gloire! Je suis à vous, mon cher archevêque, avec un dévoûment du fond du cœur et sans ré

serve.

(5) Aucun de ces projets de mariage n'eut lieu. Le vidame épousa, le 21 juillet 1704, Marie-Anne-Romaine de Beaumanoir de Lavardin, fille d'Henri-Charles de Beaumanoir, marquis de Lavardin.

33.

DU DUC DE BOURGOGNE A FÉNELON.

Il l'assure de la continuation de son estime et de son affection, et lui rend compte de ses études et de son intérieur.

A Versailles, le 22 décembre 1701.

ENFIN, mon cher archevêque, je trouve une occasion favorable de rompre le silence où j'ai demeuré depuis quatre ans. J'ai souffert bien des maux depuis; mais un des plus grands a été celui de ne pouvoir point vous témoigner ce que je sentois pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentoit par vos malheurs, au lieu d'en être refroidie. Je pense avec un vrai plaisir au temps où je pourrai vous revoir; mais je crains que ce temps ne soit encore bien loin. Il faut s'en remettre à la volonté de Dieu, de la miséricorde duquel je reçois toujours de nouvelles grâces. Je lui ai été plusieurs fois bien infidèle depuis que je ne vous ai vu; mais il m'a fait toujours la grâce de me rappeler à lui, et je n'ai, Dieu merci, point été sourd à sa voix. Depuis quelque temps il me paroît que je me soutiens mieux dans le chemin de la vertu. Demandez-lui la grâce de me confirmer dans mes bonnes résolutions, et de ne pas permettre que je redevienne son ennemi; mais de m'enseigner lui-même à suivre en tout sa sainte volonté. Je continue toujours à étudier tout seul, quoique je ne le fasse plus en forme depuis

deux ans, et j'y ai plus de goût que jamais; mais rien ne me fait plus de plaisir que la métaphysique et la morale, et je ne saurois me lasser d'y travailler. J'en ai fait quelques petits ouvrages, que je voudrois bien être en état de vous envoyer, afin que vous les corrigeassiez, comme vous faisiez autrefois mes thèmes. Tout ce que je vous dis ici n'est pas bien de suite, mais il n'importe guère. Je ne vous dirai point ici combien je suis révolté moi-même contre tout ce qu'on a fait à votre égard; mais il faut se soumettre à la volonté de Dieu, et croire que tout cela est arrivé pour notre bien. Ne montrez cette lettre à personne du monde, excepté à l'abbé de Langeron, s'il est actuellement à Cambrai; car je suis sûr de son secret, et faites-lui mes complimens, l'assurant que l'absence ne diminue point mon amitié pour lui. Ne m'y faites point non plus de réponse, à moins que ce ne soit par quelque voie très-sûre, et en mettant votre lettre dans le paquet de M. de Beauvilliers, comme je mets la mienne; car il est le seul que j'aie mis de la confidence, sachant combien il lui seroit nuisible qu'on le sût. Adieu, mon cher archevêque; je vous embrasse de tout mon cœur, et ne trouverai peut-être de bien long-temps l'occasion de vous écrire. Je vous demande vos prières et votre bénédiction.

LOUIS.

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