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consultent sérieusement, cette raison, toute débile qu'elle est, suffira pour dissiper leurs répugnances. Qu'y a-t-il, en effet, de si étrange à ce que celui qui a donné des organes à l'âme humaine, et lui a refusé tout autre moyen de communiquer avec les autres âmes, et de connoître qu'elles existent, se soit servi de ces mêmes organes pour communiquer avec l'homme, et lui manifester son existence? Je ne parle pas de la possibilité, évidente par elle-même, de ce mode d'action; je parle de sa convenance, de son analogie avec la pature. Falloit-il que son auteur, à l'instant même où il venoit d'en établir les lois, les violât dans ses rapports avec notre premier père? Par une suite de ces lois, nous ne pouvons trouver la certitude en nous-mêmes; sa base nécessaire est l'autorité. La plus importante des vérités, l'existence de Dieu, devoit donc reposer sur un témoignage d'une autorité infinie. Et n'étoit-il pas d'ailleurs éminemment convenable qu'ayant reçu du Créateur toutes nos facultés, toutes nos facultés concourussent à nous conduire à lui, et à nous convaincre de son être? Qu'y a-t-il là qui blesse la raison? et en quoi l'action de Dieu sur notre œil ou sur notre oreille seroit-elle plus surprenante que son action sur notre cerveau, à laquelle veulent le réduire les déistes? Profonds esprits, qui, par pitié, daignent apprendre au ToutPuissant quels moyens il dut employer pour se révéler primitivement à sa créature!

Ce que je ne fais qu'effleurer ici sera développé plus loin. Il nous suffit maintenant de la preuve de

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fait qu'offre la tradition universelle. Et qu'on n'objecte pas qu'elle se réduit à la déposition de deux témoins: car, premièrement, nous ignorons à quelle époque ont cessé les communications sensibles du Créateur avec l'homme (1); et, en second lieu, nous avons vu que le nombre de témoignages requis pour produire une certitude complète, dépendant de mille circonstances variables, étoit uniquement déterminé par le consentement commun. Or y eut-il jamais de consentement plus unanime que celui qui sanctionne le témoignage de nos premiers parens? Et quelle vérité respectera le doute, s'il pénètre jusqu'à celle-ci, à travers cette majestueuse enceinte de toutes les générations et de tous les siècles rangés autour d'elle pour la défendre?

Voulez-vous donc contester au genre humain sa tradition? alors, et nécessairement, contestez à chaque famille, à chaque peuple, sa tradition particulière moins attestée, et dès lors moins certaine. Effacez toutes les histoires, niez tous les faits, tous les témoignages: ravissez-vous à vous-même la possibilité de rien croire, de rien connoître, de rien affirmer; doutez de tout ce qui fut, et, les yeux fermés, asseyez-vous en silence entre les ruines du passé et les ténèbres de l'avenir: simulacre vide placé entre deux mondes, pour

(1) Outre nos premiers parens et leurs descendans immédiats, Dieu s'est manifesté, selon la Genèse, à Noé, aux patriarches, à Moïse; et la tradition générale des peuples atteste qu'originairement ces communications étoient fréquentes, à cause du besoin qu'en avoient les hommes.

indiquer aux intelligences dégoûtées de la vie la route du néant.

C'est déjà, certes, une assez forte preuve de l'existence de Dieu, qu'il faille ou l'admettre, ou rejeter tous les faits traditionnels, tous les rapports des sens, ce qui emporteroit, s'il étoit possible à l'homme d'être conséquent jusqu'à ce point, la destruction de la société et de la race humaine. On n'auroit cependant qu'une légère notion de la folie de l'athée, si l'on ne comprenoit en outre qu'il ne peut nier Dieu sans se nier lui-même, sans être contraint de douter du sentiment intime qui l'assure de sa propre existence; car j'ai montré que la certitude des vérités de sentiment repose, aussi bien que la certitude des vérités de sensation, sur l'autorité générale ou le consentement commun. Qui donc oseroit nier une vérité de sentiment universel, devroit douter de tout ce qu'il sent ou s'imagine sentir; puisqu'il est visible que si le genre humain a pu être, depuis son origine, perpétuellement abusé par un sentiment faux, nul homme ne peut se répondre que le sentiment le plus invincible pour lui ne soit pas une illusion.

Or jamais il n'exista de peuple qui n'eût le sentiment de la Divinité. Le sentiment se manifeste par l'action, comme la pensée par la parole; et partout nous voyons un hommage, un culte public rendu par la société au souverain Etre. « Vous pourrez trouver, » dit Plutarque, des cités privées de murailles, de >> maisons, de gymnases, de lois, de l'usage de la >> monnoie, de la connoissance des lettres; mais un

>> peuple sans Dieu, sans prières, sans sermens, sans >> rites religieux, sans sacrifices, nul n'en vit ja>> mais (1). »

Il faut bien reconnoître, avec Cicéron, dans ce consentement unanime des peuples, la loi même de la nature (2); car la nature et ses lois, même physiques, ne se reconnoissent qu'à ce caractère de permanence et d'universalité. Donc, refuser de croire en Dieu, en éteindre en soi le sentiment, c'est essayer de se soustraire à l'une de ces lois naturelles qui sont pour tous les êtres les lois de l'existence; et nous ne devons plus être surpris que la mort de la société et la mort de l'homme soient le résultat de l'athéisme. Qui viole la nature des êtres, détruit les êtres mêmes, et il n'existe pas d'autre moyen de donner la mort.

Je n'examine point s'il est absolument possible qu'une créature intelligente perde tout sentiment de Dieu; du moins n'en est-il aucune qui ne lui ait auparavant rendu témoignage. La main de ce scélérat consommé, maintenant tranquille en apparence, a tremblé en commettant le premier meurtre. On dit de lui qu'il a étouffé le remords: donc il l'a senti, donc il a craint Dieu. Mais n'allons point chercher de tristes argumens parmi les monstres; c'est de l'homme que nous nous occupons.

Quel moyen de méconnoître le sentiment de la Divinité dans le penchant naturel qui le porte incessam

(1) Plut. adv. Coloten.

(2) Omni in re consensio omnium gentium, léx naturæ putanda est. Tuscul., lib. I, cap. 13.

ment à faire acte, pour ainsi dire, de sa dépendance d'un Être supérieur? en sorte que là même où l'absence d'un pouvoir public le laisse sous les seules lois de la famille, chaque famille, ou, si l'on veut remonter à un état plus imparfait encore, chaque individu a son culte, souvent, à la vérité, bizarre, extravagant, parce qu'à mesure que l'homme s'isole, la connoissance et l'autorité des traditions s'affoiblissent, et il devient plus dépendant de sa raison particulière, qui dès lors se montre nécessairement avec ses caractères propres, la foiblesse, l'inconséquence, l'obscurité.

Mais, malgré les erreurs de son esprit, l'homme partout a le sentiment d'une puissance souveraine, sage, prévoyante, qui entend sa voix, qui juge ses actions et dispose de ses destinées. S'il désire, s'il craint, s'il souffre, il l'invoque. Que ne fait-il point pour la fléchir, pour se la rendre propice? Le danger des fausses religions tient uniquement à l'énergie de ce sentiment, quelquefois supérieur à l'amour même de la vie. Universel comme la pensée, comme elle et plus sensiblement qu'elle, il est le signe distinctif de l'homme, que les anciens, par cette raison, n'avoient pas cru pouvoir mieux définir qu'en l'appelant un animal religieux. Qu'on me nomme en effet la contrée où ce trait de sa nature soit entièrement effacé, où le malheureux, l'innocent opprimé, la mère alarmée sur son enfant, ne lève au ciel des yeux et des mains suppliantes: merveilleux mouvement que déterminent, non la disposition des organes ni aucune impulsion

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