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le prive à jamais de sa fin? Je dis à jamais; car comment l'homme rentreroit-il en société avec Dieu? De lui-même il ne le peut pas, puisqu'il ne peut forcer Dieu de l'éclairer, de l'aimer, de s'unir à lui; et Dieu non plus ne peut pas, parce qu'il ne peut aimer le mal, ni vouloir le désordre, ou sa propre destruction. Donc aussi long-temps que Dieu sera Dieu, aussi long-temps qu'il s'aimera comme le principe de toute perfection et de tout ordre, il ne peut aimer un être mauvais, ni s'unir à lui; donc leur séparation, une fois consommée, est éternelle.

Tandis que nous vivons dans la société présente, nous tenons encore à Dieu par elle; nous pouvons nous replacer dans nos vrais rapports avec lui; nous pouvons le connoître, l'aimer, obéir à l'ordre qu'il a établi : car en toute société humaine, même la plus imparfaite, il y a connoissance, amour ou crainte de la Divinité, et un ordre moral auquel l'homme est libre de se soumettre. Mais après cette vie, une autre vie commence dans une autre société, société du bien, ou de vérité et d'amour, si nous sommes demeurés volontairement unis à Dieu; société du mal, ou de ténèbres et de haine, si nous nous sommes éloignés volontairement de Dieu: et tout changement dès lors est impossible, parce qu'il n'existe plus de liaison entre ces deux sociétés, mêlées seulement sur la terre, et ensuite éternellement séparées; parce que l'homme ne peut plus ni aimer Dieu, ni s'aimer luimême, ni par conséquent se repentir : il ne peut s'aimer, parce qu'il ne voit en lui aucun bien; il ne peut

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aimer Dieu, parce que Dieu, le repoussant de toute sa justice, ne peut vouloir lui imprimer aucun mouvement vers lui. Bien plus: quand le souverain Être, s'oubliant lui-même, lui ouvriroit les portes de l'abîme où il s'est précipité, sa conscience l'arrêteroit sur le seuil; il refuseroit une autre demeure: car, en celle qu'il a méritée, il est dans l'ordre, et l'ordre même dont nous souffrons est plus conforme à notre nature, il est pour nous une moindre souffrance que ne le seroit sa violation (1). Tel est, même icibas, l'empire de la justice sur l'homme, que, pressé du remords, on l'a vu solliciter la punition comme une grâce et le supplice sòulage quelquefois. Ainsi Dieu ne concourt au châtiment de l'homme coupable qu'en le laissant là où il s'est placé, et où il demeure volontairement.

Et qu'on ne se flatte pas que la longue durée du châtiment efface la faute. La punition ne rend pas plus

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(1) « La cause du peu d'idée que nous avons du péché dans cette » vie, est le peu de connoissance que nous y avons de la justice de » Dieu; et la cause au contraire de cette grandeur où nous les ver>> rons dans l'autre, est la vue claire que Dieu nous donnera de cette justice. Nous verrons jusqu'à quel point le péché est haï de Dieu, » la difformité effroyable qu'il cause dans l'âme, le déréglement » horrible qu'il renferme, l'opposition qu'il a avec la sainteté et la justice de Dieu. Nous serons tous convaincus de la rigueur et de » l'inflexibilité de cette justice. Et cette vue sera si terrible pour les méchans, qu'elle leur fera souhaiter l'enfer pour s'y cacher. Ils

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» s'y réduiront, selon la pensée d'une âme sainte (sainte Catherine » de Gènes), comme au lieu qui leur convient le plus, et où ils sc»ront le moins pénétrés par les rayons brûlans de cette lumière qui » les chassera de tout autre lieu, et ne leur permettra que cet » abîme. » NICOLE, Traité des quatre dernières fins de l'homme ; liv. II, ch. IV: Essais de Morale, t. IV, p. 109, 110.

l'innocence, que la mort, punition aussi des désordres corporels, ne rend la santé et certes, si nous ne nous étonnons pas en voyant cette punition terrible, immuable, de la violation, même involontaire, des lois physiques, je ne sais pourquoi nous nous étonnerions de ce qu'un semblable châtiment soit la suite de la violation volontaire des lois de l'intelligence.

Aussi presque toujours ne feint-on d'en douter que pour s'étourdir soi-même. L'idée d'une peine infinie consterne l'imagination. Cette idée néanmoins est si naturelle à l'homme, elle le remplit d'une si vive terreur, qu'il embrasse avec joie, pour s'y dérober, l'espoir d'un anéantissement éternel. Otez la crainte de l'enfer, cet horrible amour du néant seroit inexplicable; car l'homme hait invinciblement sa destruction. Il ne pourroit songer sans horreur qu'il cessera d'être, s'il ne redoutoit d'être à jamais misérable. La mort même n'est si affreuse, que parce qu'elle est une image du néant. Nul doute que si l'on proposoit aux hommes au prix de longues souffrances, dans l'autre vie, une félicité sans terme et sans mesure, ils ne l'acceptassent avec empressement à cette condition, de préféréncé au néant. Donc quiconque désire le néant craint l'enfer.

Je crois avoir prouvé qu'il existe une religion véritable, ou des rapports nécessaires entre Dieu et l'homme; que ces rapports étant invariables comme la nature de l'homme et de celle Dieu, il n'existe qu'une seule vraie religion; et enfin qu'il n'y a de

salut, ou de bonheur et de vie, que dans son sein, puisqu'aucun être ne peut vivre qu'en se conformant aux lois qui dérivent de sa nature.

Ces conséquences se déduisent si évidemment de l'existence simultanée de Dieu et de l'homme, que je ne pense pas qu'on les conteste. Mais quand on les nieroit, il m'importeroit peu, et voici ma réponse à ceux que le raisonnement n'aura pas convaincus : Mon dessein n'est pas de disputer; je ne viens point m'engager avec vous dans des controversses interminables. Ce n'est ni votre raison, ni la mienne qui doivent décider ces grandes questions, mais la raison générale. Reconnoissez son autorité, ou abjurez votre propre raison, car elle n'a pas d'autre fondement. Ne dites point: Je ne comprends pas. Il suffit que tous les peuples aient compris, il suffit qu'ils aient cru. Ne dites point: Cela répugne à mon jugement. Qu'est-ce que votre jugement, et de quel droit osez-vous l'alléguer? De qui avez-vous reçu l'intelligence, sinon de la société? Elle vous a donné la parole, elle vous a donné la pensée, et avec cette pensée d'emprunt vous prétendriez réformer les siennes! Ne voyez-vous pas que, sur aucun point, vous n'êtes assuré de la vérité que par son témoignage? Croyez-la donc, ou ne croyez rien. Croyez tous les peuples, lorsqu'ils attestent qu'entre l'homme et son auteur il existe des rapports naturels, immuables, ou renoncez à toute certitude. Si, une seule fois, vous vous élevez contre l'autorité du genre humain, à l'instant, comme je l'ai fait voir, vous perdez le droit de rien affirmer; et l'acte par lequel un esprit créé se

constitue roi de ses pensées n'est qu'une effrayante abdication de la vie.

Or quel est le peuple qui n'ait pas cru à l'existence d'une vraie religion, qui n'ait pas repoussé comme fausses toutes les religions contraires à la sienne et regardé comme un crime la violation des devoirs qu'elle impose? Qu'on nous montre ce peuple étonnant, sans Dieu, sans foi, sans culte. On ne le tentera même pas. Depuis l'origne des sociétés, un pouvoir supérieur, qui n'est que la raison sociale, éclairé par une raison plus haute encore, prosterne le genre humain au pied des autels; et de tous les points de la terre, une voix puissante n'a cessé de monter vers les cieux pour y porter les prières et les adorations des mortels. Qu'importe, dans ce magnifique concert, le silence de quelques hommes? Qu'importent leurs opinions et leurs doutes solitaires? En accusant d'erreur toutes les nations et tous les siècles, ils se convainquent eux-mêmes de folie; car quelle folie plus extrême que d'opposer à la raison générale sa propre raison, incapable dès lors de se prouver à elle-même qu'elle est?

Enfin, il se trouvera des intelligences rebelles qui en viendront jusque-là. Elles mettront leur gloire à se séparer de la société où elles puisent la vie, et on les entendra chanter en triomphe leur hymne de mort. Étrange dégradation! Et qui peut donc inspirer à quelques insensés cette monstrueuse répugnance pour leur auteur? Ils s'en vont cherchant ardemment de nouveaux rapports entre eux et les créatures, entre

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