D'un plaisant du pays insipide boutade, Ah! monsieur! vos mépris vous servent de louanges. Ce progrès est d'autant plus louable, que, dans les nombreuses critiques où l'on épluchait vers par vers toutes les poésies de l'auteur, on ne lui avait point reproché ce défaut : et cela prouve que les réflexions d'un bon écrivain l'instruisent mieux que toutes les censures. Lorsqu'on a prétendu que Boileau n'avait ni fécondité, ni feu, ni verve, on avait apparemment oublié le Lutrin. Il fallait bien quelque fécondité pour faire un poëme de six chants sur un pupitre remis et enlevé; et si nous avons déja vu que ses satires mêmes n'étaient point dépourvues de l'espèce de verve qu'elles comportaient, combien il a dû en montrer davantage dans une espèce d'ouvrage qui demandait de l'imagination pour construire une machine poétique, et du feu pour l'animer! Qui jamais, parmi ceux que l'on peut citer comme des connaisseurs, a méconnu l'un et l'autre dans le Lutrin? Tous les agents employés par le poëte ont leur destination marquée, et la remplissent en concourant à l'effet général. La fable, pendant cinq chants, est parfaitement conduite. La vérité des caractères et la vivacité des peintures y répandent tout l'intérêt dont un semblable sujet était susceptible, c'està-dire l'amusement qu'on peut prendre à voir de grands débats pour la plus petite chose. Mais que de ressources et d'art il fallait pour nous en occuper! ...La Discorde encor toute noire de crimes, Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes, s'indigne du repos qui règne à la Sainte-Chapelle, et jure d'y détruire la paix, comme elle a su la détruire ailleurs. Elle apparaît en songe, sous les traits d'un vieux chantre, au prélat, qu'elle excite et soulève contre le grand-chantre son rival. Elle lui suggère le projet d'ensevelir ce fier concurrent sous la masse d'un vieux lutrin, relégué depuis long-temps dans une sacristie. Tous les préparatifs pour cette entreprise se font avec la plus grande solennité, et c'est toujours à table que se prennent toutes les résolutions. Au moment où les amis du prélat, choisis par le sort, vont élever dans la nuit ce lutrin qui doit désespérer le chantre, la Discorde pousse un cri de joie : L'air qui gémit du cri de l'horrible déesse La Nuit, sa confidente naturelle, lui raconte les querelles qui vont s'allumer. La Mollesse en prend occasion de se plaindre de tous les maux qu'on lui a faits; elle regrette les beaux jours de son règne et là se trouve si heureusement amené celui de Louis XIV, que les détracteurs mêmes de Boileau ont rendu hommage à la beauté de cet épisode, qui laisse les admirateurs sensibles hésiter entre le mérite de l'invention et celui de l'exécution. Mais avee quelle facilité l'auteur rentre dans son sujet, et sait lier cet épisode à l'action! Cîteaux dormait encore, et la Sainte-Chapelle Ah! Nuit! si tant de fois dans les bras de l'Amour Ainsi la Nuit se trouve mise en action. Elle va cacher dans le creux du lutrin le hibou qui fait une si grande peur aux trois champions réunis pour emporter la fatale machine; et il faut que la Discorde, sous les traits de Sidrac, les harangue pour leur rendre le courage, et les faire rougir de leur puérile frayeur. Ils se raniment, mettent la main à l'œuvre, Et le pupitre enfin tourne sur son pivot. Voilà de la fiction, du mouvement et de l'action, c'est-à-dire tout ce qui donne de la vie à un poëme, soit badin, soit héroïque, et ce qui serait encore trop peu de chose sans le style mais il est audessus de tout le reste. Les critiques du temps se déchaìnèrent contre cet incident du hibou; ils le trouvèrent trop petit, et le commentateur Saint-Marc, qui veut toujours donner tort à Boileau, comme Brossette veut toujours lui donner raison, a fait une longue diatribe contre l'intervention de la Nuit et contre le hibou. Mais Saint-Marc, et ceux dont il s'est fait l'apologiste, ont apparemment voulu oublier la nature du sujet ; ils n'ont pas voulu voir que le hibou figure très-convenablement avec le perruquier l'Amour et le sacristain Boirude, qui vont, armés d'une bouteille, à la conquête d'un lutrin. Les évènements sont dignes des personnages, comme le combat des chantres et des chanoines, qui se jettent à la tête les livres de Barbin sur l'escalier de la Sainte-Chapelle, est l'espèce de bataille qui convient à cette espèce d'épopée. Mais comment l'auteur a-t-il pu enrichir une matière si stérile, et se soutenir si long-temps avec si peu de moyens? Comment a-t-il pu faire tant de beaux vers sur une querelle du chapitre? C'est là le miracle de son art. C'est à force de talent poétique; c'est en prodiguant à pleines mains le sel de la bonne plaisanterie, en donnant à tous ses personnages une physionomie vraie et distincte, qu'il est parvenu à transporter le lecteur au milieu d'eux, et à l'attacher par des ressorts qui, dans une main moins habile, auraient manqué d'effet. Tous ses héros ont une figure dramatique, une tête et une attitude pittoresques, et rien n'est plus riche que le coloris dont il les a revêtus. Veut-il peindre le prélat qui repose: La jeunesse en sa fleur brille sur son visage; Ici, c'est le vieux Sidrac, conseiller du prélat, qui s'avance dans l'assemblée. Quand Sidrac, à qui l'âge allonge le chemin, Là, c'est le docteur Alain. Alain tousse et se lève, Alain, ce savant homme, Ce latin, qui est celui de l'Imitation, est le plus facile de tous à entendre. Le poëte place toujours à propos le trait comique, qui réduit à la |