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choses qui ne se sentent pas, mais qui se jugent. Sentez-vous que la matière ne sauroit sentir? Sentez-vous qu'elle est créée? Sentez-vous qu'à cette vie il en succède une autre qui ne finira point? Sentez-vous l'éternité des châtimens et des récompenses? Non, répondrez-vous, mais je juge de tout cela par sentiment. C'est-à-dire que vous jugez avec autre chose que votre jugement, avec une faculté passive de sa nature, et dès lors incapable de juger et de raisonner. Et si vous raisonnez, si vous jugez par le sentiment, pourquoi ne sentiriez-vous point par le raisonnement? l'un ne seroit pas plus étrange que l'autre. Prodigieuse extravagance! mais à quoi l'esprit ne se soumet-il pas pour demeurer son maître! On ne tient tant à dire je sens, quand il s'agit de choses qui ne peuvent être senties, que pour n'être pas forcé de dire je crois, dans les choses qui doivent être crues, et qu'une autorité infaillible ordonne de croire.

L'homme n'apporte avec lui que des besoins que la société doit satisfaire, et peut seule satisfaire. Son corps a besoin d'alimens, la société les lui donne; son âme a besoin de vérité, la société la lui donne. Quel est l'enfant qui ait dit: Je sens Dieu, avant qu'on le lui eût fait connoître ? On le lui nomme, il en a l'idée ; on lui apprend à le prier, il en a le sentiment; on lui dit, ceci est bien, cela est mal, et la conscience se développe. Voilà l'ordre de la nature. Aussi n'exista-t-il jamais de peuple dont la religion fût fondée sur le sentiment ou l'inspiration particulière de chaque individu : : tous, en croyant, se sont soumis à une auto

rité extérieure, et, selon leur pensée, originairement divine. Jamais il ne leur vint à l'esprit que chacun, sans autre enseignement, trouvât la religion dans son cœur. Tous les peuples déposent donc, avec une parfaite unanimité, contre le système qui fait du sentiment, ou de l'inspiration individuelle, ou de la révélation immédiate, le moyen général de reconnoître la vraie religion. Or, comme nous l'avons déjà observé tant de fois, le témoignage du genre humain, expression de la raison universelle, est infaillible: le nier, c'est nier la raison et renoncer à la certitude.

Et en effet, quand Rousseau veut faire du sentiment le principe de la foi et la règle des mœurs, n'est-il pas conduit à nier la raison? Et quand les prétendus réformateurs de l'Église, Jurieu, Claude, et leurs disciples, adoptant la même erreur, se sont persuadés que la seule voie pour parvenir sûrement à la vérité en matière de religion étoit ce qu'ils appellent la voie d'impression, de sentiment, ou de goût (1), n'ont-ils pas rejeté, non seulement la raison humaine, mais encore la raison divine elle-même, puisqu'ils n'ont pas craint de soutenir qu'il suffit de proposer aux hommes un sommaire de la doctrine chrétienne, et qu'alors, indépendamment de toute discussion, c'est-à-dire de toute raison humaine, et indépendamment même du livre où la doctrine de l'Évangile et de la véritable religion est contenue (2), c'est-à-dire de la raison divine,

(1) Le vrai Syst. de l'Egl., liv. II, chap. 20, 21; liv III, chap. 2, 3, 5, 9, 10, etc.

(2) Ibid. liv. II, chap. 25, pag. 453. Pour les protestans, qui TOME 2. 10

la vérité leur est claire; qu'on la sent comme on sent la lumière quand on la voit, la chaleur quand on est auprès du feu, le doux et l'amer quand on mange (1). Selon George Fox, nous devons écouter l'esprit de Dieu qui est au-dedans de nous, de préférence à l'autorité ďun homme quel qu'il soit, et de tous les hommes, de préférence même à l'autorité de l'Évangile (2).

Or qu'est-ce que cela, sinon le fanatisme? On se persuade qu'on est éclairé intérieurement, et toutes les extravagances d'une imagination échauffée passent pour des vérités incontestables et des inspirations divines. L'orgueil se complaît dans cette persuasion. Les sectes naissent, s'étendent, car l'enthousiasme est contagieux. Mais le sentiment ne tarde pas à révéler à chacun des dogmes différens; rien de plus divers que son langage. On se divise, on se combat; les disciples deviennent maîtres à leur tour; les sectes se n'admettent ni la tradition, ni l'infaillibilité de l'Église enseignante, P'Écriture est la manifestation de l'unique raison divine. Dans cette hypothèse, nier la nécessité de l'Écriture à l'égard de tous les hommes et de chaque homme en particulier, c'est nier qu'il soit nécessaire, pour connoître la vérité, que Dieu se révèle à notre raison, ou ncus manifeste la sienne.

(1) Le vrai Syst. de l'Egl. liv. II, chap. 25, p. 453. - Pour être conséquent dans ce système, il faudroit changer la forme du Symbole; et au lieu de dire: Je crois en Dieu, etc., on devroit dire : « Je sens Dieu, je sens qu'il est père, qu'il est tout-puissant, qu'il a » créé le ciel et la terre ; je sens Jésus-Christ, » etc. Il en est ainsi des déistes par sentiment. Le symbole de l'athée, dans le même système, se réduiroit à ces mots: Je ne sens rien; et celui du sceptique, à ceux-ci : Est-ce que je sens!

(2) Voyez l'excellent ouvrage du Dr Milner, intitulé : The end of religious controversy, in a friendly correspondence between a religious society of protestants, and a Roman catholic divine. Part. I, p. 45. Seconde édit., London, 1819.

multiplient. Chaque homme a son sentiment, sa doctrine. Montrez-nous deux déistes qui soient d'accord sur tous les points. Les sectaires ne s'entendent pas mieux : l'un nie ce que l'autre affirme, et réciproquement. Que s'il se rencontre un enthousiaste d'un caractère ardent et sombre, il n'y a point de crime qu'il ne puisse commettre sous prétexte d'inspiration. Combien de guerres et de forfaits sont dus à cette seule cause, depuis Mahomet jusqu'à Jean de Leyde, et pepuis Cromwell jusqu'à Sand (1)! La vérité n'est

(1) On citeroit des exemples sans nombre des excès de tout genre où conduit ce dangereux fanatisme. Les anabaptistes prétendoient avoir reçu de Dieu l'ordre de mettre à mort les impies, de confisquer leurs biens, et d'établir un nouveau monde, composé des seuls justes (Sleidan De stat. rel. et reip. comment., liv. III, p. 45). Jean Bockler, chef de cette secte, déclara que Dieu lui avoit fait présent d'Amsterdam et de plusieurs autres villes; il envoya, pour en prendre possession, quelques-uns de ses disciples, qui parcoururent les rues dans un état de nudité complète, en criant: Malheur à Babylone! malheur aux impies! (Histoire abrég. de la Réforme, par Gérard Brandt, tom. I, p. 49). Herman, autre anabaptiste, pour obéir à l'impulsion intérieure de l'esprit enseigna qu'il étoit le Messie, et se mit à évangéliser le peuple en ces termes: Tucz les prêtres, tuez tous les magistrats. Repentez-vous; votre rédemption approche (ibid. p. 51). Les anabaptistes ne tardèrent pas à pénétrer en Angleterre. Un certain Nicolas, disciple de David George, y fonda la secte des Familistes, ou la Famille d'amour, très nombreuse à la fin du seizième siècle. Selon sa doctrine, l'essence de la religion consistoit dans le sentiment de l'amour divin; la foi et le culte étoient inutiles. Il rejetoit également les préceptes fondamentaux de la morale, enseignant qu'il étoit bon de persévérer dans le péché, afin que la grâce pût abonder ( Moshem, Eccles. Hist., vol. IV, pag. 484). Qui n'a pas entendu parler de Venner et de ses hommes de la cinquième monarchie? Poussés par l'inspiration, ils se précipitent hors du lieu où ils tenoient leurs assemblées dans ColemanStreet, déclarant qu'ils ne reconnoissoient d'autre souverain que le Seigneur Jésus, et qu'ils ne remettroient leurs épées dans le four

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plus que les pensées d'un esprit sans règle, et la loi que les passions du cœur. Enfin il arrive un moment

a

reau qu'après avoir fait de Babylone, c'est-à-dire de la monarchie, un objet de risée et d'exécration, non seulement en Angleterre, mais dans les pays étrangers (Echard's Hist. of Engl.). Le même fanatisme produisit les mêmes effets parmi les quakers. George Fox, leur fondateur, prétendit que le vrai culte est inspiré par un mouvement intérieur et immédiat qui vient de l'esprit de Dieu, et qui n'est limité à aucuns temps, à aucuns lieux, à aucunes personnes (Barclay Apolog., Propos. XI). C'est la règle de sentiment, dans sa plus grande généralité. Elle produisit bientôt toutes sortes d'extravagances et de crimes. Un quaker vint l'épée à la main à la porte du parlement et blessa plusieurs personnes, disant que le Saint-Eɛprit lui avoit inspiré de tuer tous ceux qui siégeoient dans cette chambre (Maclaine's notes on Mosheim, vol. V, pag. 470). Nous ne parlerons point des Muggletoniens et des Labbadistes, qui, sous prétexte de suivre la lumière intérieure, s'abandonnoient aux désordres les plus honteux, et à des pratiques pleines d'impiété. On sait jusqu'où vont, en ce genre, certaines sectes de méthodistes, ou plutôt on ne le sait pas assez. Qu'on écoute l'antinomien Richard Hill: « L'adultère même et le meurtre ne nuisent point aux vrais >> enfans de Dieu, au contraire ils leur sont utiles (Fletchr's Works, » vol. III, pag. 50). Mes péchés peuvent déplaire à Dieu : ma » personne lui est toujours agréable. Quand je pécherois plus que Manassés, je n'en serois pas moins un enfant chéri de Dieu, parce » qu'il me voit toujours dans le Christ. De là vient qu'au milieu des > adultères, des meurtres et des incestes, il peut m'adresser ces pa» roles : « Tu es toute belle, ô mon amour, et il n'y a point de lache » en toi (ibid. vol. IV, pag. 97). Quoique je blâme ceux qui » disent: Péchons, afin que la grâce abonde en nous; cependant, áprès tout, l'adultère, l'inceste et le meurtre me rendront plus » saint sur la terre et plus joyeux dans le ciel (Fletcher. — Dau» beny's Guide to the Church., pag. 82). » Salmon ministre à Coventry, enseignoit au peuple à jurer, à blasphémer, et à s'abandonner à tous les désordres de la chair. A Douvres, une femme coupa la tète à son enfant, sous prétexte d'un commandement particulier que Dieu lui avoit fait comme à Abraham. Une autre femme fut condamnée à York, en mars 1647, pour avoir crucifié sa mère, et sacrifié un veau et un coq (Milner's Lettera to a Prebendary). -Storck, disciple de Luther, et fondateur de la secte des Abécédaires, soutenoit que les fidèles, pour éviter les distractions qui em

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