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quences que l'on en déduit, on voit encore les diverses raisons varier dans ces conséquences, et en tirer d'opposées entre elles, avec une conviction également ferme, également intime. Or ces conséquences opposées sont-elles toutes vraies? sont-elles toutes fausses? Qu'en diront les dogmatistes, et quelle règle différente de la conviction individuelle donneront-ils à chacun pour les apprécier? S'ils en rejettent une seule, leur système croule; s'ils les admettent toutes, il n'y a plus ni vérité, ni erreur.

Au fond, ils ne se comprennent pas eux-mêmes; l'orgueil ou la prévention aveugle leur entendement. Car, enfin, que fait-on quand on cherche la certitude? on cherche une raison qui ne puisse pas se tromper dans ses jugemens, une raison infaillible, et infaillible en tout et toujours; autrement elle ne seroit jamais assurée de l'être. Prétendre borner aux premiers principes son infaillibilité, ce seroit l'anéantir. Ne faut-il pas qu'elle soit infaillible en établissant cette distinction, et infaillible encore en discernant ce qui est un premier principe de ce qui n'en est pas un, ou ce qui est certain de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire infaillible universellement? Donc point de certitude pour les dogmatistes, à moins de supposer la raison de chaque homme infaillible: et, s'ils la supposent telle, qu'ils expliquent tant de jugemens contradictoires, tant d'opinions opposées. Pour être conséquens, ils sont forcés de nier l'existence de l'erreur, forcés de soutenir que, sur toutes choses, le oui et le non sont également vrais, également certains;

et leurs efforts pour élever la raison de l'individu à une hauteur où elle ne sauroit atteindre, n'aboutissent qu'à la destruction absolue de la raison humaine.

Voilà ce que peut la philosophie à l'égard du vrai ; voilà où elle conduit l'homme qui cherche en soi la certitude. Toutes nos tentatives pour arriver à la vérité par nos seules forces, n'ont d'autre effet que de constater de plus en plus notre impuissance, et de justifier ce mot d'un ancien: « L'unique chose cer>> taine est qu'il n'y a rien de certain, et qu'aucun >> être n'est plus misérable et plus orgueilleux que >> l'homme (1). »

Mais, quoi! perdant toute espérance, nous plongerons-nous, les yeux fermés, dans les muettes profondeurs d'un scepticisme universel? Douterons-nous si nous pensons, si nous sentons, si nous sommes? La nature ne le permet pas; elle nous force de croire, lors même que notre raison n'est pas convaincue. La certitude absolue et le doute absolu nous sont également interdits. Nous flottons dans un milieu vague entre ces deux extrêmes, comme entre l'être et le néant; car le scepticisme complet seroit l'extinction de l'intelligence, et la mort totale de l'homme. Or il ne lui est pas donné de s'anéantir; il y a en lui quelque chose qui résiste invinciblement à la destruction, je ne sais quelle foi vitale, insurmontable à sa volonté même. Qu'il le veuille ou non, il faut qu'il croie, parce qu'il faut qu'il agisse, parce qu'il faut

(1) Solum certum nihil esse certi, et homine nihil miseriùs aut superbiùs. Pline.

qu'il se conserve. Sa raison, s'il n'écoutoit qu'elle, ne lui apprenant qu'à douter de tout et d'elle-même (1), le réduiroit à un état d'inaction absolue: il périroit avant d'avoir pu seulement se prouver à luimême qu'il existe.

Ainsi l'homme est dans l'impuissance naturelle de démontrer pleinement aucune vérité, et dans une égale impuissance de refuser d'admettre certaines vérités (2). Bien plus, les vérités que la nature le contraint d'admettre avec le plus d'empire sont celles dont il a le moins de preuves: tels sont tous les principes qu'on appelle évidens; et on les reconnoît même à ce caractère, qu'on ne sauroit les prouver.

Dès qu'on veut que toutes les croyances reposent sur des démonstrations, l'on est directement conduit au pyrrhonisme. Or le pyrrhonisme parfait, s'il étoit possible d'y arriver, ne seroit qu'une parfaite folie, une maladie destructive de l'espèce humaine. De là vient que le même sentiment qui nous attache à l'existence nous force de croire et d'agir conformément à ce que nous croyons. Il se forme, malgré nous, dans notre entendement, une série de vérités inébranlables au doute, soit que nous les ayons acquises par les sens

(1) Dans tous les temps, les esprits d'un ordre supérieur ont été frappés de l'impuissance où la raison individuelle est de conduire l'homme à aucune vérité certaine. « La raison humaine, dit Bayle, » est trop foible pour cela ; c'est un principe de destruction, et non » pas d'édification : elle n'est propre qu'à former des doutes, et à se » tourner à droite et à gauche pour éterniser une dispute. » Dictionnaire crit., art. Manichéens, note D.

(2) Pensées de Pascal, t. II, art. 1, p. 8.

ou par quelque autre voie. De cet ordre sont toutes les vérités nécessaires à notre conservation, toutes les vérités sur lesquelles se fonde le commerce ordinaire de la vie, et la pratique des arts et des métiers indispensables. Nous croyons invinciblement que nous existons, que nous sentons, que nous pensons, que nous communiquons par la parole avec d'autres hommes jouissant comme nous de la faculté de sentir et de penser, qu'il existe des corps doués de certaines propriétés, que le soleil se lèvera demain, qu'en confiant des semences à la terre elle nous rendra des moissons. Qui jamais douta de ces choses, et de mille autres semblables?

Dans un ordre différent, nous ne doutons pas davantage d'une multitude de vérités que la science constate; et c'est cette impuissance de douter, ou du moins, si l'on doute, l'assurance d'être déclaré fou, ignorant, inepte, par les autres hommes, qui constitue toute la certitude humaine. Le consentement commun, sensus communis, est pour nous le sceau de la vérité ; il n'y en a point d'autre.

Supposons en effet que les hommes, dans les mêmes circonstances, fussent affectés de sensations, de sentimens contraires, formassent des jugemens opposés, aucun d'eux ne pourroit rien nier, rien affirmer, parce qu'aucun d'eux ne trouveroit en soi de preuves déterminantes en faveur de ce qu'il sent et de ce qu'il juge. Sur quel fondement se croiroit-il plus infaillible qu'un autre homme? Ce seroit se supposer de nature différente. Il n'y songeroit même pas. Sa raison

étonnée s'arrêteroit en silence devant la raison d'autrui, comme nous nous arrêterions pleins de surprise, et de doute, devant des miroirs qui, placés en face du même objet, en réfléchiroient des images dissemblables.

Qu'il y ait contradiction entre les rapports des sens, les témoignages intérieurs de l'évidence, ou les jugemens raisonnés de plusieurs individus, sur-le-champ le défaut d'accord produit l'incertitude, et l'esprit demeure en suspens jusqu'à ce que le consentement commun ramène avec soi la persuasion. Un principe un fait quelconque est plus ou moins douteux, plus ou moins certain, selon qu'il est adopté, attesté, plus ou moins universellement. Toutes les idées humaines sont pesées à cette balance; les hommes n'ont pas d'autre règle pour les apprécier.

Qu'est-ce qu'une science, sinon un ensemble d'idées et de faits dont on convient? Ce qui ne porte pas ce caractère, ce qui reste contesté entre les témoins et les juges, est rangé dès lors parmi les opinions incertaines. Arrive-t-il au contraire que le partage de sentimens cesse, que les autorités soient unanimes, la science a, de ce moment, atteint le plus haut degré de certitude qu'elle soit susceptible d'acquérir. Aussi n'est-on plus admis à douter; on punit la raison rebelle, on la dégrade, pour ainsi dire, en lui imprimant une flétrissure déshonorante: tant la nature nous incline à supposer que la vérité est là où nous apercevons l'accord des jugemens et des témoignages!

Nous jugeons de ce qui est bien ou mal, licite ou

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