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» répugnent à la raison et qu'il est impossible à tout » homme sensé de concevoir ni d'admettre (1). Au sur>> plus yous en jugerez ; car que peut-on vous dire dont » vous ne restiez pas les juges? Mais n'oubliez pas ce >> point essentiel. Parmi tant de religions diverses, qui >> se proscrivent et s'excluent mutuellement, une seule est » la bonne, si tant est qu'une le soit. Pour la reconnoî»tre, il ne suffit pas d'en examiner une; il faut les exa» miner toutes: il faut comparer les objections aux preu» ves; il faut savoir ce que chacun oppose aux autres, » et ce qu'il leur répond (2). Laissant donc de côté >> tout autre soin, car nul n'est exempt du premier de» voir de l'homme, nul n'a le droit de se fier au juge» ment d'autrui; formez des bibliothèques, asseyez>> vous, et lisez. Vous ne savez pas lire, dites-vous: » apprenez, je n'y vois que cela. Puis, quand vous >> aurez lu quelques milliers de livres dans la langue >> où ils furent originairement écrits: car qui vous as»sureroit que ces livres sont fidèlement traduits, qu'il » est même possible qu'ils le soient (3)? après cela, dis» je, allez-vous-en de peuple en peuple, de royaume >> en royaume, vous enquérant, en chaque lieu, des » traditions, du sens, des coutumes, des préjugés qui » font l'esprit de la croyance, et qu'il y faut joindre » pour en juger (4). Et prenez garde de négliger la >> plus obscure peuplade, le plus petit coin de terre

(1) Émile, tom. III, pag. 40 et 43.

(2) Ibid., pag. 25.

(3) Ibid., pag. 29.

(4) Ibid., pag. 27.

» habitée; on ne doit point condamner sans entendre, » et c'est là peut-être qu'est la vérité. Je voudrois de >> tout mon cœur, s'il étoit possible, vous épargner >> une partie de ces courses. Mais vous sentez bien » qu'il faut nécessairement que vous alliez en Europe, » en Asie, en Palestine, examiner tout par vous» mêmes; il faudroit que vous fussiez fous pour écou» ter personne avant ce temps-là (1). Que si cela vous >> paroît un peu long et fatigant, je n'y saurois que >> faire. Je dois même vous avertir qu'au moins la >> plupart d'entre vous perdront certainement leurs » pas, leurs frais de voyage et de raisonnement. A » grand' peine celui qui aura joui de la santé la plus » robuste, le mieux employé son temps, le mieux usé » de sa raison, vécu le plus d'années, saura-t-il dans » sa vieillesse à quoi s'en tenir, et ce sera beaucoup s'il » apprend avant sa mort dans quel culte il auroit dû vi» vre. J'avoue que c'est un peu fâcheux, et qu'après >>> avoir examiné, couru le monde pendant cinquante » à soixante ans, on aimeroit, sur ses vieux jours, à >>> se reposer dans une croyance fixe et certaine. Que >> cela cependant ne vous décourage pas; demeurez >> fermes dans les vrais principes: lisez, raisonnez, » voyagez. Voudrez-vous miliger celle méthode, et » donner la moindre prise à l'autorité des hommes, à » l'instant vous lui rendez tout (2). »

Qui croiroit qu'on pût se jouer à ce point des premiers intérêts d'un être immortel? qu'on pût descen

(1) Emile, tom. III, pag. 36.

(2) Ibid., pag. 37.

dre avec orgueil à cet excès d'absurdité? Mais il falloit que la raison, au moment où elle se déclaroit souveraine, se montrât si imbécile, qu'un enfant à peine né à l'intelligence en eût pitié.

La religion est une loi, et la première de toutes les lois. L'erreur des déistes est de n'y voir qu'une opinion; et cette erreur, qui s'étend comme de vastes ténèbres sur l'entendement humain, n'est qu'un développement du principe fondamental de la Réforme.

De même que, chez les anciens, quand la raison abandonna la tradition universelle, on cessa d'obéir à l'autorité du genre humain, on vit paroître des multitudes de sectes qui nièrent successivement tous les dogmes et tous les devoirs; ainsi, plus tard, quand certains hommes abandonnèrent la tradition du chris

tianisme ou cessèrent d'obéir à l'autorité de l'Église catholique, des sectes innombrables naquirent les unes des autres, et nièrent successivement tous les dogmes et tous les devoirs.

La règle de foi brisée, il en fallut chercher une autre; il fallut savoir comment les hommes, au milieu de tant de doctrines diverses, reconnoîtroient la véritable, comment ils parviendroient à s'assurer qu'ils étoient chrétiens. Quelques-uns, comme nous l'avons vu, imaginèrent la règle de sentiment, que son extravagance et ses dangers firent bientôt abandonner. Alors il ne resta plus que la raison, et chaque homme fut contraint de remettre à la sienne le jugement de toutes les questions agitées, et de lui confier son sort éternel. Dire qu'il avoit l'Écriture pour règle,

c'étoit oublier que l'Écriture n'étoit pas moins soumise que tout le reste à son jugement; qu'il devoit en examiner par lui-même l'authenticité, l'inspiration, et qu'enfin il en demeuroit l'unique interprète (1). C'est ce que Bossuet, avec la force de son atterrante logique, ne cessoit de remontrer aux protestans. « Chacun, di>> soit-il, s'est fait à soi-même un tribunal, où il s'est >> rendu l'arbitre de sa croyance et encore qu'il >> semble que les novateurs aient voulu retenir les es» prits, en les renfermant dans les limites de l'Écri>>ture sainte; comme ce n'a été qu'à condition que >> chaque fidèle en deviendroit l'interprète..., il n'y >> a point de particulier qui ne se voie autorisé par >> cette doctrine à adorer ses inventions, à consacrer >> ses erreurs, à appeler Dieu tout ce qu'il pense (2) »

La Réforme le sentoit bien. Aussi, pendant qu'elle tint à quelques vérités, elle se débattit contre son propre esprit, et refusa d'avouer pour son guide la raison, qui, la saisissant malgré ses efforts, la traînoit toute vivante dans l'abîme de l'irréligion. On avoit établi l'homme juge de la foi, et la foi disparoissoit.

(1) Aussi ceux des protestans qui ont le mieux vu les conséquences de leur doctrine sont-ils forcés de soutenir que « les Livres de l'E>>criture ne sont pas l'objet de leur foi, et qu'un homme peut être » sauvé sans croire que ces livres sont la parole de Dieu: The books » of Scripture are not the objects of our faith,... and a man may » be saved, who should not believe them to be the word of God » Chillingworth, Relig. of Protest., chap. II. Nous avons cité ailleurs ces paroles du même écrivain: « La Bible, la Bible seule est notre » religion.» Ainsi, selon lui, la Bible est toute la religion, et l'on peut se sauver sans croire à la Bible.

(2) Oraison funèbre de la reine d'Angleterre. TOME 2.

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On lui avoit dit, Examinez; et nulle doctrine ne résistoit à cet examen. On marchoit rapidement dans une route couverte de débris pour arriver à la dernière ruine, celle de Dieu même. La Réforme alors s'effraya des conséquences de ses maximes, et l'on vit ses chefs enseigner que la discussion n'est nécessaire ni à ceux qui sont déjà dans l'Église, ni à ceux qui veulent entrer; et qu'ils ne peuvent la conseiller ni aux uns ni aux autres (1). Jurieu ajoute même en termes formels, qu'un simple n'en est pas capable (2); et encore plus expressément : Celle voie de trouver la vérité n'est pas celle de l'examen; car je suppose avec M. Nicole qu'elle est absurde, impossible, ridicule, et qu'elle surpasse entièrement la portée des simples (3).

On retrouve le même aveu dans un grand nombre de théologiens protestans. Nous ne citerons que le docteur Balguy, archidiacre de Winchester, et l'un des écrivains les plus distingués que l'Église anglicane ait produits dans ces derniers temps. « Les opinions » du peuple, dit-il, sont et doivent être fondées sur » l'autorité plus que sur la raison. Les parens, les >> maîtres, les supérieurs déterminent, en grande >> partie, ce qu'il doit croire et ce qu'il doit prati» quer. Les mêmes doctrines enseignées uniformé>>ment, les mêmes rites constamment observés, font >> une telle impression sur son esprit, qu'il hésite aussi >> peu à admettre les articles de sa foi, qu'à recevoir (1) Le vrai Syst. de l'Église, lib. II, chap. xxu, pag. 401, 403 et suiv.

(2) Ibid., liv. III, chap. v, pag. 472.
(3) Ibid., liv. II, chap. XII, pag. 337.

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