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cependant la marche de ce roman est soutenue jusqu'au bout, et on le lira toujours avec plaisir. La Princesse de Clèves est une autre production de madame de La Fayette, encore plus aimable et plus touchante. Jamais l'amour, combattu par le devoir, n'a été peint avec plus de délicatesse: il n'a été donné qu'à une autre femme de peindre, un siècle après, avec un succès égal, l'amour luttant contre les obstacles et la vertu. Le comte de Comminges, de madame de Tencin, peut être regardé comme le pendant de la Princesse de Clèves.

Passer de madame de La Fayette à Scarron, et de Zaïde au Roman comique, c'est aller de la bonne compagnie à la taverne. Mais les honnêtes gens ne sont pas sans indulgence pour la gaieté: c'est une si bonne chose! Il y en a dans ce livre, et même de la bonne. Le caractère de La Rancune est piquant, vrai et bien tracé; et plusieurs chapitres, entre autres celui des bottes, sont traités fort plaisamment. Le style a du naturel et de la verve : il est même assez pur, et beaucoup plus que celui de tous les autres écrits du même auteur. Il faut passer presque toutes les Nouvelles qu'il a tirées des Espagnols, ou qu'il composa dans leur goût. J'aime cent fois mieux Ragotin que toutes ces fadeurs amoureuses et ces froides intrigues. Ragotin est de la farce, mais il fait rire. Le Virgile travesti est d'un genre de turlupinade insupportable au bout de deux pa

à

ges. Jodelet et D. Japhet sont deux pièces dégoûtantes, indignes de la scène française. Le Roman comique vaut infiniment mieux : c'est, proprement parler, tout ce qui reste de Scarron; et voilà aussi ce qui nous reste de meilleur des romans du dernier siècle; car Gil Blas est du nôtre; et mademoiselle de La Force, auteur de l'Histoire secrète de Bourgogne, et madame d'Aulnoy, auteur d'Hippolyte, comte de Douglas (roman où il y a pourtant de l'imagination), ne sont que des imitatrices de madame de La Fayette, fort inférieures à leur modèle pour l'art d'inventer et d'écrire.

SECTION II.

Contes.

Le merveilleux de la féerie, les peris des Persans, les gines des Arabes, le pouvoir des génies et des talismans, toutes ces fictions de la théologie des Orientaux, fondées sur la croyance d'êtres intermédiaires entre dieu et l'homme, qui a été commune à toutes les nations, quoique avec différents caractères, sont le fond de ces contes dont les traductions qui parurent dans le dernier siècle étaient la suite et la preuve de l'encouragement donné à l'étude des langues orientales par Louis XIV qui encourageait tout. On peut les rapprocher de la classe des romans, comme

appartenant à l'imagination. Il est vrai que ce genre de merveilleux en est l'abus; mais l'agrément fait tout pardonner. On sait que l'Orient fut le berceau de l'apologue, et la source de ces contes qui ont rempli le monde. Ces peuples, amollis par le climat et intimidés par le despotisme, ne se sont point élevés jusqu'à la vraie philosophie, et n'ont fait qu'effleurer les sciences. Mais ils ont habillé la morale en paraboles, et inventé des fables amusantes qué les autres peuples ont adoptées à l'envi. Quelle prodigieuse fécondité dans ce genre! quelle variété, quel fond d'intérêt ! Ce n'est pas que, dans la mythologie des Arabes, il y ait autant d'esprit, d'art et de goût, que dans celle des Grecs : les fables de ces derniers semblent faites pour des hommes. Ici l'imagination connaît des bornes et des règles; là elle n'en a point, et ses inventions semblent faites pour des enfants. Mais ne sommes-nous pas tous un peu enfants dès qu'il s'agit de contes? Y a-t-il une histoire plus agréable que celle d'Aboulcasem, une histoire plus touchante que celle de Ganem? D'ailleurs, l'amusement que ces livres procurent n'est pas leur seul mérite; ils servent à donner une idée très-fidèle du caractère et des mœurs de l'Orient, et sur-tout de ces Arabes qui autrefois y régnaient. On y reconnaît cette générosité qui a toujours été une de leurs vertus favorites, et sur laquelle l'ame et la verve de leurs poëtes et de leurs romanciers semble toujours exaltée. Les

Cours de Littérature. VII.

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plus beaux traits en ce genre nous viennent d'eux et ce qui rend cette nation remarquable, c'est la seule chez qui le despotisme n'eût point avili les ames ni étouffé le génie. Il n'y eut point de despote plus absolu, plus redoutable, que ce fameux Aaron, dont le nom revient à tout moment dans leurs contes, et dont le règne fut l'époque la plus brillante du califat et de la grandeur des Arabes. On est toujours étonné de ces moeurs et de ces opinions singulières qu'inspirent à une nation ingénieuse et magnanime, d'un côté l'habitude de l'esclavage, et de l'autre l'abus du pouvoir; cette disposition, dans des princes d'ailleurs éclairés, à compter pour rien la vie des hommes; et dans ces mêmes hommes la facilité à se persuader qu'ils ne valent pas plus qu'on ne les apprécie, et à faire de la servitude politique un dévouement religieux, voilà ce qu'on voit sans cesse dans leurs livres, et peut-être ce mépris d'euxmêmes tient en partie à ce dogme de la fatalité, de tout temps enraciné dans les têtes orientales: il revient dans toutes leurs fables, dont le fond est presque toujours un passage rapide de l'excès du malheur au faîte des prospérités, de l'abjection la plus basse au plus haut point d'élévation, et de l'ivresse de la joie au comble de l'infortune; il semble qu'ils n'aient eu pour objet que de nous faire comprendre à quel point nous sommes assujettis à cette destinée éternelle, écrite sur la table de lumière. Et il faut encore observer que

ces révolutions extrêmes ont toujours été beaucoup plus fréquentes chez eux que parmi nous, parce que la volonté d'un seul homme, dans les gouvernements asiatiques, peut en un moment tout renverser et tout confondre, et que ce même homme, par la même raison, peut passer de la grandeur au néant aussi facilement qu'il y précipite les autres. Les états despotiques sont nécessairement le théâtre le plus mobile de tous les jeux de la fortune.

Les Mille et une Nuits sont une sorte de peinture dramatique des peuples qui ont dominé dans l'Orient. L'audace et les artifices de leurs femmes, qui osent et risquent d'autant plus qu'elles sont plus rigoureusement captives, l'hypocrisie de leurs religieux, la corruption des gens de loi, les friponneries des esclaves, tout y est fidèlement représenté, et beaucoup mieux que ne pourrait faire le voyageur le plus exact. On y retrouve aussi de ces traditions antiques que plusieurs nations ont rapportées à leur manière. L'histoire de Phèdre et celle de Circé y sont très-aisées à reconnaître. Plusieurs endroits ressemblent à des traits historiques des livres juifs. Cette aventure de Joseph, la plus touchante peut-être que l'antiquité nous ait transmise, cet emblême de l'envie qui anime des frères contre un frère, se retrouve aussi en partie dans les Contes arabes, mais d'une manière bien inférieure à celle de l'ouvrage hébreu. Quant

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