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Et en effet, quel champ pour l'éloquence que ces assemblées, sans contredit les plus augustes de toutes! Quelle carrière pour un vrai citoyen, soit qu'il ait déja cultivé le talent de la parole, soit que le patriotisme, capable, comme toute grande passion, de transformer les hommes, ait fait de lui tout à coup un orateur! Placé, dans le sein même de la patrie, au-dessus de toutes les craintes, ou parce qu'elle peut alors le garantir de tous les dangers, ou parce qu'elle offre des motifs suffisants pour les braver tous; au-dessus de tous les intérêts particuliers, parce que, aux yeux de la raison, ils se réunissent tous alors dans l'intérêt général; rien ne lui manque de ce qui peut échauffer le cœur, élever et fortifier l'ame, et donner à l'esprit des lumières nouvelles ni la grandeur des sujets, puisqu'ils embrassent les destinées publiques et les générations futures; ni ce double aiguillon des difficultés et des encouragements, selon les anciens maîtres, si nécessaires à l'orateur, car il est ici en présence de toutes les passions ou connues ou cachées, généreuses ou abjectes. Il est de toutes parts assiégé, pressé, heurté par la contradiction, ou poussé, entraîné, enlevé par l'assentiment général. Il faut qu'il repousse des attaques furieuses, ou qu'il démasque un silence perfide. Il est au milieu de tous les préjugés, qui sont en même temps un épais et lourd bouclier fait pour mettre les esprits bornés et timides à couvert de la rai

son, et une arme acérée et dangereuse dont les esprits artificieux se servent pour intimider la raison même. Il est au milieu des accès de l'esprit d'innovation, espèce de fièvre la plus terrible, qui offusque le cerveau des vapeurs de l'orgueil et de l'ignorance, et, allant bientôt jusqu'à la frénésie, se saisit du glaive pour tout abattre, faute de savoir s'en servir pour élaguer. Que d'ennemis à combattre! mais aussi que de forces et de moyens pour le patriote, le vrai philosophe, l'homme éloquent! car tous ces caractères qui faisaient l'ancien orateur doivent alors être ceux du nôtre. Il jouit de toute la liberté, de toute la dignité d'une nation entière, en parlant devant elle et pour elle : les principes éternels de justice sont là dans toute leur puissance naturelle, invoqués devant la puissance qui a le droit de les appliquer. Ils sont là pour servir l'homme de bien qui saura en faire un digne usage, pour faire rougir le méchant qui oserait les démentir ou les repousser. Enfin, ce n'est point ici l'effet toujours incertain et variable d'une lecture particulière, où chacun a tout le loisir de lutter contre sa conscience et de se préparer des défenses et des refuges. J'ose dire à l'orateur de la patrie: Si tous ses représentants sont réunis pour t'entendre, s'ils délibérent après t'avoir entendu, c'est pour assurer ton triomphe et le sien. J'en atteste un des plus nobles attributs de la nature humaine, l'empire de la vérité éloquente sur les hommes ras

semblés. Les plus justes et les plus sensibles reçoivent la première impression; ils la communiquent aux plus faibles, et l'étendent en la redoublant de proche en proche : la conscience agit dans tous; dans les uns, le courage dit tout haut, oui; dans les autres, la honte craint de dire, non; et s'il reste un petit nombre de rebelles opiniâtres, ils sont renversés, atterrés, étouffés par cette irrésistible impulsion, par ce rapide contrecoup qui ébranle toute la masse d'une assemblée; et comme la première lame des mers du nouveau monde pousse le dernier flot qui vient frapper les plages du nôtre, de même la vérité, partant de l'extrémité d'un vaste espace, accrue et fortifiée dans sa route, vient frapper à l'extrémité opposée son plus violent adversaire, qui, lorsqu'elle arrive à lui avec toute cette force, n'en a plus assez pour lui résister.

O Utinam!.... Mais pour que l'éloquence politique acquière généralement ce caractère et cet empire, il faut supposer d'abord que l'esprit national est généralement bon et sain, comme il l'était dans les beaux siècles de la Grèce et de Rome; et il faudrait s'attendre à un effet tout contraire, si une nation nombreuse se trouvait tout à coup composée de parleurs et d'auditeurs, précisément à l'époque où, ayant perdu le frein de la religion et de la morale, elle aurait aussi rompu le joug de toute autorité. Alors le talent même, dans ceux qui parleraient, serait le plus souvent

Cours de Littérature. VII.

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asservi et dépravé par ceux qui écouteraient, ou ne serait pas écouté; alors les caractères dominants des orateurs de cette multitude insensée seraient, ou la complaisance servile qui flatte les passions et les vices, ou la grossière effronterie de l'ignorance, ivre du plaisir d'avoir tant d'auditeurs dignes d'elle, ou l'horrible impudence du crime déchaîné, parlant en maître devant des complices et des esclaves.

SECTION III.

Éloquence de la chaire.

L'ORAISON FUNÈBRE.

Les sujets d'éloquence que le siècle de Louis XIV a vu porter au plus haut degré de perfection sont sans contredit le sermon et l'oraison funèbre.

A l'égard des sermons, l'on sait assez ce qu'ils étaient dans les deux âges qui ont précédé le sien, et ce qu'étaient les Menot, les Maillard, et ce Barlet, dont les savants disaient en latin: «< Nescit prædicare qui nescit barletisare: Ne sait prêcher qui ne sait barletiser. » On s'est égayé par-tout sur leurs farces grotesques et indécentes. Nous avons des sermons de la Ligue : ils joignent l'atrocité à cette grossièreté dégoûtante qui dut nécessairement diminuer à mesure que la politesse s'introduisait dans tous les états, à la suite de l'ordre qui renaissait avec l'autorité. Mais le premier, dit

Voltaire, qui fit entendre dans la chaire une raison toujours éloquente, ce fut Bourdaloue. Peutêtre faut-il un peu restreindre cet éloge en l'expliquant. Bourdaloue fut le premier qui eut toujours dans la chaire l'éloquence de la raison : il sut la substituer à tous les défauts de ses contemporains. Il leur apprit le ton convenable à la gravité d'un saint ministère, et le soutint constamment dans ses nombreuses prédications. Il mit de côté l'étalage des citations profanes, et les petites recherches du bel-esprit. Uniquement pénétré de l'esprit de l'Évangile et de la substance des livres saints, il traite solidement un sujet, le dispose avec méthode, l'approfondit avec vigueur. Il est concluant dans ses raisonnements, sûr dans sa marche, clair et instructif dans ses résultats. Mais il a peu de ce qu'on peut appeler les grandes parties de l'orateur, qui sont les mouvements, l'élocution, le sentiment. C'est un excellent théologien, un savant catéchiste plutôt qu'un puissant prédicateur. En portant toujours avec lui la conviction, il laisse trop désirer cette onction précieuse qui rend la conviction efficace.

Tel est en général le caractère de ses sermons. Ceux de Cheminais, autre jésuite, ne sont pas sans quelque douceur; et celle qu'il mettait dans son débit lui procura une vogue passagère, dont l'impression fut le terme, comme elle l'a été de la réputation de Bretonneau et de quelques autres sermonnaires leurs contemporains, qui depuis

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