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quelque différence. Il ne l'a pas été non plus envers le Tasse. Peut-être eût-il mieux valu ne pas faire ce vers fameux, où il n'est cité que sous un rapport défavorable :

Et le clinquant du Tasse à tout l'or de Virgile. Mais ce vers est-il sans fondement? Les plus grands admirateurs de ce poëte (et je suis du nombre) peuvent-ils disconvenir qu'il ne soit aussi inférieur à Virgile pour le style, qu'il l'emporte sur lui pour l'invention? Sa poésie n'estelle pas assez souvent faible dans l'expression, et recherchée dans les idées? Ce clinquant que blâme Despréaux n'est-il pas assez fréquent dans la Jérusalem, et même dans les morceaux les plus importants ou les plus pathétiques, dans la description des jardins d'Armide, dans le récit de la mort de Clorinde? L'aristarque du siècle n'était-il pas d'autant plus fondé à réprouver ce clinquant qu'il opposait à l'or de Virgile, qu'alors la France allait chercher ses modèles dans l'Italie et dans l'Espagne? Et n'était-ce pas sa mission de faire voir en quoi ces modèles pouvaient être dangereux? Faut-il en conclure que le mérite du Tasse lui eût échappé? Il y revient dans l'Art poétique, à propos de l'intervention du diable et de l'enfer des chrétiens, qu'il veut exclure de l'épopée moderne. Je crois cette prohibition beaucoup trop rigoureuse, et je ne condamnerai dans le Tasse que l'usage trop répété de

ce moyen, et quelquefois avec peu d'effet. Mais enfin, voici comme Despréaux s'exprime sur lui:

Le Tasse, dira-t-on, l'a fait avec succès :
Je ne veux point ici lui faire son procès;
Mais quoi que notre siècle à sa gloire publie,
Il n'eût point de son livre illustré l'Italie,
Si son sage héros, toujours en oraison,
N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison,
Et si Renaud, Argant, Tancrède et sa maîtresse
N'eussent de son sujet égayé la tristesse.

Ils ont fait plus; ils l'ont enrichi d'un grand in-
térêt. Mais ces vers enfin ne sont-ils pas un éloge
du Tasse? Boileau convient que son livre a illustré
l'Italie; il rend témoignage à sa gloire; il ne la
dément pas;
il explique sur quoi elle est fondée,
et son explication est très-judicieuse. Veut-on
savoir quel est sur ce même poëte l'avis d'un de ses
plus zélés partisans, de Voltaire? Précisément
celui de Boileau: il place le Tasse après Virgile.

De faux brillants, trop de magie,
Mettent le Tasse un cran plus bas.
Mais que ne tolère-t-on pas

Pour Armide et pour Herminie!

Toutes ces considérations peuvent justifier suffisamment l'avis de Boileau, mais pas tout-à-fait le vers dont on se plaint. Le Tasse, malgré ses défauts, est un si grand poëte, qu'il ne fallait pas le nommer à côté de Virgile uniquement pour sacrifier l'un à l'autre; et je conviens avec M. Mar

montel que ce que ce n'est pas là savoir admirer le Tasse. Mais est-il vrai, comme l'avance le même auteur, qu'il confondit Lucain avec Brébeuf, dans son mépris pour la Pharsale? Je n'en vois nulle part la preuve. Il n'a nommé Lucain qu'une seule

fois :

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville, Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.

C'est énoncer simplement la disproportion qu'il y a entre eux deux; et quoique Lucain, mort trèsjeune, eût montré un grand talent, son poëme est si défectueux, qu'on ne peut faire un crime à Boileau de l'avoir mis à une grande distance de l'Énéide: mais d'ailleurs, il n'en parle nulle part avec mépris.

Il mit Horace à côté de Voiture, et c'est un de ses plus grands torts. Je sais qu'il était fort jeune, et que la voix publique l'entraîna; mais celui que la grande réputation de Chapelain ne put séduire ni intimider devait-il être la dupe de celle de Voiture? Voltaire prétend qu'il rétracta ses éloges: non; il les restreignit, et ce n'était pas assez. Il dit dans la satire sur l'Équivoque :

Le lecteur ne sait plus admirer dans Voiture,
De ton froid jeu de mots l'insipide figure.
C'est à regret qu'on voit cet auteur si charmant,
Et pour mille beaux traits vanté si justement,
Chez toi toujours cherchant quelque finesse aiguë, etc.

Un siècle entier de proscription a prouvé que Voiture n'est point un auteur si charmant,

Ni pour mille beaux traits vanté si justement.

S'il l'était, on le lirait; mais on ne le lit pas, on ne peut pas le lire, parce qu'à peu de chose près il est fort ennuyeux, quoiqu'il ait eu de l'esprit, et même qu'il n'ait pas été inutile; mais il n'avait proprement que de l'esprit de société, et celui-là ne vaut rien dans un livre.

Enfin, pour achever la liste de tous les péchés de Boileau, il n'a point nommé La Fontaine dans son Art poétique; et l'on aura peut-être plus de peine à lui pardonner ce silence que tous les arrêts contre lesquels on a réclamé. Ce n'est certainement pas faute d'avoir senti le talent de La Fontaine heureusement nous avons une dissertation sur Joconde qui en fait foi. On a imprimé tout récemment qu'il n'avait pu parler de ses fables, parce qu'elles n'avaient paru qu'en 1678, cinq ans après l'Art poétique. Mais une apologie si mauvaise de tout point montre seulement avec quelle légèreté l'on prononce aujourd'hui sur tout, et combien ceux qui parlent de littérature dans les journaux sont sujets à ignorer les faits les plus aisés à constater. D'abord, sur la date on s'est trompé de dix ans les six premiers livres des Fables ont paru en 1668, dédiés au Dauphin, fils de Louis XIV; et de plus, quand elles n'auraient été publiées qu'après la première édition de l'Art

poétique, qui aurait empêché Boileau d'en faire mention dans les autres éditions qui se sont suivies de son vivant? La fable et La Fontaine

ne devaient-ils pas fournir à un poëme didactique

un article intéressant et même nécessaire? Il est très-probable que la vraie cause de cette étrange omission fut la crainte de déplaire à Louis XIV, dont la piété très-scrupuleuse avait été fort scandalisée des Contes de La Fontaine, et dont l'opinion sur ce point était fortifiée par un rigorisme qu'on affichait sur-tout à la cour. C'est là probablement le motif qui fit taire Boileau; mais ce motif n'est pas une excuse.

Je n'ai déguisé aucune des accusations portées contre lui, et j'ai tâché de les exposer sous leur vrai point de vue, leur laissant ce qu'elles avaient de réel, et modérant ce qu'elles avaient d'outré. Il en résulte qu'il a quelquefois poussé la sévérité trop loin, et qu'il n'a été trop complaisant qu'une seule fois cette disproportion peut assez naturellement se trouver dans un satirique de profession. C'est par cette raison, sans doute, que M. Marmontel le taxe d'avoir été un critique peu sensible. Il le fut trop peu, il est vrai, pour le Tasse et Quinault, mais non pas pour Racine et Molière. Avec quel intérêt il parle de notre grand comique dans son Epitre à Racine!

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,

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