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Dieu; son intelligence se nourrit d'elle-même : pâture bientôt épuisée! Nul ne veut croire ou obéir : dès lors, avec le respect pour le témoignage (1), se perd la notion de la loi, la notion de l'autorité, et le principe de la certitude. Tout devient individuel. On ne peut plus même nommer la religion, parce qu'elle est nécessairement loi, et le lien de toute société. On dit la pensée religieuse, le sentiment religieux, expressions qui constatent l'indépendance de l'esprit, ou le droit de chacun d'avoir sa religion, comme chacun a son sentiment, sa pensée particulière.

Mais qu'est-ce enfin que ce sentiment religieux? Nous l'apprendra-t-on? Profonde misère de l'homme ! Ce sera tout ce qu'on veut; jusqu'aux foiblesses et aux infirmités de notre nature, les craintes sans objet, les vagues rêveries du cœur, la mélancolie, l'ennui même et le dégoût d'être (2). Il en faut bien venir à ces extravagances, quand on n'admet d'autre règle de vérité que ce qu'on sent. Et remarquez que personne n'est maître de communiquer le sentiment qu'il éprouve; que c'est quelque chose de si indéfini dans

(1) Notre jurisprudence criminelle attache beaucoup moins de force que l'ancienne au témoignage. L'esprit de la législation est d'accorder le plus de pouvoir possible à la pensée particulière et au sentiment particulier de chaque juré. C'est une conséquence naturelle de la souveraineté de la raison individuelle. On se défie de tout ce qui est général ou social, ou plutôt on ne le comprend plus. Chaque homme est toute la société.

(2) On ne dit rien ici qui n'ait été sérieusement avancé par des gens d'esprit. Selon leurs idées, pour faire entendre qu'un homme a de la religion, on diroit qu'il est mélancolique, et très enclin à la rêverie. Ne croit-on pas rêver soi-même ?

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sa nature et dans ses nuances, qu'on ne sauroit même en donner d'idée nette par le discours. Nul homme ne se représentera jamais un sentiment dont il n'a pas été affecté or rien ne dépend moins de l'homme que de s'affecter d'un sentiment quelconque. Ainsi une religion de pur sentiment seroit une religion sans langage, sans voix, songe fugitif qui échapperoit éternellement à l'intelligence.

Que si l'on se borne à considérer le sentiment comme un moyen de reconnoître la certitude des dogmes et des devoirs, on ne s'abuse pas moins grossièrement; car le sentiment ne prouve que l'existence de la pensée qui le détermine. J'ai l'idée d'un être puissant, il en résulte un sentiment de crainte; j'ai l'idée d'un être puissant et bon, il en résulte un sentiment d'amour. Mais l'amour, effet naturel de l'idée que je me forme de cet être, ne prouve nullement sa bonté; car si je me trompois, le sentiment ne laisseroit pas d'être le même.

Allons plus loin le sentiment, passif de sa nature, ne nie rien, n'affirme rien, parce qu'affirmer ou nier ce n'est pas sentir, c'est juger. Ainsi quiconque dit : Je sens, prononce un jugement dont la vérité repose sur la même base que la vérité de nos autres jugemens.

Il faut donc nécessairement remonter à la raison pour trouver la certitude; mais à une raison plus élevée que la nôtre, à la raison générale manifestée par le témoignage, c'est-à-dire, à une autorité hors de nous. Toute raison individuelle est faillible, parce qu'elle est finie; elle ne peut avoir que des opinions,

les dogmes appartiennent à la société : aussi, quand la société se dissout, à l'instant les opinions succèdent aux croyances. Il n'y a donc de certain que ce qui est de foi (1), et la seule foi certaine est celle qui re

(1) Dès que la conviction individuelle n'est pas le fondement de la certitude; dès qu'on avoue que ce qui paroît vrai à notre raison particulière peut être faux, que ce qui lui paroit faux peut être vrai, il s'ensuit clairement que la certitude, essentiellement distincte de l'évidence, n'est que la foi dans une raison plus haute et seule infaillible, et qu'il n'y a de certain que ce qu'elle atteste, ou ce que nous croyons sur son témoignage.

Sénèque semble avoir aperçu cette importante vérité il a du moins parfaitement reconnu l'insuffisance des opinions philosophiques, et la nécessité d'une base plus solide pour élever l'édifice de nos connoissances et de nos devoirs. Cette base, suivant lui, c'est l'autorité ou les vérités universelles que les Grecs nommoient Aoyμara, et qu'il appelle decreta, parce qu'elles ont, pour ainsi parler, force de loi.« Nous leur devons, dit-il, notre tranquillité, notre sécurité. » (Qu'est-ce que la sécurité de l'esprit, sinon la certitude?) « Elles » renferment toute notre vie, et la nature tout entière; elles sont » le principe de tout ce qui est. La sagesse antique, ajoute-t-il, se >> bornoit à prescrire ce qu'on doit faire et ce qu'on doit éviter: les >> hommes étoient alors beaucoup meilleurs : quand les savans se » sont montrés, les gens de bien ont disparu. La vertu simple, et qui frappoit tous les yeux, s'est changée en une science obscure et » subtile. On nous enseigne à disputer, et non pas à vivre..... Nulle tranquillité, excepté pour ceux qui possèdent une règle immuable

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» et certaine de jugement: les autres flottent au hasard, âdoptant et rejetant les mêmes sentimens tour-à-tour.

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» La cause de ces variations, c'est que rien n'est clair pour ceux qui n'ont qu'une règle très incertaine, l'opinion. Si l'on veut toujours vouloir les mêmes choses, il faut vouloir ce qui est vrai. Or » on ne parvient à la vérité que par les décisions de l'autorité ( de»cretis); sans elle point de vie... Les connoissances claires ne suf» fisent pas pour remplir la raison; sa portion la plus grande et la >> plus belle consiste dans les choses cachées. Ce qui est caché exige >> des preuves; nulle preuve sans l'autorité (sine decretis): donc l'au»torité est nécessaire. La croyance des choses certaines qui fait le » sens commun, fait aussi le sens parfait; sans elle tout nage dans » l'àme: donc, encore une fois, l'autorité qui donne aux esprits une

pose, selon le

selon le genre de vérité qui en est l'objet, sur la plus grande autorité ou sur la raison la plus générale.

Placez dans le sentiment le principe de certitude, vous consacrez tous les genres de fanatisme et de superstition, tous les désordres et tous les crimes; car il n'en est point qui ne soit déterminé par un sentiment que produit quelque erreur de l'esprit. Ainsi prétendre que le sentiment décide de la vérité, et par conséquent des devoirs, c'est offrir à celui qui hait, la vengeance pour règle de justice, et l'adultère pour morale à celui qui convoite la femme de son ami.

Placez dans la raison individuelle le principe de certitude, aussitôt vous voyez renaître les mêmes in

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» règle inflexible de jugement est nécessaire: Decreta sunt quæ mu» niant, quæ securitatem nostram, tranquillitatemque tucantur ; » quæ totam vitam, totamque rerum naturam simul contineant..... » Illa et horum caussæ sunt et omnium. Antiqua sapientia nihil aliud, quàm facienda et vitanda, præcipit: et tunc meliores longè erant viri: postquam docli prodierunt, boni desunt. Simplex » enim et aperta virtus in obscuram el solertem scientiam versa » est, docemurque disputare, non vivere... Non contingit tranquil» lilas, nisi immulabile certumque judicium adeptis : cæteri deci» dunt subindè et reponuntur, et inter omissa appetitaque alternis fluctuantur. Caussa hujus jactationis est, quod nihil liquet in» cerlissimo regimine utentibus, famâ. Si vis eadem semper velle, » vera oportel velis. Ad verum sine decretis non pervenitur : con»tinent vitam... Ratio autem non impletur manifestis ; major ejus pars pulchriorque in occultis est. Occulta probationem exi» gunt, probatio non sine decretis est, necessaria ergo decreta » sunt. Quæ res communcm sensum facit, eadem perfectum, certa» rum rerum persuasio: sine quâ, omnia in animo natant: neces» saria ergo sunt decreta, quæ dant animis inflexibile judicium. » Ep. 95.

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convéniens. L'homme, maître de ses croyances, l'est également de ses actions. Il peut tout nier, en disant : Je ne comprends pas; et ensuite tout se permettre, en disant Je ne crois point.

Qu'est-ce que la religion? une loi, ou plutôt l'ensemble des lois auxquelles tous les hommes sont soumis, la règle de leur esprit, de leur cœur et de leur sens. Or la règle ne sauroit dépendre de ce qu'elle doit régler; il faut qu'elle en soit entièrement distincte, sans quoi elle ne seroit plus règle. Comment nos sentimens seroient-ils la règle de nos sentimens, notre raison la règle de notre raison? Cela est clairement contradictoire. Et si notre raison, notre sentiment, toujours prêts à s'égarer, ont besoin d'une loi certaine et invariable qui les redresse, cette loi, dès lors souvent opposée à ce que nous sentons et ce que nous pensons, ne peut trouver sa certitude dans ces pensées mêmes et ces sentimens qu'elle a pour objet de préserver de l'erreur, et dont la bonté et la vérité ne sont certaines que par elle.

Il suffiroit peut-être de ces réflexions pour se convaincre que ni le sentiment ni le raisonnement ne sont le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie religion. Mais l'importance de cette vérité exige qu'on en développe les preuves davantage. C'est ce que nous essaierons de faire dans les chapitres sui

vans.

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