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convéniens. L'homme, maître de ses croyances, l'est également de ses actions. Il peut tout nier, en disant : Je ne comprends pas; et ensuite tout se permettre, en disant Je ne crois point.

Qu'est-ce que la religion? une loi, ou plutôt l'ensemble des lois auxquelles tous les hommes sont soumis, la règle de leur esprit, de leur cœur et de leur sens. Or la règle ne sauroit dépendre de ce qu'elle doit régler; il faut qu'elle en soit entièrement distincte, sans quoi elle ne seroit plus règle. Comment nos sentimens seroient-ils la règle de nos sentimens, notre raison la règle de notre raison? Cela est clairement contradictoire. Et si notre raison, notre sentiment, toujours prêts à s'égarer, ont besoin d'une loi certaine et invariable qui les redresse, cette loi, dès lors souvent opposée à ce que nous sentons et ce que nous pensons, ne peut trouver sa certitude dans ces pensées mêmes et ces sentimens qu'elle a pour objet de préserver de l'erreur, et dont la bonté et la vérité ne sont certaines que par elle.

Il suffiroit peut-être de ces réflexions pour se convaincre que ni le sentiment ni le raisonnement ne sont le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie religion. Mais l'importance de cette vérité exige qu'on en développe les preuves davantage. C'est ce que nous essaierons de faire dans les chapitres sui

vans.

CHAPITRE XVIII.

Que le sentiment ou la révélation immédiate n'est pas le moyen général offert aux hommes pour discerner la vraie religion.

AUTANT l'homme est grand quand on le contemple dans ses rapports avec ses semblables, au milieu de l'ordre dont il fait partie, autant sa foiblesse inspire de pitié lorsque, rompant les liens de cette noble dépendance, il ne veut plus relever que de lui-même. Fuyant toute société, et privé des biens auxquels il participoit comme être social, dépouillé, nu, il emporte au désert une triste souveraineté qui n'est que la servitude de toutes les misères. Il s'en ira, ce souverain, cet esprit sans maître, cherchant çà et là dans la nuit quelques vérités écartées, pour nourrir sa raison mourante; mais en vain seul, il n'est rien, ne peut rien, pas même vivre. S'il en doute, qu'il remonte au moment de sa naissance, qu'il se représente ce qu'est l'homme au sortir du néant. Qu'apporte-t-il avec lui? Que possède-t-il? Interrogez vos souvenirs, ils ne vous répondront même pas. L'enfant n'a d'abord, ainsi que l'animal, que des sensations obscures et sourdes. Nulle idée avant qu'il les reçoive d'autrui, nulle connoissance, nul sentiment; tout lui viendra du dehors, et il n'aura rien qui ne

lui ait été donné. Son intelligence languiroit dans un sommeil éternel, si la parole ne l'éveilloit; elle la tire peu à peu de son assoupissement, elle ouvre ses yeux appesantis et les familiarise avec la lumière. La raison se développe, l'amour naît; et cet être qui n'appartenoit qu'au monde des corps, élevé au-dessus du temps, est transporté soudain dans la société éternelle. Et comment? Il a entendu, il a cru, il a obéi. La foi a, pour ainsi dire, créé cette âme, elle lui a donné la conscience d'elle-même. A travers les profondes ténèbres qui l'environnoient, elle lui a tracé une route sûre, et l'a conduite à la source de toute vérité et de toute lumière. Cependant, arrivé là, l'homme rougira de son guide, il le désavouera, il dira dans son orgueil : Je suis venu seul, et seul j'irai plus haut encore; et le voilà qui, seul en effet, marche et retourne aux lieux d'où il est parti.

Ainsi nous avons vu (1) que dès qu'il se détache de la société religieuse, et refuse d'obéir au pouvoir qui la constitue, l'homme, s'il est conséquent, passe de doute en doute, par un progrès naturel, de l'hérésie au déisme, du déisme à l'athéisme, et de là. dans un scepticisme universel. Soit qu'il suive sa raison, soit qu'il se laisse guider par le sentiment, il arrive également à ce dernier terme où finit l'être intelligent. Si quelques esprits engagés dans ce chemin de la mort, ne le parcourent pas en entier, ce n'est pas. leur force, c'est leur foiblesse qui les arrête.

(1) Tom. 1, chap. II, III, IV, V, VI et VII.

Et comment l'inspiration particulière, ou le sentiment, seroit-il le moyen général offert aux hommes pour découvrir la vraie religion, lui qui ne peut les conduire, comme nous l'avons montré (1), à aucune vérité certaine ? Nul esprit fini n'a en soi le principe de la certitude. Elle n'existe que dans la société, dépositaire des vérités que l'homme reçut de Dieu à l'origine, et qu'elle conserve et transmet par la parole. Les idées naissent en nous avec leur expression; et apprendre à parler, c'est apprendre à penser, comme apprendre à penser, c'est apprendre à croire. La certitude de nos connoissances est donc proportionnée à l'autorité de celui qui nous les communique, ou du témoignage qui les atteste; et si l'autorité est infinie, la certitude est infinie.

Il suit de là qu'on ne sauroit par l'inspiration seule parvenir à la certitude; car que fait l'inspiration? Elle met dans notre esprit, indépendamment de la parole extérieure, des idées qui nous sont transmises dans l'ordre ordinaire par cette parole. Dès lors, pour en reconnoître la vérité, il faut les examiner en elles-mêmes à l'aide du raisonnement, c'est-à-dire, chercher la certitude hors de l'inspiration; ou s'assurer que l'inspiration vient d'une autorité infaillible, ce qui ramène encore au raisonnement, à moins d'une nouvelle inspiration, qui auroit elle-même besoin d'être prouvée comme la première, et ainsi à l'infini. La persuasion la plus invincible qu'on est réellement

(1) Tom. I, chap. XIII.

inspiré ne prouve rien (1), puisque tous les enthousiastes ont cette persuasion. Quand donc les déistes demandent pourquoi Dieu n'a pas fondé le christianisme sur une révélation intérieure faite à chaque homme individuellement, plutôt que sur une révélation extérieure et générale, c'est comme s'ils demandoient pourquoi Dieu n'a pas établi une religion dénuée de preuves.

Mais il suffit, pour décider la question qui nous occupe, de considérer les faits. Consultons notre expérience parmi les vérités que nous connoissons, en est-il une seule que nous ayons découverte en nous? Élevés dans les bois, loin de nos semblables, aurionsnous les mêmes idées, les mêmes sentimens? Que sentions-nous avant qu'on nous eût donné la pensée avec la parole? Quel dogme avons-nous trouvé écrit au fond de notre cœur? Où étoit Dieu pour nous, avant qu'on nous l'eût nommé? Soyons vrais, le sentiment ne nous instruit pas plus des lois de notre conservation comme êtres moraux ou intelligens, que nos sensations ne nous apprennent les lois de notre conservation comme êtres physiques. Il n'y a point de sentiment inné, autrement il se manifesteroit de la

(1) En ce qui regarde la conduite des âmes, on ne recommande rien plus dans l'Église catholique, que de se défier des inspirations qu'on croiroit avoir, ou que d'autres croiroient avoir eues. L'inspiration se prouve, non par ce que sent la personne qui s'imagine être inspirée, mais par des signes extérieurs, des miracles, tels que Moïse en demanda, ou par le jugement de l'autorité qui déclare l'inspiration véritable; et c'est uniquement ainsi que nous sommes certains que les livres saints cux-mêmes ont été réellement inspirés par l'Esprit de Dieu.

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