Oldalképek
PDF
ePub

Molière lui-même n'eût pas désavoué plusieurs traits du Savetier et surtout l'immortelle farce de Patelin, admirable éclair de génie qui, à deux siècles d'intervalle, présage Tartufe à la France. L'auteur de Patelin est inconnu, on l'attribue à Pierre Blanchet de Poitiers, mort en 1519. M. François de Neufchâteau a cru le retrouver dans des fragments de la langue d'oc. Quoi qu'il en soit, comme dit Sainte-Beuve, Patelin, vieux titre littéraire, d'origine doutense, mais avant tout gauloise, appartenant à une nation et à une époque plutôt qu'à un individu, vaut pour la France une rapsodie d'Homère, une romance du Cid, une chanson d'Ossian.

Louis XII était le père du peuple; François Ier, qui n'était que le père des lettres, établit la censure théâtrale et proscrivit les farces et les soties. En même temps les discussions religieuses qui occupaient les esprits faisaient plus vivement sentir quels inconvénients pouvaient naître du travestissement des dogmes religieux dans les mystères. Les parlements et le clergé donnèrent l'éveil au roi, qui interdit aux confrères de la Passion les sujets tirés des saintes Écritures, de peur de prêter à rire aux calvinistes; tandis que Henri VIII défendait les mêmes représentations en Angleterre comme favorables au papisme. Les mystères disparurent alors pour jamais. Il est vrai qu'une puissance plus forte que les rois, les parlements et le clergé, et dont les arrêts sont bien plus difficilement cassés, l'opinion publique, les rejetait également. Les soties et les farces, au contraire, devaient renaitre plus brillantes et produire plus tard Molière et Beaumarchais.

[merged small][merged small][ocr errors]

qu'elle veut s'enrichir, elle préfère dans ses emprunts les idiomes de l'antiquité au langage vulgaire. La prose, au contraire, se plie successivement à toutes les impressions populaires, son premier besoin est d'être intelligible à tous, elle adopte sans répugnance les habitudes de la société qui doit la lire; elle comprend de prime abord la vérité que Voltaire a formulée depuis: Ce qui n'est pas clair n'est pas français. » Il suit de là que la prose du xive et du xve siècle est généralement d'une lecture beaucoup plus facile. que la poésie de la même époque. C'est la première remarque qui nous frappe en parcourant les auteurs de chroniques et de mémoires, les seuls prosateurs qui nous sont parvenus, ou du moins qui méritent de fixer l'attention.

Le plus ancieu est ce bon sire de Joinville, qui suivit saint Louis à la croisade; hardi et jovial, d'une franchise de style qui témoigne en faveur de sa véracité, mais qui porte quelquefois le naïf jusqu'au trivial. Villehardouin et Olivier de La Marche lui furent inférieurs; le livre du premier est cependant fort remarquable par l'intérêt du sujet qu'il a traité. Froissart, que Walter Scott appelait son maître, les a tous surpassés ; l'Hérodote de l'histoire de France, car ce nom lui est dû, aussi naïf, aussi sensé que Joinville, est un coloriste plus brillant que lui; il a jeté dans ses mémoires ce merveilleux qui donne à ses annales l'apparence de notre roman historique moderne, mais qui n'est autre chose que le reflet de l'esprit de son temps. Au-dessus d'eux tous, se place Philippe de Comines; peintre de Louis XI, il est à la hauteur de son modèle, c'est le Tacite du moyen âge; il n'a point le style si éminemment pittoresque de Tacite, la langue du xive siècle ne l'admettait pas; mais on retrouve en lui la sagacité, l'expérience, souvent la profondeur de l'historien romain. N'oublions ni Jean de Troyes, le panégyriste du même prince, ni Monstrelet, ni Jean Le Maire, ni Christine de Pisan, ni Juvénal des Ursins dont l'étude est si importante pour celui qui veut connaître dans toute leur vérité les faits et les mœurs du xve siècle.

Mais déjà se préparait une grande révolution. littéraire qui occupa toute la période suivante et se fit sentir surtout dans la poésie.

SEIZIEME SIÈCLE.

Un esprit de réforme universelle s'était emparé de l'Europe à la fin du règne de Louis XII. Ce fut d'abord contre le catholicisme qu'il se dirigea. Le protestantisme naissait en Allemagne, Henri Vill allait le faire monter sur le trône d'Angleterre. Il s'était déjà glissé au cœur de la France. Il en était la pensée dominante; un rapide coup d'oeil jeté sur l'histoire, le théâtre, la littérature de cette époque suffit pour s'en convaincre. La grande majorité des écrivains de ce temps, Henri Etienne, Rabelais, Marot, Pasquier, Montaigne, tournent au protestantisme et au scepticisme. Les écritures et les croyances fondamentales sont généralement respectées, mais toutes les plumes, sérieuses ou plaisantes, semblent uniquement dirigées contre les corporations religieuses, la discipline de l'Église et la plupart de ses dogmes. Il fallut la main de Francois ler armée du glaive de l'inquisition et plus tard l'espingole de Charles IX, pour arrêter cette tendance qui ne succomba que sous le despotisme de Richelieu et la force morale de Louis XIV. Mais quand le besoin d'innover s'est une fois emparé des âmes, repoussé sur un point, il s'elance sur un autre, et toutes les institutions, tous les systèmes religieux, politiques, littéraires sont tour à tour attaqués et abandonnés; les dées et les hommes luttent, combattent, succombent, se relèvent, jusqu'à ce qu'enfin une grande pensée domine le chaos, et qu'à l'époque de criticisme succède une époque d'organisme. Car ces deux mots, dans leur acception nouvelle, peignent bien ces états de malaise et de repos successifs qui se partagent la vie des nations. Le seizième siecle tout entier est une époque critique.

FOLSIE LYRIQUE, SATIRIQUE, ÉPIQUE; CRITIQUE LITTÉRAIRE.

Octavien de Saint-Gelais et Jean Marot suivaient encore les traces de Villon; mais Clément, le fils de Jean, devait surpasser de bien loin et les disciples et le maitre. C'est le premier de nos poetes qui soit encore intelligible d'un bout à Vintre. Son caractère est une gracieuse causerie,

une naïveté vive et fine, qui jette le trait avec tant d'aisance et de naturel que, tout inattendu qu'il soit, il arrive souvent que la réflexion seule en révèle toute la portée. Il avait, dit Étienne Pasquier, une veine grandement fluide, un vers non affecté, un sens fort bon, et encore qu'il ne fût accompagné de bonnes lettres ainsi que ceux qui vinrent après lui, si n'en était si dégarni qu'il ne les mit souvent en œuvre fort à propos. Outre le conte, la chanson, le rondeau, la ballade, déjà en vogue, Marot cultiva l'épigramme, l'épître, l'élégie et la satire qu'il appelait coq à l'âne; et partout son talent fut également facile et spirituel. Il y a plus d'antithèse, d'affectation, de mignardise, comme disait Pasquier, dans les poésies de Mellin de Saint-Gelais, le fils d'Octavien. Pierre Fabri, Eustorge de Beaulieu, Claude Collet, Lyon Jamet, Bérenger de La Tour, Étienne Dolet, Thomas Sebilet et une foule d'autres appartiennent à la même école. Il faut distinguer dans le nombre Jacques Gohorry, Maurice Seve, Victor Brodeau et La Borderie pour la piquante gaieté de leur esprit; Antoine Heroët, Gilles Corrozet, et Gilles d'Aurigny, qui prouvèrent par leurs pièces intitulées la Parfaite Amie, le Rossignol, et le Tuieur d'amour, que la galanterie n'exclut pas la décence. Charles Fontaine fut la dernière colonne d'un édifice que la réforme littéraire ébranlait déjà de toutes parts.

L'étude de l'antiquité apportée de Grèce en Italie et d'Italie en France faisait de rapides progrès et se répandait parmi les hommes éclairés ; elle était devenue la passion non-seulement des savants, mais aussi des poëtes et des littérateurs. Les premiers, qui n'employaient jusqu'alors que les langues mortes, voulurent prendre rang parmi les seconds qui n'étaient qu'hommes de cour et du monde, et forcer le langage commun à exprimer leurs idées. Mais ils sentirent en même temps la nécessité de l'élever à la hauteur des anciens idiomes dont ils étudiaient les chefs-d'œuvre. S'ils jetaient les yeux autour d'eux, ils ne voyaient dans le français qu'une langue à demi barbare, consacrée le plus souvent à des pensées communes, à de fades galanteries ou à des bouffonnerics grossières. Tel était du moins l'effet que

devait produire Marot et son école sur l'esprit des jeunes enthousiastes qui sortaient tout transportés de la lecture d'Homère et de Virgile. Que firent-ils? Pleins d'une ardeur qu'ils croyaient patriotique, ils résolurent de rapprocher la littérature française, et pour le fond et pour la forme, de ces antiques littératures alors si admirées et si admirables en effet. Ils voulurent, comme dit Boileau, parler grec et latin en français, et cette erreur les perdit. Telle fut l'origine du système classique, dont Dubellay formula les théories, et dont Ronsard fut le plus parfait modèle dans la pratique, système singulier où le besoin d'originalité ne conduisit qu'à une imitation servile et ridicule.

Dans les poésies de Dubellay, mort en 1560, on voit l'ode prendre la place de la chanson, le vers alexandrin retrouver sa dignité; il y a dans ses Regrets, espèce de poëme semblable aux Tristes d'Ovide, et dans le Poëte courtisan une certaine gravité mélancolique qui n'est pas sans charme. Quant à Ronsard, jamais peut-être aucun écrivain n'eut une telle réputation de son vivant. Comblé de la faveur des souverains français et étrangers, idolâtré de tous les savants, des poëtes et des littérateurs de son siècle, traduit dans presque toutes les langues, il fet pleuré de toute la France, et, pour me servir de l'expression de Sainte-Beuve, qui a écrit l'histoire de ce poëte et de son école, et a donné en 1828 une bonne édition de ses chefs-d'œuvre, sa mémoire, revêtue de toutes les sortes de consécrations, sembla entrer dans la postérité comme dans un temple. Les œuvres de Ronsard se composent d'odes, de chansons, d'élégies et du poëme épique de la Franciade. Au milieu de l'emphase trop souvent inintelligible qui fatigue dans ses divers ouvrages et qui le fit trébucher de si haut, on remarque de l'élévation dans l'idée et l'expression, et souvent des innovations heureuses dans le mécanisme du vers. Il faut reconnaitre aussi que s'il ne réussit presque jamais comme imitateur de Pindare et d'Homère, il eut plus de succès dans le genre anacréontique. Plusieurs de ses chansons sont pleines de grace. Tel est aussi le principal mérite de Jean-Antoine de Baïf, de Remi Belleau, d'Olivier de Magny, de Jacques Tahureau, de Claude de Pontoux, et de toute cette milice de poëtes qui combattaient sous les sept chefs que Ronsard avait appelés la pléiade poétique et qu'il commandait lui-même. Dubartas, au contraire, ne descendit jamais à la chanson, et dans son poëme de la Création du monde, il exagéra encorele faste pédantesque de Ronsard. Vauquelin de la Fresnaye fut plus simple; ses satires, ses Idylles et surtout son Art poetique méritent d'être lus. Il n'a pas été inutile à Boileau.

Cinquante ans ne s'étaient pas écoulés depuis les triomphes si enivrants de Ronsard, que déjà la carrière qu'il avait ouverte et parcourue avec tant d'éclat se refermait d'elle-même. Desportes, l'un des meilleurs poëtes de son école, se bornait à la chanson; il en faisait de délicieuses que toute la France savajt par cœur ; la réserve de Bertaut allait jusqu'à la platitude; le cardinal Duperron, homme d'ailleurs habile et éloquent, Papillon, Lingendes, et ceux que l'on a appelés la queue de Ronsard, préparèrent la voie aux Colletet, aux Scudéri, et à toute cette race de poëtes que nous retrouverons au siècle suivant.

Mais il ne faut pas confondre avec eux les satiriques qui parurent alors. Leur enthousiasme politique ou leur génie ont mis à part ces héritiers de la vieille gaieté française, Passerat, Durant, qui contribuèrent à la satire Ménippée; Agrippa d'Aubigné, le champion intrépide et trop peu connu du protestantisme; Thomas de CourvalSonnet, et surtout Régnier, vrai créateur de la satire en France, naïf, hardi, cynique, mais moins effronté que Juvenal et peut-être plus réellement poète que ne le fut Boileau lui-même, au moins dans ses satires. Il faut l'étudier dans l'édition et avec les remarques de M. Viollet Le Duc.

Ce ne fut pas cependant la faiblesse des successeurs de Ronsard qui donna à son école le coup mortel, et le fit tomber lui-même dans un aussi profond oubli que sa renommée avait été haute. Le xvIe siècle s'ouvrait par une réforme plus heureuse et plus durable. La gloire en était réservée à Malherbe.

ART DRAMATIQUE.

La réforme de Ronsard avait envahi toute la poésie de son temps, et, à défaut même des intérêts de la politique et de l'Église, elle eût suffi pour faire tomber le drame antérieur au xvio siècle. La transition fut singulièrement brusque; à des pièces tout à fait chrétiennes pour le fond, et françaises pour la forme, succédèrent, d'un seul bond, des drames entièrement païens et antiques pour la forme comme pour le fond. Les représentations des pièces grecques et latines traduites presque vers pour vers et mot pour mot étaient déjà habituelles dans les universités de France comme dans celles d'Allemagne, d'Italie et d'Angleterre. Protégées par Henri II, elles passèrent de là sur la scène; et bientôt la traduction littérale ne fut plus qu'une imitation libre. A part l'extrême ridicule du style, les pièces de ce temps sont de vraies tragédies grecques. Une action extrêmement simple, des actes fort courts, des personnages peu nombreux, des choeurs quelquefois brillants, unc intention de gravité qui

va jusqu'à l'emphase; tels sont leurs traits distinctifs.

La première tragédie originale en ce genre est la Cléopâtre de Jodelle, qui fut bientôt suivie de sa Didon; Jean de la Péruse, Scévole de Sainte-Marthe, Charles Toutain qui imagina des vers de seize pieds, Jean Grevin, Jean et Jacques de La Taille, Rouillet, Filleul, Gabriel Bonin qui introduisit les Turcs sur le théâtre, Desmasures et beaucoup d'autres marchèrent sur ses traces; le plus illustre de tous fut Garnier. Celuici renchérit encore sur Jodelle. Il crut avoir trouvé le perfectionnement du noble dans le guindé, celui du simple dans le sec; au lieu de Sophocle et d'Euripide, il prit pour modèle Sénèque et la tragédie romaine, plate exagération de la tragédie grecque. Cependant il ne manque souvent ni d'élévation dans la pensée, ni d'élégance dans le style. Sa Porcie et sa Phèdre offrent quelques exemples de ce double mérite : il eut du moins le bon sens de se renfermer presque toujours dans des sujets anciens.

Ses imitateurs Chantelouve, Behourd, Billard, Antoine de Montchrétien, etc., s'égarèrent plus que lui en appliquant à des événements modernes les formes qu'il avait adoptées. Coligny, Guise et Marie Stuart furent immolés au milieu de chœurs antiques, composés de jeunes garçons et de jeunes filles. Au reste, la plupart des pièces de cette époque, si insignifiantes sous le rapport de l'art, méritent l'attention comme monuments historiques; on peut étudier sous ce point de vue la Justification du pécheur par la foi, de Henri de Baran, la Tragédie de feu Gaspard de Coligny, par Chantelouve, le Triomphe de la Ligue, et la Guisiade, de Pierre Matthieu, le Chilpéric II, de Louis Léger, etc. Il était impossible, en effet, qu'avec la Saint Barthélemy, la Ligue, l'exécrable Charles IX et l'infàme Henri III, à travers les désordres et les assassinats de la guerre civile, tandis que le fanatisme et l'étranger hurlaient de toutes parts, la politique n'envahit pas aussi le théâtre; au milieu de ces commotions si présentes et si vives, Grecs, Romains, règles classiques, mœurs des cours, politesse moderne, tout fut oublié. Les intérêts religieux et civils, qui saisissaient tous les esprits, s'emparèrent du drame, comme de toute la littérature. Le règne de Henri IV rétablit l'ordre et la paix dans l'État, mais il n'eut presque aucun effet sur la scène; l'anarchie resta la même. Tout d'ailleurs y contribuait. Les rapports politiques de la France avec les Espagnols lui avaient fait connaître leur Langue et leur littérature. Ces productions exosiques s'allièrent avec les anciens mystères et les tragédies classiques, et tout se confondit dans un même chaos. Les critiques nous montrent

dans ce temps des mystères à l'ancienne mode, des tragédies à la mode nouvelle, des tragédies morales, allégoriques, avec ou sans chœurs, des journées en tragédies, des pastorales et bergeries, comiques ou historiques, des tragi-comédies à l'espagnole, etc., etc.

Édouard du Monnin donna une pièce politicoallégorique, intitulée la Peste de la peste ou le jugement divin; un autre donna la Comédie française de l'Enfer poétique; Philippe Bosquet, de Mons, fit représenter le Petit rasoir des ornements mondains; Jean de Viret donna les Machabées; Jean Gaucher de Troyes, l'Amour divin, etc.

Il est hors de doute que si, au milieu de ce bouleversement général, ou plutôt de ce syncrétisme qui avait également accueilli tous les systèmes, qui, en adoptant les anciennes compositions religieuses de la France, ne rejetait ni les Grecs, ni les Latins, ni les Italiens, ni les Espagnols, et qui n'était enchaîné par aucune règle arbitraire, il s'était élevé un de ces génies créateurs qui savent dominer leur siècle, deviner ses besoins, les satisfaire, et en même temps lui imprimer la direction de leurs pensées, les destinées de la scène française étaient fixées peut-être pour un long espace de temps, et peut-être aussi eût-elle pris un essor encore plus élevé qu'elle ne le fit dans la suite. Malheureusement il lui manqua un homme. Corneille vint trop tard; et Hardi, qui parut vers la fin du xvie siècle, n'était pas le génie que demandait son époque. Il fut cependant l'écrivain le plus fécond, le plus populaire, le plus universel que produisit ce système, et il peut en être considéré comme le type.

Cet homme, d'une veine si prodigieusement abondante, comme dit Scudéri, composé plus de huit cents pièces; il écrivait quelquefois deux mille vers en vingt-quatre heures. L'impression n'a conservé que quarante et un de ses drames. Parmi eux se trouvent des tragédies antiques, comme Didon, Méléagre, la Mort de Darius, Coriolan, Mariane, Panthée, etc. Au milieu d'inconvenances et d'incorrections sans nombre, elles présentent une verve de style assez franche, et presque toujours l'observation des règles classiques. Les pièces dont le sujet est moderne sont, au contraire, pour la plupart, des imbroglios espagnols, où toutes les licences imaginables sont admises sans difficulté. Le style de Hardi, quelquefois assez animé, mais le plus souvent prosaïque, n'a jamais l'harmonie, l'éclat et la poésic de celui de Garnier.

La comédie, qui ne s'attachait qu'à imiter une nature plus connue et plus positive, resta, du moins dans le temps du système de Ronsard, à l'abri des aberrations où s'égara le genre sé

rieux elle imita les défauts comme les qualités
des comédies italiennes de Poggio, de Machiavel,
de Bibbiéna. Un vers de huit syllabes, coulant
et rapide, dit Sainte-Beuve, un dialogue vif et
facile, des mots plaisants, des malices parfois
heureuses contre les moines, les maris et les
femmes, y rachètent l'immoralité des sujets,
l'uniformité des plans, la confusion des scènes,
la trivialité des personnages. ›

Les comédies les plus fameuses de ce temps
furent l'Eugène de Jodelle, les Esbahis et la
Trésorière de Grevin, le Brave ou Taille-Bras
de Baif, les Négromants et les Corrivaux de J. de
La Taille, et surtout les pièces de Larivey,
Champenois, le seul de nos anciens comiques
qui, avec l'auteur de Patelin, se rapproche de
Molière; ses pièces sont écrites en prose, comme
celles de Jean de La Taille. Sa comédie des
Esprits, dont M. Suard a fait le plus brillant
éloge, est pleine de traits heureux, et d'une
grande naïveté de passion. On cite aussi, à la
même époque, les Napolitains de François
d'Amboise, les Contents d'Odet Turnèbe, le
Muet insensé de Pierre le Loyer. Ce dernier,
dans sa Nephelococugie a heureusement imité
la charmante comédie des Oiseaux d'Aristo-
phane.

PROSE; ROMANS, MÉMOIRES, ouvrages DIDAC-
TIQUES.

La réforme littéraire, qui avait si rapide-
ment mais si complétement modifié la poésie
du xvie siècle, n'eut aucune influence sur la prose,
car cette réforme était l'œuvre des savants, et
la prose, comme nous l'avons dit, s'était tenue
jusque-là presque en dehors de la science, elle
était restée l'expression de la pensée et des sen-
timents populaires. Aussi, en se dérobant aux
innovations des lettrés, elle obéit tout entière
au mouvement religieux et politique qui agitait
toutes les classes des citoyens. Le génie obser-
vateur des Français avait été frappé, aussitôt que
le reste de l'Europe et même avant elle, des er-
reurs multipliées de l'Église et de l'État; mais,
fidèles à l'esprit de leurs ancêtres, ils n'em-
ployèrent longtemps que les traits de la plaisan-
terie et l'arme du ridicule contre les abus que
l'Angleterre et l'Allemagne attaquaient d'une
manière tout autrement sérieuse et décisive. Ainsi
la prose se renferma d'abord dans une satire
joviale, licencieuse, mais presque inoffensive,
contre les moines et les maris. Les Italiens avaient
donné le modèle de ces gaillardises pleines d'une
immoralité naïve, auxquelles les contes des trou-
vères, l'Histoire de Gérard de Nevers, celle du
petit Jehan de Saintre, sous Charles VI, et les

cent Nouvelles composées par des seigneurs de
la cour de Bourgogne, avaient aussi habitué les
Français avant le xvi° siècle.

A l'imitation du Décaméron de Boccace, la
reine Marguerite de Navarre écrivit l'Heptamé
ron, beaucoup plus libre dans les pensées comme
dans le style que l'auteur italien, mais fidèle
miroir du siècle corrompu où elle vivait. Une
preuve de la vogue qu'obtenaient alors ces sortes
d'ouvrages, c'est que la reine mère et madame
de Savoie avaient aussi tenté de composer des
nouvelles dans le même genre. Qu'on ne s'étonne
point de trouver ici le nom de trois princesses
royales. Ce siècle fut encore plus fertile que les
précédents en romanciers et en poëtes couronnés.
Tout le monde connaît les quatrains légers et
gracieux de François Ier; Henri II égalait son
père en ce genre; et tous deux furent surpassés
par Charles IX, dont les vers à Ronsard sont
peut-être les plus fermement et les plus purement
écrits de l'époque. Marie Stuart, femme de
François II, avait reçu des leçons de poésie du
chevalier de Chatelart, poète lui-même, et qui
fut victime de sa passion pour elle. Les Adieux
de Marie à la France respirent une touchante
mélancolie. Enfin les vers, les lettres et les
courtes harangues de Henri IV prouvent que,
comme écrivain, il ne fut pas indigne de ses pré-
décesseurs.

Pour revenir à nos conteurs, Bonaventure
Desperriers, secrétaire de la reine de Navarre,
l'imita dans ses Joyeux Contes et Devis; et
bientôt son fameux Cymbalum mundi, qui lui
attira tant de persécutions, fut comme le signal
d'un genre de satire plus directe.

En effet, le mouvement général donné aux
esprits par la réformation ne permettait plus de
se renfermer dans une plaisanterie vague et pres-
que innocente. Les disputes religieuses, unies.
au classicisme, produisirent en Italie, en Hol-
lande, en Allemagne, une foule d'ouvrages
satirico-philosophiques, écrits dans les langues de
l'antiquité; l'ironie du style macaronique prit
naissance; Érasme fit l'Eloge de la Folie, d'autres
celui de la Goutte, de la Paresse, etc. Reuchlin
écrivit les Litteræ obscurorum virorum. De ce
mélange universel de raison, de science et de
comique sortit enfin Rabelais.

Rabelais, curé de Meudon, fit paraître, vers
le milieu du XVIe siècle, le fameux roman de
Gargantua, qui fut bientôt suivi de Pantagruel,
mélange inouï de rire inextinguible, de bon sens
supérieur au siècle, d'obscénités repoussantes,
de vigoureuse éloquence, d'inintelligible folie,
saturnales d'une épopée en délire qui comprend
tout et se gausse de tout, qui suppose une étude
approfondie des anciens et des modernes, et qui

« ElőzőTovább »