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Furent des sots esprits à nos yeux rebutés. L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau, Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scène plus exacte; Le vicomte indigné sortait au second acte. L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots, le condamnait au feu; L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait venger la cour immolée au parterre. Mais sitôt que d'un trait de ses fatales mains La Parque l'eut rayé du reste des humains, On reconnut le prix de sa muse éclipsée. L'aimable comédie, avec lui terrassée, En vain d'un coup si rude espéra revenir, Et sur ses brodequins ne put plus se tenir. L'époque de cette épître fait autant d'honneur à Boileau que l'épître même : elle fut adressée à Racine au moment où la cabale avait fait abandonner Phèdre, et accumulait contre la pièce et l'auteur les critiques et les libelles. Boileau seul tint ferme contre l'orage, et voulut rendre publique sa protestation contre l'injustice. Il était l'ami de Racine, dira-t-on. Son courage n'en est pas moins digne d'éloges. Il est si rare qu'en pareille occasion l'amitié fasse tout ce qu'elle doit faire, sur tout l'amitié des gens de lettres! et je parle de ceux qui méritent ce nom, de ceux qui ont le plus de droits à l'estime générale. C'est une vérité triste, mais trop prouvée: on peut appliquer

aux lettres ce mot de l'Évangile : Les enfants de ténèbres sont plus éclairés sur leurs intérêts que les enfants de lumière. Voyez comme les mauvais auteurs font cause commune, comme ils se soutiennent les uns les autres, comme ils se prodiguent réciproquement les plus grandes louanges sur les plus misérables productions, quels efforts on fait pour relever des pièces proscrites également à la cour et à la ville! Mais à quoi doit s'attendre ordinairement celui qui donne un bon ouvrage, celui dont on peut craindre la supériorité? Que ses ennemis en diront bien haut tout le mal qu'ils n'en pensent pas, et que ses amis en diront tout bas beaucoup moins de bien qu'ils n'en pensent. Ils ne diront pas une sottise ridicule, mais ils ne diront pas non plus la vérité décisive. Ils suivront tout doucement le public, mais ils ne le devanceront pas; sans contrarier son mouvement, ils ne feront rien pour l'accélérer. Tel est le cœur humain on n'aime point à voir ses confrères monter d'un degré. Et quand l'homme de talent y parvient, à qui le doit-il? Au public indifférent, qui, à la longue, est toujours juste. Souvent il le serait plus tôt, s'il entendait une voix faite pour le décider; souvent il ne faut qu'un homme accrédité pour montrer la vérité à ceux qui sont prêts à la suivre : mais qui veut prendre sur lui d'être cet homme? Quand on abandonna Brutus, que firent les beaux esprits du temps, ceux même que Voltaire appelait

ses amis? Ils lui conseillèrent de renoncer au théâtre. Quand on sifflait Adélaïde, qui prit sa défense? qui voulut être le vengeur du talent, et le guide du public impartial? Boileau fut cet homme pour Racine : aussi contribua-t-il beaucoup à la résurrection de Phèdre. Au milieu du déchaînement universel, il osa dire à l'illustre

auteur :

Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnasse français ennobli par ta veine,
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Eh! qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse,
D'un si noble travail justement étonné,
Ne bénira d'abord le siècle fortuné

Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?
Applaudissons à ce langage de l'amitié pronon-
çant les arrêts de la justice.

Après avoir examiné ce que sont ses satires en littérature, faudra-t-il les justifier en morale? On sait combien, sous ce rapport, elles furent attaquées dans le dernier siècle elles ne l'ont pas été moins dans celui-ci. On n'a plus cherché à intéresser dans cette cause l'état et la religion parce qu'il ne s'agissait plus de perdre l'auteur; mais on a mis en avant cet esprit de société dont on abuse aujourd'hui en tous sens. On a dit qu'il n'était pas permis, qu'il n'était pas honnête d'af

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fliger l'amour-propre d'autrui. Ce principe est vrai en lui-même; il est la base de toutes les convenances sociales. Mais comment n'a-t-on pas vu que l'exception ( et il y en a dans tout) se présentait d'elle-même dans un cas où l'on commence par se placer hors de l'ordre commun, et par mettre volontairement son amour-propre en compromis? Que fait tout homme qui rend le public juge de ses talents? Ne demande-t-il pas des louanges? et peut-il les demander sans se soumettre, par une conséquence nécessaire, à la condition d'encourir le blâme? Je vous aurais loué, si vous m'eussiez satisfait : j'ai donc le droit de vous condamner, si je suis mécontent. Il n'y a personne qui ne soit autorisé à raisonner ainsi avec un auteur. Tout homme est obligé de vivre en société il doit donc s'attendre à y trouver tous les ménagements qu'il doit aux autres. Mais personne n'est obligé d'écrire; donc tout le monde est en 'droit de lui dire Vous n'écrivez pas bien. C'est une gageure que vous soutenez vous ne pouvez pas la gagner sans vous exposer à la perdre.

Qu'on n'objecte pas que le public seul a le droit de juger. C'est ici un abus de mots: la voix du public ne peut se composer que de celle de chaque individu, et chacun peut donner la sienne. Le public prononce en corps lorsqu'il est rassemblé; mais il ne l'est pas toujours, à beaucoup près; et pour lors chacun peut donner sa voix.

Cours de Littérature. VII.

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en particulier, comme il la donnerait avec tous les autres.

On insiste Est-il permis d'imprimer contre quelqu'un ce que la politesse ne permettrait pas de dire en face? Le poëte satirique répondra: C'est précisément parce que je parle au public que je ne suis plus en société. L'auteur a donné son ouvrage, et je donne mon avis, chacun de nous à ses risques et fortunes: tout est égal. Le public est juge; et dans tout cela il n'y a rien contre la morale.

Au reste, j'aurais pu renvoyer sur cet objet à Boileau lui-même, dans la Préface de ses Satires: la question y est solidement discutée, et sa justification établie sur les meilleures raisons. S'il était besoin d'y joindre une autorité imposante, en est-il une que l'on pût préférer à celle du célèbre Arnauld? Le patriarche du jansénisme ne manquait sûrement ni de sévérité ni de lumières. Voici comme il s'énonce dans sa lettre à Perrault, où il prend contre lui la défense des satires de Despréaux. «<Les guerres entre les auteurs passent « pour innocentes quand elles ne s'attachent qu'à «< ce qui regarde la critique de la littérature, la grammaire, la poésie, l'éloquence, et que l'on « n'y mêle point de calomnies et d'injures person<< nelles. Or, que fait autre chose M. Despréaux << à l'égard de tous les poëtes qu'il a nommés dans << ses satires, Chapelain, Cotin, Pradon, Coras et

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