vérité le ton héroïque dont il s'amuse à agrandir les objets. Au mérite des portraits joignez celui des tableaux : Parmi les doux plaisirs d'une paix fraternelle, Et ailleurs : Dans le réduit obscur d'une alcove enfoncée, Celui qui avait dit dans l'Art poétique, Il est un heureux choix de mots harmonieux, les a choisis tous ici, de manière qu'il n'y a pas une seule syllabe qui fasse assez de bruit pour réveiller le prélat qui dort. Et quelle verve dans la peinture du vieux Boirude! Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix! Boirude, sacristain, cher appui de ton maître, Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom paraître ? On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur, Perdit en ce moment son antique pâleur, Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière, Pour sauter au plancher, fit deux pas en arrière. Entrons dans la demeure de la Mollesse. C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour. Mais c'est sur-tout dans la descriptic s objets les plus communs qu'il déploie outes les richesses de l'expression, et qu'il fait servir la langue poétique à des peintures qui semblaient faites pour s'y refuser. . A ces mots il saisit un vieil Infortiat, Dont quatre ais mal unis formaient la couverture, Où pendait à trois clous un reste de fermoir. Qui avait su, avant Boileau, faire descendre si heureusement la poésie à de semblables détails? Est-il bien facile de dire en vers élégants qu'on allume une bougie avec un briquet et une pierre à fusil? Le talent du poëte saura encore ennoblir cette peinture si familière. Des veines d'un caillou qu'il frappe au même instant Rien n'est oublié, et tout est fidèlement rendu, non pas en cherchant des termes nouveaux et des figures bizarres, des combinaisons le poëte n'a point recours au néologisme, il se sert des mots les plus ordinaires, la mèche, le soufre, le caillou, la cire, le brasier; mais il les combine sans effort, de manière à leur donner de l'élégance et du nombre. Et des jeunes gens qui n'ont guère fait qu'entasser des lieux communs ampoulés sur le soleil et la lune, prétendent créer la poésie descriptive, créer une langue inconnue à Boileau et à Racine! Au lieu de songer à en faire une, qu'ils étudient encore celle de leurs maîtres; et, sans vouloir la changer, qu'ils apprennent à s'en servir comme eux. Nous n'avons pas d'ouvrage où l'on trouve plus souvent que dans le Lutrin l'exemple de ces dé (1) Ces deux vers rappellent celui de Virgile: Ac primùm silici scintillam excudit Achates. (Eneid. I, 178.) tails vulgaires relevés par ceux qui les avoisinent. Je n'en citerai plus qu'un seul entre mille autres: c'est l'habillement du chantre. On apporte à l'instant ses somptueux habits, D'une longue soutane il endosse la moire, Quel choix d'expressions et de circonstances! L'ouate, que nous prononçons communément ouette, ne semble pas faite pour figurer dans un vers; mais le poëte, en faisant tomber doucement le sien sur l'ouate molle, et le relevant pour y faire éclater le tabis, vient à bout d'en tirer de l'élégance et de l'harmonie. Il emploie le même art pour ennoblir la soutane du chantre par une épithète bien placée, par une figure fort simple, qui consiste à prendre la partie pour le tout, et il en résulte un vers élégant et pittoresque : D'une longue soutane il endosse la moire. Prendre ses gants est bien une action triviale : mais Ses gants violets, les marques de sa gloire, sont relevés par une heureuse apposition. Enfin, il met de l'intérêt jusque dans ce rochet, placé à une césure artificielle, ce rochet Qu'un prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts. Ce style montre la science de tout embellir, et le néologisme ne montre que l'impuissance. On a pu remarquer, dans tout ce que j'ai rapporté, combien l'auteur possède tous les secrets de l'harmonie imitative. On a cité mille fois le sommeil de la Mollesse, et ces vers sur les rois fainéants: Aucun soin n'approchait de leur paisible cour; Les vers marchent aussi lentement que les bœufs qui traînent le char. C'est ainsi que le poëme est écrit d'un bout à l'autre par-tout le même rapport des sons avec les objets. Ils passent de la nef la vaste solitude, Et dans la sacristie entrant, non sans terreur, Cette épithète, si bien placée à la fin du vers, présente le lutrin dans toute sa masse. Et d'un bras qui peut tout ébranler, Lui-même se courbant, s'apprête à le rouler. Vous voyez, vous entendez l'effort des bras qui |