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CHAPITRE II.

SECTION PREMIÈRE.

Histoire.

L'HISTOIRE fut généralement une des parties faibles du dernier siècle, et l'a même été du nôtre : dans l'un, par le défaut de philosophie, et dans l'autre, par l'abus.

Ce n'était pas assez que Bodin eût examiné les différentes espèces de gouvernement dans son Traité de la République, qui a été le germe de l'Esprit des Lois; que Barbeyrac traduisît et commentât Grotius et Pufendorf, les plus fameux publicistes étrangers; ces ouvrages, quoiqu'ils ne fussent ni sans mérite ni sans utilité, offraient plus d'érudition et de scolastique que de résultats lumineux et d'idées usuelles: on y chercherait en vain le talent nécessaire en ce genre, celui de mettre à la portée de tout lecteur un peu instruit ce qui intéresse tous les citoyens, et d'enseigner aux peuples et à ceux qui les gouvernent leurs véritables intérêts.

L'enthousiasme, d'ailleurs très-naturel, qu'avait inspiré Louis XIV, et qui enfanta tant de merveilles, eut aussi son excès, et, par une conséquence ordinaire, ses inconvénients. En exaltant

les ames,

il troubla un peu le jugement: nous en avons la preuve dans les plus grands esprits de ce temps. On s'accoutuma trop à légitimer tout ce qui était brillant, et à soumettre la raison à l'opinion du maître, parce que le maître était grand: mais le maître était faillible; et jamais ne se vérifia mieux ce vers d'un ancien :

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Regis ad exemplum totus componitur orbis.
L'exemple du monarque est la loi de la terre.

De là tant d'histoires plus louangeuses que véridiques, et plus d'une fois les préjugés mis à la place de la raison. De là aussi, comme par contrecoup, le défaut contraire dans les écrits du parti opposé, ceux des Protestants, qui ne sont guère que des satires. En total, on oubliait trop qu'il ne fallait pas écrire l'histoire pour un roi, mais pour une nation; que le despotisme, qui peut paraître de la grandeur dans un règne éclatant, n'est plus que de la tyrannie dans un règne vulgaire; et que, sans même attendre cette époque, ce qui semblait de la dignité dans les succès n'était plus que de l'orgueil au milieu des maux publics. Il importait donc d'opposer de bonne heure à l'arbitraire justifié par la fortune les principes d'un bon gouvernement et d'une saine législation, qui seuls sont de tous les temps, et qui font la sécurite des rois comme celle des peuples. Loin de faire de ces éléments du bonheur général les éléments de l'histoire, les écrivains ne s'occupaient 24

Cours de Littérature. VII.

que de combats et de triomphes, traçaient des portraits de fantaisie, coloriés par l'adulation ou par la haine; et parmi toutes ces peintures multipliées sans mesure et sans choix, parmi ces portraits de tant de princes remplacés les uns par les autres, disparaissait la figure principale qui aurait dû dominer sur toutes les autres, celle de la nation.

Des préjugés particuliers étaient encore un obstacle de plus à la perfection du genre historique. Parmi ceux qui s'y dévouaient, on comptait des hommes qui, engagés dans une profession toujours respectable, mais en même temps attachés à l'esprit de corps, qui n'est pas toujours irrépréhensible, étaient trop gênés dans leurs fonctions d'historiens par les convenances de leur état, ou trop assujettis à ses intérêts temporels et à ses prétentions particulières. Ce sont autant d'écueils difficiles à éviter pour un ecclésiastique ou un religieux qui écrit l'histoire. On s'en est aperçu dans le siècle dernier, et même dans le nôtre. Ceux qui ont échoué à cet écueil peuvent avoir une excuse; mais ceux qui s'en sont préservés n'en ont que plus de mérite.

Les recherches d'érudition ne sont que les matériaux de l'histoire : la vie monastique est aussi favorable aux unes qu'elle semble par elle-même éloignée de l'autre. L'érudition ne s'exerce que sur les livres, et demande sur-tout du temps et de la patience aussi les Mabillon, les Montfau

con, les Pétau, les Lecointe, et d'autres savants laborieux, furent véritablement utiles en débrouillant la chronologie, en éclaircissant les difficultés des anciens manuscrits et les ténèbres des anciens monuments; et ils ont eu jusqu'aujourd'hui des successeurs dans ce genre de travail très-estimable, et qui demande une sagacité particulière. C'est sur-tout en posant ces premiers fondements des connaissances historiques que le dernier siècle a rendu des services au nôtre, qui a commencé d'en profiter. Nous devons aussi beaucoup, pour ce qui regarde en particulier l'histoire de France, à Cordemoi, à Le Valois, à Godefroi, à Le Laboureur, etc. et ce n'est qu'en les suivant que le P. Daniel rectifia les nombreuses erreurs où était tombé, dans les premières races, Mézerai, qui n'avait point puisé dans les meilleures sources. Mais c'est à peu près le seul mérite de cette grande histoire de Daniel, qui fut d'abord en vogue, et qui est depuis longtemps dans le rang des compilations qu'il ne faut consulter qu'avec défiance, et qu'on ne peut guère lire sans ennui. Daniel, à compter de la troisième race, et surtout du siècle de Louis XI, manque de véracité, dissimule ou dénature ce qu'il y a de plus essentiel; et du moment où les Jésuites paraissent sur la scène du monde, il écrit moins les annales de chaque règne que le panégyrique ou l'apologie de son ordre, sur-tout dans ce qui concerne les temps de la Ligue et de notre

Henri IV. Sa diction, d'ailleurs, manque trop souvent d'élégance et de noblesse.

Le P. d'Orléans, que Voltaire, dans le temps de ses complaisances pour les Jésuites, appelait un écrivain éloquent, a effectivement un peu plus de force dans le style que Daniel. Mais cette force est très-momentanée : on ne l'aperçoit que dans quelques morceaux travaillés avec plus de soin que le reste, et sa manière habituelle est inégale et incorrecte. Son talent était au-dessous de son sujet, et son caractère ne l'élevait pas audessus des circonstances. Ce n'était pas au moment où Louis XIV était le protecteur de Jacques II, qu'un Jésuite pouvait saisir l'esprit des révolutions du gouvernement anglais. Il eut alors la dangereuse confiance de les pousser jusqu'au détrônement de ce même Jacques II, et ne nous a laissé qu'un plaidoyer contre les Protestants, et une apothéose de Louis XIV.

Mézerai du moins n'était pas flatteur : il avait même un fonds d'humeur satirique qui se fait sentir dans ses écrits. Il aimait la vérité, mais il ne la cherchait pas avec assez de soin; et, soit négligence, soit misanthropie, il adopte trop légèrement les inculpations hasardées et les soupçons vagues. A ce défaut près, il juge sainement les hommes et les choses, mais il ne sait ni approfondir les idées ni peindre les objets. Sa narration ne manque pas de naturel, elle plaît même par un ton de franchise; mais elle est dénuée d'a

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