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>> tu sais. Rejette de ton esprit jusqu'à la dernière » idée, fais le vide, et puis cherche dans ce vide » la vérité. » N'est-ce pas comme si l'on disoit à l'âme : « Meurs, et puis cherche dans le néant une >> vie qui n'appartienne qu'à toi?» Se peut-il imaginer de contradiction plus évidente? Car sans vérité point d'action, point de volonté, point de vie; et si la raison retient une vérité, une seule, ce sera nécessairement une vérité crue sans être démontrée, une vérité de foi, et dès lors celles qu'on en déduira n'auront d'autre fondement et d'autre certitude que cette foi elle-même.

Supportera-t-on que l'homme naît avec certaines vérités empreintes dans son entendement, lesquelles, fécondées ensuite par la raison, deviennent le principe de ses connoissances postérieures? Ce seroit reproduire, sous une autre forme, l'hypothèse des sentimens innés; hypothèse absurde et complètement réfutée par l'expérience. La modification qu'on y apporteroit, en réduisant le nombre des vérités de sentiment, et accordant à la raison le privilége d'en déduire les autres vérités nécessaires, ne feroit qu'y ajouter des embarras nouveaux et de nouvelles contradictions: car ce système mixte, sans lever aucune difficulté, seroit sujet à toutes celles que présente chacun des deux autres. On demanderoit toujours au sentiment de se manifester d'une manière uniforme, générale, invincible, et à la raison de fournir la preuve de son infaillibilité.

Mais prenons l'homme tel qu'il est, formé par la

société, enrichi des connoissances, éclairé des vérités qu'il reçoit d'elle. Il n'établit pas plus tôt sa raison individuelle juge de ces vérités, qu'elles lui échappent successivement (1). La raison veut d'abord concevoir, et rien de plus juste, dès qu'on fait de la raison le fondement des croyances. De là sa première règle, de ne croire que ce qu'elle conçoit. Écoutons Rous

seau :

« A l'égard des dogmes, ma raison me dit qu'ils >> doivent être clairs, lumineux, frappans par leur » évidence. Si la religion naturelle est insuffisante, » c'est par l'obscurité qu'elle laisse dans les grandes >> vérités qu'elle nous enseigne. C'est à la révélation >> de nous enseigner ces vérités d'une manière sen»sible à l'esprit de l'homme, de les mettre à sa >> portée, de les lui faire concevoir, afin qu'il les >> croie (2). »

Il s'ensuit qu'en admettant même que l'homme puisse concevoir parfaitement un dogme quelconque, c'est-à-dire, clairement concevoir l'infini, ou connoître Dieu comme il se connoît lui-même, encore les esprits n'étant ni également forts, ni également

(1) Parlant des divers systèmes des philosophes sur la Divinité, « Ce n'est pas de Dieu même qu'ils les tiennent, dit un ancien Père, » mais chacun les a imaginés à son gré. Voilà pourquoi ils se sont

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égarés et partagés en tant d'opinions opposées sur Dieu, sur la na»ture, sur le monde. » Athenag. Apolog. n. 7.

(2) Émile, tom. III, pag. 17 et 18.-Ailleurs, Rousseau parle ainsi : « Plus je m'efforce de contempler son essence infinie (l'essence » de Dieu), moins je la conçois : mais elle est, cela me suffit ; moins » je la conçois, plus je l'adore » (Ibid., tom. II, pag. 342). Il y croyoit donc, puisqu'il l'adoroit, et il y croyoit sans la concevoir. Quelle logique, ou quelle bonne foi!

droits, ni également cultivés, l'un concevra plus et l'autre moins, et par conséquent les dogmes et les devoirs qui en dérivent varieront pour chacun selon la justesse et l'étendue de sa raison. Celui-ci devra croire ce que celui-là devra rejeter, ne le concevant pas. Autant de raisons, autant de symboles, de morales, de religions. Cependant nous avons vu qu'il n'en existe qu'une vraie, et qu'il n'y a point de salut hors d'elle (1). Voilà donc la plupart des hommes perdus à jamais pour avoir usé scrupuleusement de l'unique moyen que Dieu leur ait donné de découvrir les lois auxquelles ils doivent obéir. L'objection n'auroit pas moins de force, quand un seul se perdroit; et supposé que la raison particulière soit la règle de la foi, on ne doit pas hésiter à dire avec Rousseau : «S'il étoit une religion sur la terre hors de la

quelle il n'y eût que peine éternelle, et qu'en >> quelque lieu du monde un seul mortel de bonne >> foi n'eût pas été frappé de son évidence, le Dieu de >> cette religion seroit le plus inique et le plus cruel >> des tyrans (2). »>

Or il est certain que l'homme meurt ou subit une peine éternelle, s'il viole essentiellement l'ordre moral ou les lois de sa nature intelligente (3). Il est en

(1) Voyez le chap. XVI.

(2) Émile, tom. III, pag. 9.

(3) Voyez le chapitre XVI. Comment savons-nous que notre corps mourra? parce que le témoignage universel nous apprend que la mort est une loi de notre nature physique, à laquelle aucun homme n'échappera jamais. Nous n'en avons point d'autre certitude; et c'est encore ainsi que nous sommes certains de mourir promptement, si

core certain que dès qu'ils commencent à raisonner sur ces lois, à les soumettre à leur jugement, les hommes se divisent et ne sont point également frappés de leur évidence les enveloppant au contraire des ténèbres de leur esprit, ils les obscurcissent, et elles disparoissent au milieu de leurs vaines spéculations. Donc ce n'est pas par le raisonnement qu'ils doivent parvenir à les connoître; sans quoi il faudroit accuser Dieu d'absurdité ou de tyrannie.

Afin de nous en mieux convaincre, parcourons les annales de la philosophie chez les divers peuples; voyons de quelles lumières ils furent redevables à cette puissante raison qu'on nous présente pour guide.

On trouve chez les anciens deux choses qui étonnent presque également, ou plutôt deux doctrines si opposées, qu'évidemment elles ne sauroient avoir la même origine : les vérités les plus hautes et les plus monstrueuses erreurs, les préceptes les plus purs et les maximes les plus dissolues, des croyances sociales et des opinions destructives de la société. Les

nous prenons du poison, ou si nous violons de quelque autre manière les lois de notre organisation. Or un témoignage non moins unanime nous apprend que la mort spirituelle est une suite inévitable de la violation des lois de notre nature spirituelle. Cette violation supposée, la mort spirituelle est donc aussi certaine que la mort physique: et quiconque ne croit pas à la première, n'a aucun motif de croire à la seconde. De là vient peut-être que Condorcet s'est imaginé qu'à force de science les hommes parviendroient à se dérober à la nécessité de mourir. Voyez son ouvrage intitulé: Esquisse d'un tableau du progrès des connoissances humaines.

unes étoient de la tradition, les autres de la raison; et quand la tradition s'affoiblit et que la raison prit sa place, le monde s'affaissa et faillit s'écrouler dans l'abîme.

Nous avons tant ouï parler du paganisme, nous sommes si familiarisés dès l'enfance avec sa mythologic, son culte, que cela nous empêche d'être frappés comme nous devrions l'être de ce grand égarement de l'esprit humain. Que faisoit la raison pendant ces siècles? Elle croyoit à Jupiter, à Mars, à Vénus. On ne voit pas qu'elle ait protégé une seule vérité, ni repoussé une seule erreur. Et lorsque les passions la dégoûtèrent de ses stupides croyances, ramena-t-elle les hommes à des principes plus sûrs, à des opinions plus saines? Où est le peuple chez lequel elle ait aboli l'idolâtrie, dont elle ait réformé les mœurs? Ce peuple est encore à trouver. Que fit-elle donc? Elle laissa les vices divinisés en possession de leurs temples, et combattit de tout son pouvoir les vérités traditionnelles, qui partout étoient mêlées aux erreurs locales du paganisme. Elle créa les doctrines du néant, et les mœurs du siècle de Tibère; elle forma Pétrone et Néron.

Nous ne retracerons point ici les innombrables opinions des philosophes, leurs disputes, leurs contradictions sur les objets les plus importans. Quel est le dogme qu'ils n'aient pas nié? le devoir qu'ils aient respecté (1)? L'histoire de la philosophie est l'histoire

(1) Presque tous les philosophes anciens ont admis l'éternité de la matière, opinion incompatible avec l'existence de Dieu. Les stoïciens

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