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et leurs efforts pour élever la raison de l'individu à une hauteur où elle ne sauroit atteindre, n'aboutissent qu'à la destruction absolue de la raison humaine.

Voilà ce que peut la philosophie à l'égard du vrai ; voilà où elle conduit l'homme qui cherche en soi la certitude. Toutes nos tentatives pour arriver à la vérité par nos seules forces, n'ont d'autre effet que de constater de plus en plus notre impuissance, et de justifier ce mot d'un ancien : « L'unique chose cer>> taine est qu'il n'y a rien de certain, et qu'aucun >> être n'est plus misérable et plus orgueilleux que >> l'homme (1). »

Mais, quoi! perdant toute espérance, nous plongerons-nous, les yeux fermés, dans les muettes profondeurs d'un scepticisme universel? Douterons-nous si nous pensons, si nous sentons, si nous sommes? La nature ne le permet pas; elle nous force de croire, lors même que notre raison n'est pas convaincue. La certitude absolue et le doute absolu nous sont également interdits. Nous flottons dans un milieu vague entre ces deux extrêmes, comme entre l'être et le néant; car le scepticisme complet seroit l'extinction de l'intelligence, et la mort totale de l'homme. Or il ne lui est pas donné de s'anéantir; il y a en lui quelque chose qui résiste invinciblement à la destruction, je ne sais quelle foi vitale, insurmontable à sa volonté même. Qu'il le veuille ou non, il faut qu'il croie, parce qu'il faut qu'il agisse, parce qu'il faut

(1) Solum certum nihil esse certi, et homine nihil miseriùs aut superbiùs. Pline.

qu'il se conserve. Sa raison, s'il n'écoutoit qu'elle, ne lui apprenant qu'à douter de tout et d'elle-même (1), le réduiroit à un état d'inaction absolue: il périroit avant d'avoir pu seulement se prouver à luimême qu'il existe.

Ainsi l'homme est dans l'impuissance naturelle de démontrer pleinement aucune vérité, et dans une égale impuissance de refuser d'admettre certaines vérités (2). Bien plus, les vérités que la nature le contraint d'admettre avec le plus d'empire sont celles dont il a le moins de preuves: tels sont tous les principes qu'on appelle évidens; et on les reconnoît même à ce caractère, qu'on ne sauroit les prouver.

Dès qu'on veut que toutes les croyances reposent sur des démonstrations, l'on est directement conduit au pyrrhonisme. Or le pyrrhonisme parfait, s'il étoit possible d'y arriver, ne seroit qu'une parfaite folie, une maladie destructive de l'espèce humaine. De là vient que le même sentiment qui nous attache à l'existence nous force de croire et d'agir conformément à ce que nous croyons. Il se forme, malgré nous, dans notre entendement, une série de vérités inébranlables au doute, soit que nous les ayons acquises par les sens

(1) Dans tous les temps, les esprits d'un ordre supérieur ont été frappés de l'impuissance où la raison individuelle est de conduire l'homme à aucune vérité certaine. « La raison humaine, dit Bayle, » est trop foible pour cela ; c'est un principe de destruction, et non » pas d'édification : elle n'est propre qu'à former des doutes, et à se » tourner à droite et à gauche pour éterniser une dispute. » Dictionnaire crit., art. Manichéens, note D.

(2) Pensées de Pascal, t. II, art. 1, p. 8.

ou par quelque autre voie. De cet ordre sont toutes les vérités nécessaires à notre conservation, toutes les vérités sur lesquelles se fonde le commerce ordinaire de la vie, et la pratique des arts et des métiers indispensables. Nous croyons invinciblement que nous existons, que nous sentons, que nous pensons, que nous communiquons par la parole avec d'autres hommes jouissant comme nous de la faculté de sentir et de penser, qu'il existe des corps doués de certaines propriétés, que le soleil se lèvera demain, qu'en confiant des semences à la terre elle nous rendra des moissons. Qui jamais douta de ces choses, et de mille autres semblables?

Dans un ordre différent, nous ne doutons pas davantage d'une multitude de vérités que la science constate; et c'est cette impuissance de douter, ou du moins, si l'on doute, l'assurance d'être déclaré fou, ignorant, inepte, par les autres hommes, qui constitue toute la certitude humaine. Le consentement commun, sensus communis, est pour nous le sceau de la vérité; il n'y en a point d'autre.

Supposons en effet que les hommes, dans les mêmes circonstances, fussent affectés de sensations, de sentimens contraires, formassent des jugemens opposés, aucun d'eux ne pourroit rien nier, rien affirmer, parce qu'aucun d'eux ne trouveroit en soi de preuves déterminantes en faveur de ce qu'il sent et de ce qu'il juge. Sur quel fondement se croiroit-il plus infaillible qu'un autre homme? Ce seroit se supposer de nature différente. Il n'y songeroit même pas. Sa raison

étonnée s'arrêteroit en silence devant la raison d'autrui, comme nous nous arrêterions pleins de surprise, et de doute, devant des miroirs qui, placés en face du même objet, en réfléchiroient des images dissemblables.

Qu'il y ait contradiction entre les rapports des sens, les témoignages intérieurs de l'évidence, ou les jugemens raisonnés de plusieurs individus, sur-le-champ le défaut d'accord produit l'incertitude, et l'esprit demeure en suspens jusqu'à ce que le consentement commun ramène avec soi la persuasion. Un principe, un fait quelconque est plus ou moins douteux, plus ou moins certain, selon qu'il est adopté, attesté, plus ou moins universellement. Toutes les idées humaines sont pesées à cette balance; les hommes n'ont pas d'autre règle pour les apprécier.

Qu'est-ce qu'une science, sinon un ensemble d'idées et de faits dont on convient? Ce qui ne porte pas ce caractère, ce qui reste contesté entre les témoins et les juges, est rangé dès lors parmi les opinions incertaines. Arrive-t-il au contraire que le partage de sentimens cesse, que les autorités soient unanimes, la science a, de ce moment, atteint le plus haut degré de certitude qu'elle soit susceptible d'acquérir. Aussi n'est-on plus admis à douter; on punit la raison rebelle, on la dégrade, pour ainsi dire, en lui imprimant une flétrissure déshonorante : tant la nature nous incline à supposer que la vérité est là où nous apercevons l'accord des jugemens et des témoignages!

Nous jugeons de ce qui est bien ou mal, licite ou

illicite, nuisible ou avantageux, d'après la même règle, et cela sans aucune instruction précédente, par un mouvement indélibéré, non moins universel qu'irrésistible. Les relations sociales, la justice humaine, nos connoissances, notre conduite, notre intelligence, en un mot, reposent sur ce fondement. La certitude croît pour nous en proportion du concert et du nombre des autorités; et la critique, ou la raison appliquée aux choses morales pour séparer le vrai du faux, n'est que l'art de discerner la plus grande autorité.

Que si beaucoup d'erreurs, principalement dans les sciences, ont été reçues pour des vérités, c'est qu'en matière de science il n'existe guère que des autorités particulières presque nulles relativement à la masse des hommes. Qu'est-ce en effet que quelques centaines de savans en comparaison du genre humain? On cède à leur autorité, parce qu'il n'y en a pas d'autre; et cette autorité se montre souvent faillible, parce qu'elle n'est que celle d'un petit nombre d'hommes, dont les assertions, ne pouvant être suffisamment vérifiées, ont contre elles la plupart des chances d'erreur, qui naissent de l'imperfection des sens, de la foiblesse de la raison, des illusions même de l'évidence. Ainsi les exceptions apparentes confirment le principe général.

Observez, en outre, que la partie la moins variable ou la plus certaine de chaque science se compose de notions accessibles à tous les hommes, de ce qui a pu être vérifié une infinité de fois, ou de ce qu'attestent les plus nombreux témoignages. L'erreur se trouve

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