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athées et la plupart des philosophes. Il les avoit fréquentés et même d'une manière très-intime, tant qu'il avoit eu besoin d'eux pour se produire. Il voyoit qu'il pouvoit désormais se passer de leur protection, il rompit avec eux sans retour. Il tonna d'abord contre leurs principes avec une éloquence foudroyante il fit voir qu'il y a une absurdité manifeste à ne pas reconnoître un Dieu bienfaisant, et rémunérateur de la vertu dans une autre vie, << sortez de là, ajouta-t-il ; je ne vois >> plus qu'injustice, hypocrisie et mensonge parmi >> les hommes; l'intérêt particulier qui dans la » concurrence, l'emporte nécessairement sur >> toutes choses, apprend à chacun d'eux à parer. » le vice du masque de la vertu. Que tous les >> autres hommes fassent mon bien aux dépends » du leur, que tout se rapporte à moi seul, que » tout le genre humain meure, s'il le faut, dans >> la peine et dans la misère, pour m'épargner » un moment de douleur et de faim; tel est le » langage intérieur de tout incrédule qui raisonne. >> Oui je le soutiendrai toute ma vie ; quiconque » a dit dans son cœur, il n'y a point de Dieu, » et parle autrement, n'est qu'un menteur ou un » insensé.» (Ém., t. 3.)

Ensuite attaquant les athées personnellement : pourquoi, leur dit-il, niez-vous que Dieu existe? c'est que vous redoutez sa justice. «Tenez votre » ame en état de désirer toujours qu'il y ait un

» Dieu, et vous n'en douterez jamais.» (Prof. de foi.)

Les athées étoient en fureur. Le drôle a raison, disoit intérieurement Voltaire ; il ne fait qu'exprimer ce que j'ai dit autrefois dans ces vers traduits de l'anti-Lucrèce :

Ah! si par toi le vice eût été combattu,

Si ton cœur pur et droit eût chéri la vertu,
Pourquoi donc rejeter au sein de l'innocence
Un Dieu qui nous la donne, et qui la récompense?
Tu le craignois, ce Dieu; son règne redouté
Mettoit un frein trop rude à ton impiété.
Précepteur des méchans, et professeur du crime,
Ta main du précipice ouvrit le vaste abîme,

Y fit tomber la terre et le couvrit de fleurs.

mais gardons nous bien d'en rien témoigner dans

cemoment.

Quant à Rousseau, il poursuivit avec la même intrépidité. Discours superflus, dit-il, vous voulez, à quelque prix que ce soit, vous élever au-dessus du vulgaire. «< Où est celui d'entre >> vous qui dans le secret de son cœur, se propose » un autre objet que de se distinguer? Chez les >> croyans vous êtes athées; chez les athées vous >> seriez croyans. » (Prof. de foi.)

Les philosophes ne répondirent pas : ce n'étoit pas leur usage; ils rétorquèrent, ce qui étoit beaucoup plus facile. «Triomphant quand ils attaquent, ils sont sans vigueur en se défendant. »> (Ibid.) Rousseau qui étoit aussi philosophe

qu'eux les laissa également sans réponse, et. continuant toujours sur le même ton: «je vous ai >> consultés, dit-il; j'ai feuilleté vos livres, j'ai exa» miné vos diverses opinions. Je vous ai trouvés, » tous fiers, affirmatifs, dogmatiques, même dans >> votre scepticisme prétendu, n'ignorant rien, ne >> prouvant rien, vous moquant les uns des autres; >> et ce point commun à tous me paroît le seul sur » lequel vous ayez tous raison.» (Ibid.)

Rousseau se leva en prononçant ces dernières paroles; et comme s'il eût voulu fuir la rétorsion dont il se sentoit ménacé, il sortit précipitamment de l'assemblée suivi de ses partisans. Va, fou; va, plat énergumène, lui cria Voltaire. -Va, scélérat; va, monstre, ajouta Diderot.

Qu'on le chasse, qu'on le chasse, cria-t-on de plusieurs endroits de la salle. Il lui faut reprit Voltaire, du bouillon, de la saignée et du régime. (Hom. aux quar. éc.) C'est un impie, un athée, un fou de village qui écrit des impertinences dignes de bicêtre : qu'il aille amuser les passans sur le pont-neuf. (les deux siècles.)

Rousseau les entendit : « j'ai long-temps cru, >> dit-il, qu'on pouvoit avoir de la probité sans » religion; je ne le crois plus. ».

Ensuite il envoya à Diderot, ce petit billet dont le contenu se retrouve dans la préface de sa lettre à d'Alembert. « J'avois un Aristarque sévèré et » judicieux, je ne l'ai plus, je n'en veux plus; mais

>> je le regretterai sans cesse, et il manque bien plus » encore à mon cœur qu'à mes écrits. Si vous » avez tiré l'épée contre votre ami, n'en déses» pérez pas; car il y a moyen de revenir vers » votre ami. Si vous l'avez attristé par vos pa» roles, ne craignez rien; il est possible encore » de vous réconcilier avec lui. Mais » trage, le reproche injurieux, la révélation du » secret, et la plaie faite à son coeur en trahison, » point de grâce à ses yeux; il s'éloignera sans retour.» (Ecclésiast, c. 22, v. 26 et 27.)

pour

l'ou

Ces paroles étoient une allusion cruelle à une anecdote secrète, dont on peut voir le détail dans le troisième volume des Mémoires de Marmontel. << Ce fut comme un coup de stylet dont Rousseau >> frappa Diderot; il est cruel, dit celui-ci, d'être » calomnié, de l'être avec noirceur, de l'être sur >> le ton perfide de l'amitié trahie, et de ne pou» voir se défendre mais telle est ma position.... » Rousseau est bien sûr que je le laisserai jouir » de son outrage, plutôt que de mettre le public » dans la confidence d'un secret qui n'est pas le » mien, et en cela il est un agresseur malhon» nête; il frappe un homme désarmé. » (Mém. de Marmontel, t. 3, p. 1 et 2.) Diderot ajouta quelques phrases pour repousser le reproche public de perfidie que lui faisoit son cher et digne ami. Selon La Harpe et Marmontel, il s'est pleinement justifié : et cela peut être ; c'est

une question dans laquelle je n'entre point. Je vois l'honneur que l'un ou l'autre de ces deux philosophes, et peut-être tous les deux, ont fait à la philosophie dans cette circonstance décisive en suivant rigoureusement ses principes cela suffit pour mon édification.

:

Ainsi commença cette longue et risible guerre que se firent depuis Rousseau et les chefs de la philosophie. Ils ne cessèrent de se reprocher mutuellement leurs paradoxes bizarres, leurs systèmes extravagans, leurs discours impies, l'orgueil qui les dominoit, leurs travers, leurs incon séquences. L'attaque fut vive de part et d'autre ; quant à la défense, c'est de quoi on ne jugea pas à propos de s'occuper. Le public n'accorda la victoire à aucun parti, ou plutôt il l'accorda à tous les deux. Témoin du mépris avec lequel ils se traitoient respectivement, et parfaitement instruit des motifs de ce mépris, il jugea sans balancer que sur ce point commun à tous, tous avoient également raison. Rousseau se contenta de parler et d'écrire contre ses adversaires. Mais ceux-ci appelèrent de plus l'intrigue à leurs secours. On sait ce qu'il eut à souffrir de la tolérance philosophique de Voltaire, et de quelquesuns de ses amis.

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