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conserve les individus en rapportant tout à la société, l'autre détruit la société en ramenant tout à l'individu (1). Dans l'une, tout est gé

(1) Hors de la société, l'homme ne peut ni se conserver ni se perpétuer. Se perpétuer, c'est se conserver toujours; et le désir de se perpétuer, de même que le desir de se perfectionner, n'est que le désir de vivre : car être plus parfait, c'est vivre davantage; a perfection est le développement complet de la vie.

L'esprit, le cœur, les sens mêmes ou le corps, en un mot l'homme tout entier désire naturellement se conserver ou se perpétuer, parce que naturellement il veut vivre, et qu'il n'est point en son pouvoir de ne pas vouloir vivre.

Mais dans l'isolement contre nature où le place la philosophie, tous les efforts qu'il fait pour se conserver tendent à le détruire. Seul, l'homme ne produit rien; la vie est un don du souverain Être, les créatures la transmettent, et voilà tout. Or transmettre, c'est communiquer ce qu'on a reçu. Recevoir et rendre, voilà donc en quoi consistent la vie et le moyen par lequel elle se conserve: donc point de vie hors de la société ; et la société, considérée dans son existence intellectuelle, se compose esscntiellement de trois personnes, celle qui reçoit, celle dont elle a reçu, et celle à qui elle rend ou transmet ce qu'elle a reçu.

Tout ce qui, dans l'homme, a un mode de vie particulier, l'esprit, le cœur, les sens ou le corps, est soumis à cette loi universelle d'union et de dépendance.

Qu'arrive-t-il donc quand l'homme est seul ?

L'esprit veut vivre ou se conserver; vivre, pour lui, c'est connoître, ou posséder la vérité. Quand il la reçoit, il est passif ; quand il la communique ou la transmet, il est actif; mais, dans ces deux états, toujours faut-il qu'il soit uni à un

néral, l'autorité, les croyances, les devoirs; et chacun, n'existant que pour la société, con

autre esprit qui agisse sur lui, ou sur lequel il agisse. Ne pouvant, lorsqu'il est seul, ni recevoir ni transmettre, et néanmoins voulant vivre, il essaie de se multiplier ou de créer en lui les personnes sociales nécessaires pour conserver et perpétuer la vie : vain travail, stérile effort d'un esprit qui, cherchant à se féconder lui-même, veut enfanter sans avoir conçu. Ce genre de dépravation, ce vice honteux de l'intelligence, l'affoiblit, l'épuise, et conduit à une espèce particulière d'idiotisme qu'on appelle idéologie.

Il en est ainsi du cœur, il veut vivre; et vivre, pour lui, c'est aimer, ou s'unir à un autre être. Quand il n'a point au dehors un objet d'amour ou de terme de son action, il agit sur lui-même ; et que produit-il? de vagues fantômes, comme l'esprit qui est seul produit de chimériques abstractions. L'un se nourrit de rêves, l'autre de rêveries; ou plutôt ils essaient inutilement de s'en nourrir. Dans sa solitude et dans ses désirs, le cœur se tourmente pour jouir de lui-même. C'est l'amour de soi ou l'égoïsme à son plus haut degré. Ce genre de dépravation, ce vice honteux du cœur, l'affoiblit, l'épuise, et conduit à une espèce particulière d'idiotisme qu'on appelle mélancolie.

Un désordre semblable dans l'homme physique affoiblit, épuise le corps, dégrade toutes les facultés, et conduit à l'idiotisme absolu, qui est la mort de sens, du cœur et de l'intelligence.

Il est à remarquer que, chez les anciens, l'idéologie proprement dite, et la mélancolie considérée comme passion, étoient inconnues, et que le vice des sens qui correspond à ces vices de l'esprit et du cœur étoit beaucoup moins commun qu'il ne l'est

court au maintien de l'ordre par une obéissance parfaite de la raison, du cœur et des sens à une loi invariable. Dans l'autre, tout est particulier; et les devoirs, dès lors, ne sont plus que les intérêts, les croyances que des opinions; l'autorité n'est que l'indépendance. Chacun, maître de sa raison, de son cœur, de ses actions, ne connoît de loi que sa volonté, de règle que ses désirs, et de frein que la force. Aussi, dès que la force se relâche, la guerre commence aussitôt; tout ce qui existe est attaqué; la société entière est mise en question.

On se tranquillise sur les suites d'un pareil état, en se disant qu'il y eut toujours des troubles et des crimes dans le monde. Sans doute,

devenu de nos jours. L'homme alors ne se séparoit point de la famille et de la société ; il ne cherchoit point à vivre seul. Mais trop souvent des opinions et des institutions fausses établissant de faux rapports entre les personnes sociales, il en résultoit, dans les esprits et dans les mœurs, des désordres analogues. II. y avoit, sous ce rapport, entre les anciens et les disciples de notre moderne philosophie, la différence de l'erreur à l'idiotisme. Le mot même d'idiotisme, selon son étymologie, désigne l'état d'un être séparé de la société, ou qui vit à part, qui vit seul.

il y a toujours eu des désordres parmi les hommes, parce qu'il y a toujours eu des erreurs et des passions: c'est le perpétuel combat du mal contre le bien. Mais autrefois on savoit ce que c'est que le mal, et ce que c'est que le bien; aujourd'hui on ne le sait plus, on doute.

Autrefois encore les plus pervers s'attachoient uniquement au mal particulier dont le fruit étoit présent pour eux. Le crime n'étoit qu'un moyen, et jamais un but. On assassinoit par vengeance ou par cupidité, mais personne ne songeoit à proscrire par système; et, en assassinant, on ne nioit pas la loi éternelle qui dit : Tune tueras point. La dépravation du cœur s'étendoit rarement à l'intelligence. Les mots de vice et de vertu avoient un sens, et le même pour tous. Il existoit un fonds commun de vérités reconnues, des droits avoués, un ordre général que nul n'imaginoit qu'on pût renverser. Lors même qu'on le violoit partiellement, on en respectoit l'ensemble. La guerre se faisoit à l'extrême frontière, ou dans l'ombre contre quelques individus isolés, et les tribunaux suffisoient pour défendre l'État et chacun de ses membres.

Maintenant tous les liens sont brisés, l'homme est seul, la foi sociale a disparu: les esprits, abandonnés à eux-mêmes, ne savent où se prendre; on les voit flotter au hasard dans mille directions contraires. De là un désordre universel, une effrayante instabilité d'opinions et d'institutions. Las de l'erreur et de la vérité, on rejette également l'une et l'autre. Il y a au fond des cœurs, avec un malaise incroyable, comme un immense dégoût de la vie, et un insatiable besoin de destruction. Ce besoin se manifeste de mille manières et dans toutes les classes. Riches et pauvres, peuples, grands, rois même, tous, comme s'ils se sentoient poursuivis par les siècles qu'ils ont reniés, se hâtent, se précipitent vers un avenir inconnu. Les gouvernemens, pressés de finir, s'altèrent euxmêmes, mais pas assez peut-être et pas assez vite à leur gré, et au gré de la multitude. On aperçoit encore dans le présent quelque chose du passé, et cette ombre fugitive inquiète. Plus de bornes, plus de barrières que les esprits ne franchissent. On ne rêve rien moins que des révolutions totales dans chaque État et dans le

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