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plus l'autorité ou la raison qui rend témoignage est générale, plus la certitude est grande; et le témoignage sur lequel reposent les vérités primordiales qui constituent notre raison, notre vie, étant nécessairement le témoignage de l'auteur même de cette vie, c'est-à-dire de la plus haute autorité ou de la raison infinie, a une certitude absolue (1). On voit en outre que les idées premières, dont le langage, en ce qu'il a d'essentiel, est l'expression, ne sauroient se perdre sans que le langage lui-même se perdît, et sans que l'intelligence fût détruite. Privé de ces idées traditionnelles, l'homme tomberoit dans une impuissance absolue d'agir ou de penser, puisqu'il n'auroit plus en lui d'instrument pour agir, ni rien sur quoi il pût agir. Aussi, quand des circonstances particulières séparent quelques hommes des autres hommes, et que les vérités primitives s'obscurcissent, ou, comme parle admirablement l'Écriture, diminuent (2) dans leur raison; dépourvus en partie de ces élémens de toute pensée que la tradition seule conserve, ils n'ont qu'une langue extrêmement pauvre, et qu'un petit nombre d'idées secondaires. Tous les sauvages sont dans ce

cas.

mus ut cognoscamus, non cognoscimus ut credamus.—Noli quærere intelligere ut credas; sed crede ut intelligas.—Fides debet præcedere intellectum, ut sit intellectus fidei præmium. Id. Tract. XX in Joan. In Ps. CXVII, et in Is. Vid. et De liber. arbitr., lib. II, cap. 2, et Theodoret. De curand. græc. affect. Id. Sermo de fide.

(1) Les pensées anciennes sont vraies; il est ainsi : cogitationes antiquas fideles, amen. Is. XXV, 1. Votre parole est vérité : Sermo tuus veritas est. Joan. XVII, 17.

(2) Diminulæ sunt veritates a filiis hominum. Ps. 11.

Combiner les notions qu'il reçut à l'origine, en tirer des conséquences, c'est à cela que se bornent les opérations de notre esprit. Et comme la raison humaine est faite pour la vérité, puisqu'elle ne vit que par elle, la raison générale ne sauroit errer ou se détruire elle-même; autrement il y auroit en Dieu contradiction de volontés, ou défaut de puissance.

Il n'en est pas ainsi de la raison individuelle. En s'isolant, elle perd l'appui de la tradition. Incapable dès lors de remonter à son principe, elle ne voit en elle qu'un effet sans cause. Le doute l'envahit de toutes parts. Elle ne trouve en elle aucune certitude, parce qu'elle n'y trouve rien de nécessaire. Pouvant également être ou n'être pas, son existence lui devient un problème éternellement insoluble (1); car le témoignage est l'unique moyen par lequel il puisse être résolu, et elle ne sauroit se rendre à elle-même un témoignage infaillible ou certain. Et ceci nous aide à comprendre cette profonde parole de la souveraine raison, du Verbe éternel revêtu de notre nature: Si je me rends témoignage à moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. Il y a un autre qui rend témoignage de moi (2). Par cela seul donc que la raison se sépare de la société, elle meurt; elle viole la loi du témoignage ou de l'autorité, qui, pour les êtres intelligens, est la loi de la vie.

(1) Voyez le chap. XIII.

(2) Si ego testimonium perhibeo de me ipso, testimonium meum non est verum. Alius est qui testimonium perhibet de me. Joan., V, 31 et 32. Jésus-Christ parle ici comme homme, et verum est synonyme de certum.

Nulle loi n'est plus générale; elle ne souffre aucune exception; elle embrasse la durée entière de notre existence. Si l'homme, aveugle et corrompu, n'essayoit pas de s'y soustraire, ses magnifiques destinées s'accompliroient sans effort. En ce qui concerne la vie présente, il se résigne aisément à obéir à l'autorité, parce qu'avant tout il veut vivre, et qu'il aperçoit la mort après la désobéissance. Mais ce qui intéresse la vie éternelle, la vie de l'âme, ne le touche pas, à beaucoup près, autant. Comme il ignore ce que c'est que cette vie, qu'il n'en a pas le sentiment, il n'éprouve point la même horreur de sa privation ou de la mort éternelle. Porté naturellement à ne reconnoître aucun maître, il cherche en lui-même la loi de vérité, et la loi d'ordre, dont il a puisé la notion dans la société. Il la demande d'abord à sa raison, et sa raison lui répond: Que sais-je ? Il la demande ensuite au sentiment, et le sentiment ne lui répond point: car il n'a pas de langage; ou si l'on prend pour une réponse le penchant qui entraîne vers certains objets, ou l'aversion qu'ils inspirent, la vérité et l'ordre deviennent aussi incertains, aussi variables que nos amours et nos haines. Ainsi l'homme, qui ne peut que penser et sentir, s'adresse tantôt à la raison par mépris pour le sentiment, tantôt au sentiment par mépris pour la raison. Il poursuit, haletant de désir, la vérité qui le fuit; et quand il se croit près de l'atteindre, ses yeux s'obscurcissent, il chancelle, et ne trouve, dans une nuit profonde, que le doute pour appui.

L'orgueil, principe éternel de désobéissance; l'or

gueil, toujours en révolte contre le pouvoir, est la première cause de ce grand désordre, par lequel l'homme, fixé en lui-même, demeure comme suspendu entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort. Il se persuade qu'on exige de lui le sacrifice de sa raison, en le pressant d'obéir à l'autorité; et tout au contraire, l'autorité n'étant que la raison générale manifestée par le témoignage, il est souverainement raisonnable d'y déférer, puisque, même en laissant à part les considérations qui en démontrent l'infaillibilité, elle a au moins en sa faveur les présomptions les plus fortes. Si se soumettre à ces décisions étoit renoncer à la raison, l'homme ne feroit pas un acte qui ne fût déraisonnable: car toutes ses actions, comme être physique et comme membre de la société, supposent une pleine foi dans le témoignage, une obéissance complète à l'autorité; et, sans chercher d'autre exemple, ce n'est pas à sa raison que l'homme doit le langage: il l'a reçu et il l'emploie tel qu'on le lui a donné ; et parler,

c'est obéir.

Ainsi, partout l'autorité se découvre à nos regards; elle anime et conserve l'univers qu'elle a créé. Sans elle, nulle existence, nulle vérité, nul ordre. Principe et règle de nos pensées, de nos affections, de nos devoirs, elle règne sur l'âme tout entière, qui vit uniquement de foi, et qui meurt à l'instant où elle cesse d'obéir. Et l'on ne doit pas s'en étonner, puisque l'empire de l'autorité n'est que l'empire de la raison manifestée par la parole. Qui ne l'a pas entendue ne sait rien, ne connoît rien. L'intelligence n'a point

d'autre fondement, la certitude n'a point, ne sauroit avoir d'autre base que ce grand témoignage originairement rendu par Dieu même, raison universelle, immuable, infinie.

On ne peut donc trouver ailleurs la certitude de la religion, et Bossuet insiste sur cette vérité dans les termes les plus forts. « Je dis qu'il n'y eut jamais >> aucun temps où il n'y ait eu sur la terre une auto>> rité visible et parlante à qui il faille céder... Je dis >> qu'il faut un moyen extérieur de se résoudre sur >> les doutes, et que ce moyen soit certain (1). »

En d'autres mots, il faut que la religion soit certaine. Or comment l'homme, qui ne peut acquérir par sa seule raison, par son jugement individuel, la certitude d'aucune connoissance, même la plus simple, trouveroit-il dans cette même raison la certitude des dogmes les plus élevés, des mystères les plus incompréhensibles; mystères dont il n'a nulle idée avant qu'on les lui révèle, et qu'il ne connoît que par l'enseignement de l'autorité qui lui commande de les croire?

Mais la religion n'est pas seulement un ensemble de connoissances; elle est encore, elle est principalement une loi, puisqu'elle renferme toute vérité et tout ordre, ou tout ce qui doit régler la raison, le cœur et les actions de l'homme, tout ce qu'il doit croire et pratiquer. Or point de loi sans autorité : ces deux idées sont corrélatives. Donc la religion repose nécessairement

(1) Conférence avec M. Claude; OEuvres de Bossuet, tome XXIII, pag. 294 et 295, édit. de Versailles.

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