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société, enrichi des connoissances, éclairé des vérités qu'il reçoit d'elle. Il n'établit pas plus tôt sa raison individuelle juge de ces vérités, qu'elles lui échappent successivement (1). La raison veut d'abord concevoir, et rien de plus juste, dès qu'on fait de la raison le fondement des croyances. De là sa première règle, de ne croire que ce qu'elle conçoit. Écoutons Rous

seau :

« A l'égard des dogmes, ma raison me dit qu'ils >> doivent être clairs, lumineux, frappans par leur » évidence. Si la religion naturelle est insuffisante, >> c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes » vérités qu'elle nous enseigne. C'est à la révélation » de nous enseigner ces vérités d'une manière sen>>sible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa >> portée, de les lui faire concevoir, afin qu'il les >> croie (2). »

Il s'ensuit qu'en admettant même que l'homme puisse concevoir parfaitement un dogme quelconque, c'est-à-dire, clairement concevoir l'infini, ou connoître Dieu comme il se connoît lui-même, encore les esprits n'étant ni également forts, ni également

(1) Parlant des divers systèmes des philosophes sur la Divinité, « Ce n'est pas de Dieu mème qu'ils les tiennent, dit un ancien Père, » mais chacun les a imaginés à son gré. Voilà pourquoi ils se sont

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égarés et partagés en tant d'opinions opposées sur Dieu, sur la na»ture, sur le monde. » Athenag. Apolog. n. 7.

(2) Emile, tom. III, pag. 17 et 18.-Ailleurs, Rousseau parle ainsi : « Plus je m'efforce de contempler son essence infinie (l'essence » de Dieu), moins je la conçois : mais elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore » (Ibid., tom. II, pag. 342). Ily croyoit donc, puisqu'il l'adoroit, et il y croyoit sans la concevoir. Quelle logique, ou quelle bonne foi!

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droits, ni également cultivés, l'un concevra plus et l'autre moins, et par conséquent les dogmes et les devoirs qui en dérivent varieront pour chacun selon la justesse et l'étendue de sa raison. Celui-ci devra croire ce que celui-là devra rejeter, ne le concevant pas. Autant de raisons, autant de symboles, de morales, de religions. Cependant nous avons vu qu'il n'en existe qu'une vraie, et qu'il n'y a point de salut hors d'elle (1). Voilà donc la plupart des hommes perdus à jamais pour avoir usé scrupuleusement de l'unique moyen que Dieu leur ait donné de découvrir les lois auxquelles ils doivent obéir. L'objection n'auroit pas moins de force, quand un seul se perdroit; et supposé que la raison particulière soit la règle de la foi, on ne doit pas hésiter à dire avec Rousseau : <«< S'il étoit une religion sur la terre hors de la» quelle il n'y eût que peine éternelle, et qu'en » quelque lieu du monde un seul mortel de bonne »> foi n'eût pas été frappé de son évidence, le Dieu de >>> cette religion seroit le plus inique et le plus cruel » des tyrans (2). »

Or il est certain que l'homme meurt ou subit une peine éternelle, s'il viole essentiellement l'ordre moral ou les lois de sa nature intelligente (3). Il est en

(1) Voyez le chap. XVI.

(2) Emile, tom. III, pag. 9.

(3) Voyez le chapitre XVI. Comment savons-nous que notre corps mourra? parce que le témoignage universel nous apprend que la mort est une loi de notre nature physique, à laquelle aucun homme n'échappera jamais. Nous n'en avons point d'autre certitude; et c'est encore ainsi que nous sommes certains de mourir promptement, si

core certain que dès qu'ils commencent à raisonner sur ces lois, à les soumettre à leur jugement, les hommes se divisent et ne sont point également frappés de leur évidence les enveloppant au contraire des ténèbres de leur esprit, ils les obscurcissent, et elles disparoissent au milieu de leurs vaines spéculations. Donc ce n'est pas par le raisonnement qu'ils doivent parvenir à les connoître; sans quoi il faudroit accuser Dieu d'absurdité ou de tyrannie.

Afin de nous en mieux convaincre, parcourons les annales de la philosophie chez les divers peuples; voyons de quelles lumières ils furent redevables à cette puissante raison qu'on nous présente pour guide.

On trouve chez les anciens deux choses qui étonnent presque également, ou plutôt deux doctrines si opposées, qu'évidemment elles ne sauroient avoir la même origine : les vérités les plus hautes et les plus monstrueuses erreurs, les préceptes les plus purs et les maximes les plus dissolues, des croyances sociales et des opinions destructives de la société. Les

nous prenons du poison, ou si nous violons de quelque autre manière les lois de notre organisation. Or un témoignage non moins unanime nous apprend que la mort spirituelle est une suite inévitable de la violation des lois de notre nature spirituelle. Cette violation supposée, la mort spirituelle est donc aussi certaine que la mort physique: et quiconque ne croit pas à la première, n'a aucun motif de croire à la seconde. De là vient peut-être que Condorcet s'est imaginé qu'à force de science les hommes parviendroient à se dérober à la nécessité de mourir. Voyez son ouvrage intitulé: Esquisse d'un tableau du progrès des connoissances humaines.

unes étoient de la tradition, les autres de la raison; et quand la tradition s'affoiblit et que la raison prit sa place, le monde s'affaissa et faillit s'écrouler dans l'abîme.

Nous avons tant ouï parler du paganisme, nous sommes si familiarisés dès l'enfance avec sa mythologic, son culte, que cela nous empêche d'être frappés comme nous devrions l'être de ce grand égarement de l'esprit humain. Que faisoit la raison pendant ces siècles? Elle croyoit à Jupiter, à Mars, à Vénus. On ne voit pas qu'elle ait protégé une seule vérité, ni repoussé une seule erreur. Et lorsque les passions la dégoûtèrent de ses stupides croyances, ramena-t-elle les hommes à des principes plus sûrs, à des opinions plus saines? Où est le peuple chez lequel elle ait aboli l'idolâtrie, dont elle ait réformé les mœurs? Ce peuple est encore à trouver. Que fit-elle done? Elle laissa les vices divinisés en possession de leurs temples, et combattit de tout son pouvoir les vérités traditionnelles, qui partout étoient mêlées aux erreurs locales du paganisme. Elle créa les doctrines du néant, et les mœurs du siècle de Tibère; elle forma Pétrone et Néron.

Nous ne retracerons point ici les innombrables opinions des philosophes, leurs disputes, leurs contradictions sur les objets les plus importans. Quel est le dogme qu'ils n'aient pas nié? le devoir qu'ils aient respecté (1)? L'histoire de la philosophie est l'histoire

(1) Presque tous les philosophes anciens ont admis l'éternité de la matière, opinion incompatible avec l'existence de Dieu. Les stoïciens

du doute. Ce n'étoient pourtant pas des esprits vulgaires que ces anciens sages; et si la raison seule devoit nous conduire à la vérité, qui pouvoit y parvenir plus aisément que Platon, le plus beau génie de

croyoient, en outre, à je ne sais quelle nécessité fatale, qui entraînoit tout, et les dieux mêmes. En morale, ils soutenoient que les femmes devoient être communes entre les sages, et que le sage étoit maître de se donner la mort. Ils réprouvoient la pitié et nioient les maux dans l'impuissance de s'y dérober. (voyez la 13 Dissert. de Thomasius sur la Philosophie stoïcienne, et la remarque H sur l'article Chrysippe, dans le Dictionnaire de Bayle; Diog. Laërt., lib. VII, pag. 120 et 131).— Antisthène et ses disciples enseignoient que les lois du mariage n'étoient qu'une vaine sujétion, qu'il n'y avoit rien de honteux, etc. (Diog. Laërt., lib. VI, n. 72).—Aristippe, chef de Cyrénaïques, regardoit les lois civiles et les coutumes comme l'unique fondement du juste et de l'injuste. Il faisoit consister le souverain bien dans la volupté (ibid., n. 87, 88 et 93). Aristote ne parle qu'en doutant de l'immortalité de l'âme et de la Providence. Il prétend, comme l'observe Grotius, que l'adultère auquel on se porte pour satisfaire ses desirs, et un meurtre commis dans la colère, ne doivent pas proprement être mis au nombre des injustices. Il veut, ainsi que Lycurgue et Platon, qu'on n'élève point les enfans qui viennent au monde avec quelque infirmité ; et que si les lois défendent de les exposer, on fasse avorter les femmes enceintes, après qu'elles ont eu le nombre d'enfans que demande l'intérêt de l'État (Arist. Polit., lib. VII, c. 16. Plat. de Rep., lib. V. Plutarch. in Lyc.). Il justifie le brigandage, et, d'accord en cela avec Cicéron, il fait de la vengeance une vertu ou un devoir naturel (Arist. de Morib. ad. Nicomach., lib. IV. c. 2; Cicer., de Invent., lib. II, c. 22). Xénophon compte aussi parmi les avantages de la royauté le pouvoir de nuire à ses ennemis : ἱκανώτατοι δ' ἐςὲ κακῶσαι μὲν ἐχθροὺς ὄνησαι δὲ φίλους. Hier. Il permet, et même il conseille, de tromper les gens méfians : Καὶ τὸ μὲν ἀπιςουντας ἐξαπαταν σοφὸν ἔκρινε τὸ δὲ πιςεύοντας ἀνόσιον. Ibid. Une femme qui manque à son premier devoir, si ce n'est que par circonstance xatà cuμpopà», n'est pas pour cela moins estimable, selon lui, pourvu qu'elle demeure fidèle à l'homme qui l'a séduite : Επει ὅταν γε ἀφροδισιατῇ κατά συμφοράν τίνα γυνή, κ. τ. λ. Ibid. - Je me lasse de rapporter tant d'horreurs et de folies. Voilà pourtant le fruit des travaux de la raison à Rome et dans la Grèce, pendant les siècles les plus éclairés.

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