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toujours dans des régions plus hautes, où la foule ne peut suivre les savans, pour infirmer ou ratifier leurs dépositions (1).

(1) Il faut soigneusement distinguer, dans les sciences, ce qui repose sur le témoignage ou l'autorité, de ce qui repose sur le simple raisonnement. Du premier genre sont les principes, les phénomènes généraux à la portée de tous les hommes, ou d'un grand nombre 'hommes. C'est là qu'est la certitude, c'est là ce qu'on ne peut nier sans faire violence à la nature, et sans briser la raison mème. Du second genre sont tous les systèmes, toutes les théories, toutes les explications des phénomènes; aussi rien de plus variable et de plus incertain. Elles passent si rapidement qu'à peine les plus attentifs ont-ils le temps de les compter; elles se pressent, comme ces ombres de Virgile, aux portes de l'oubli : Huc omnis turba essusa ruebat. Mais ce ne sont, remarquez-le bien, que des pensées individuelles, des conceptions reléguées dans un petit nombre de têtes, et dès lors · sans autorité. Quand elles deviendroient des opinions vulgaires, adoptées sans être vérifiées, puisqu'il est impossible qu'elles le soient, la foule ne déposeroit que de leur existence, et non pas de leur vérité. Prenons pour exemple le mouvement du soleil. Je suppose que, pendant un temps, tous les hommes aient cru que le soleil tourne autour de la terre: il y a deux choses dans cette croyance, le pur phénomène, ou le mouvement apparent du soleil autour de la terre, et l'explication du phénomène, qui, n'étant à la portée que de très peu d'hommes, ne repose que sur leur raison particulière, bien que les autres hommes aient pu adopter de confiance, et en quelque sorte provisoirement, cette explication, que personne encore ne contestoit, et dont ils n'étoient pas juges. Or le phénomène, qui seul a pour lui l'autorité du témoignage général, est incontestablement vrai; l'explication, qui n'a pour elle que l'autorité de la raison, est in contestablement fausse. Et cela montre clairement combien le raisonnement seul est un guide peu sûr; car si jamais conséquence a dù paroître naturelle et même évidente, c'est assurément la fausse conséquence dont il s'agit.

Que tout le genre humain atteste que des pierres sont tombées du ciel, il faut l'en croire, quelques raisonnemens qu'on oppose à ce témoignage universel. Un savant de l'autre siècle n'a-t-il pas démontré, à ce qu'il pensoit, l'impossibilité des aérolithes, dont l'existence est aujourd'hui si pleinement avérée ? Ils n'avoient pourtant pas en leur faveur un témoignage universel, à beaucoup près. Tou

Sous ce rapport, les sciences exactes ne jouissent d'aucun privilége. Ce nom même d'exacles n'est qu'un de ces vains titres dont l'homme se plaît à parer sa foiblesse; indépendamment des preuves générales par lesquelles j'ai montré que la certitude n'a point de base solide dans la raison individuelle, il est constant que la géométrie, de toutes les sciences la plus exacte, repose, aussi bien que les autres, sur le consentement commun. De distance en distance, et dès les premiers pas, la raison est arrêtée par des difficultés insurmontables; et l'on détruiroit complètement la géométrie, si on l'obligeoit de prouver les axiomes et les théorèmes qui en sont le fondement (1). Elle ne subsiste

tefois le témoignage, même partiel, s'est encore montré ici supérieur en certitude au raisonnement.

Ainsi il y a de la folie à attaquer ce qui repose sur l'autorité générale, telle que je viens de la définir. Au contraire, ce qui n'a pas cet appui doit être mis et remis perpétuellement à l'épreuve ; car ce seroit profaner l'autorité véritable que d'en attribuer les droits aux opinions d'un ou de quelques hommes, quels qu'ils fussent. Toute raison individuelle ne peut rien exiger d'une autre raison que l'examen. Il y a plus on doit même constamment supposer qu'elle se trompe, et l'expérience confirme cette règle. La disposition contraire, propre sculement à arrêter le développement des connoissances et à consacrer l'erreur, n'est pas le culte, mais l'idolâtrie de l'autorité; et l'esprit philosophique, auquel le progrès des sciences est attaché, consiste à mépriser la raison particulière, au point de douter toujours de ce qui lui semble le plus évident et qu'elle affirme avec le plus de confiance.

(1) Pour en indiquer quelques exemples, on énonce, dès l'entrée de la géométrie, que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre, et aussitôt l'on ajoute qu'on n'en peut mener qu'une; ce qui n'est rien moins qu'évident, et ne peut être d'ailleurs établi rigoureusement. On arrive ensuite, tant bien que mal, à la théorie des parallèles, l'écueil de tous les géomètres, et qu'on est contraint d'admettre sans aucune démonstration complète. Toutes

qu'en vertu d'une convention tacite d'admettre certaines bases nécessaires; convention que l'on peut exprimer en ces termes : Nous nous engageons à tenir tels principes pour certains, et à déclarer quicon

celles qu'on a essayé d'en donner jusqu'ici sont défectueuses par quelque endroit. Il seroit facile d'étendre ces considérations aux autres branches de mathématiques, Partout où l'on emploie l'idée de continuité, on rencontre nécessairement l'infini numérique avec toutes ses difficultés. Ainsi, à mesure qu'on avance, on trouve des pas difficiles, où, la démonstration s'arrêtant soudain, il faut suppléer par un acle de foi à l'impuissance de la raison, ou renoncer au reste de la science.

:

En physique, l'embarras est encore plus grand. On déduit des observations, dont la certitude est d'ailleurs quelquefois assez dou · teuse, de prétendues lois genérales, qu'on en donne pour un résultat nécessaire comme si l'on ne pouvoit pas satisfaire à l'explication des phénomènes par une infinité de lois différentes, de même que par un nombre déterminé de points on peut toujours faire passer une infinité de courbes; comme si l'on ne pouvoit pas supposer même qu'il n'existe aucune loi générale qui lie les phénomènes entre eux. Il est donc manifeste que toutes les théories, même celle de l'attraction, ne sont que des hypothèses plus ou moins incertaines. Elles ne sont fondées en effet que sur une analogie nullement évidente, et qui suppose, sans aucune preuve, les deux principes sui

vans :

1. Les mêmes causes et les mêmes circonstances observées par le passé doivent persévérer à l'avenir et reproduire les mêmes effets. 2. Parmi l'infinité de lois possibles qui peuvent satisfaire aux observations, les plus simples et les plus générales sont nécessairement les plus vraies.

Or qui ne voit que ces principes fondamentaux de lanalogie reposent eux-mêmes sur une certaine idée d'ordre, dont la vérité n'a d'autre preuve que le consentement commun; idée totalement incompréhensible, et même contradictoire, si l'on admet l'existence d'un législateur éminemment sage et tout-puissant, qui préside au gouvernement de l'univers? Si le monde, en effet, n'est pas l'ouvrage d'un être intelligent, s'il n'est qu'une production du hasard, où est la raison de le supposer aussi parfait qu'il peut l'être? où est la raison même d'y chercher une régularité, un ordre quelconque? et qu'est-ce qui nous défend de penser que ce soit une mauvaise ma

que refusera de les croire sans démonstration, coupable de révolte contre le sens commun, qui n'est que l'autorité du grand nombre.

Que deux ou plusieurs personnes diffèrent de sentiment, que font-elles après avoir mutuellement essayé de se convaincre ? Elles cherchent un arbitre, c'està-dire une autorité qui détermine, sinon la certitude, du moins la vraisemblance en faveur de l'un des sentimens contestés. Nous nous défions des idées même qui nous paroissent les plus claires, quand nous les voyons repoussées généralement par les autres hommes; et la dernière raison, souvent la seule, et toujours la plus forte que nous puissions opposer aux sophistes, aux disputeurs opiniâtres, est ce mot accablant Vous êtes le seul qui pensiez ainsi.

chine, embarrassée de rouages superflus, sans harmonie entre ses parties, et soumise à une force aveugle, variable et indépendante de toute loi constante?

Je ne dirai rien de nos quatre-vingts systèmes de géologie; tous si bizarres et insensés, que, selon M. Cuvier, l'on ne peut plus prononcer le nom de cette science sans exciter le rire.

Combien de fois la chimie n'a-t-elle pas changé de face, même depuis qu'abaissant le voile mystérieux qui la couvroit, on l'a élevée au rang des véritables sciences! Au phlogistique de Stah!, qui régnoit avec gloire il y a cinquante ans, a succédé la théorie de l'oxygène et des acides; et voilà qu'aujourd'hui, par une de ces révolutions si fréquentes dans l'empire des sciences, et qui ne sont jamais que le présage de nouvelles révolutions, cette théorie tant vantée croule de toutes parts. Renversée par les découvertes de Davy et de Gay-Lussac, elle n'est plus guère qu'une de ces ruines qui, d'espace en espace, indiquent la marche de la science, et facilitent le moyen de la suivre au milieu de son vague et obscur domaine.

Je ne parlerai point de la métaphysique, de ses variations perpétuelles, de l'incertitude de ses systèmes. On peut consulter sur ce point les Recherches philosophiques de M. de Bonald, t. I, ch. 1.

Voyez, lorsque la nature agit seule encore, avec quelle facilité, quel empressement la raison naissante de l'enfant obéit à l'autorité; comme ses croyances se forment peu à peu sur le témoignage, qui éveille ses pensées, qui les rectifie, à qui sans cesse il en appelle par un penchant indélibéré, qui n'est que le sentiment du besoin, et pour ainsi dire la faim de l'âme, qui demande sa nourriture. De cette manière, et sans que la réflexion y ait aucune part, le témoignage devient la règle de ses jugemens, le moyen par lequel il discerne le vrai du faux. S'il refusoit de croire ce qu'on lui dit, s'il vouloit en trouver la certitude en lui-même, jamais son esprit ne se développeroit. Or que d'idées, que de connoissances certaines l'enfant ne possède-t-il pas avant d'avoir atteint l'âge qu'on appelle de raison, et qui seroit mieux nommé l'âge du raisonnement! En continuant de vivre, il continuera de croire : l'autorité demeurera sa règle; sculement elle lui aura elle-même appris à distinguer entre plusieurs autorités quelle est la plus grande, et à reconnoître ainsi, et toujours par le témoignage, les erreurs qui auroient pu lui être suggérées. Tous tant que nous sommes, philosophes ou non, voilà comme nous avons commencé ; voilà comme notre intelligence est sortie de ses ténèbres natives, comme elle s'est étendue, fortifiée : et l'on veut que la loi qui la perfectionne, qui la conserve, soit opposée à celle par qui seule elle a pu d'abord exister!

Les objections contre la certitude que chaque homme, considéré individuellement et sans relation

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