Oldalképek
PDF
ePub

ÉLOQUENCE, HISTOIRE, PHILOSOPHIE,
LITTÉRATURE, ETC.

CHAPITRE PREMIER.

Eloquence.

SECTION PREMIÈRE.

De l'Éloquence du barreau.

:

L'ÉLOQUENCE, Sous Louis XIV, prit un essor aussi haut que la poésie, mais non pas, comme la poésie, dans tous les genres: elle ne triompha que dans la chaire ceux qui s'y distinguèrent ont conservé une réputation immortelle celle des orateurs du barreau a passé avec eux. Ce n'est pas que les deux plus célèbres, Lemaître et Patru, ne méritassent, par rapport à leurs contemporains, le rang qu'ils occupaient. Tous deux eurent assez de talent pour l'emporter de beaucoup sur les autres; mais tous deux étaient encore loin de ce bon goût qui est de tous les temps, et qui fait vivre les productions de l'esprit. Ils connaissaient la théorie du combat judiciaire; ils savaient ap pliquer les lois et établir des moyens ; ils ne manquent point de force dans les raisonnements, ni

même quelquefois de véhémence et de pathétique mais ces bonnes qualités sont habituellement corrompues par le mélange des vices essentiels dont le barreau était depuis long-temps infecté, et dont ils ne le corrigèrent pas. Ils ne surent point se mettre au-dessus de cette mode ridiculement impérieuse, qui obligeait tout avocat, sous peine de paraîte dénué d'esprit et de science, à faire d'un plaidoyer un recueil indigeste d'érudition sacrée et profane, toujours d'autant plus applaudie, qu'elle était plus étrangère au sujet. On a peine à concevoir comment un Lemaître, de l'école de Port-Royal, un Patru, ami de Boileau, ne sentaient pas que rien n'était plus déplacé, plus contraire à la nature des objets qu'ils traitaient, au sérieux des discussions juridiques, à la gravité des tribunaux, que ce débordement de citations gratuites, tirées des poëtes et des philosophes de l'antiquité, des prophètes, de l'Ancien et du Nouveau Testament, des Pères de l'Église; que ces comparaisons de rhéteur tirées du soleil, de la lune et des montagnes, et cette foule de subtilités inutilement ingénieuses, toutes choses qui ne tiennent qu'à la prétention de montrer de l'esprit et de la science, prétention futile par elle-même, et qui l'est encore bien plus dans des matières aussi graves que le jugement J'un procès et le sort d'un accusé. Ce n'est pas dans Cicéron et dans Désmosthènes qu'ils avaient appris à écrire et à plaider de cette manière; ces

maîtres de l'art se faisaient une loi de ne sortir jamais, ni de leur sujet, ni du ton qu'il comportait. Mais il faut reconnaître ici l'ascendant de l'exemple et le préjugé dominant. La manie de l'esprit et le faste de l'érudition, se confondant ensemble, formaient encore le fond de presque tous les ouvrages. Il importait peu sans doute, aux juges comme aux plaideurs, que Platon et Sénèque, saint Basile et saint Chrysostôme, eussent dit élégamment telle chose, eussent écrit telles ou telles pensées; mais il fallait faire voir qu'on les avait lus, et qu'on était capable de les faire intervenir à tout propos. Il fallait citer aussi l'histoire, et parler des Carthaginois et des Romains à propos des sœurs d'un hôpital ou des marguilliers d'une paroisse. En vain Racine, dont le goût excellent s'étendait sur tout, leur disait dans les Plaideurs :

Avocat, je prétends Qu'Aristote n'a point d'autorité céans.

Avocat, il s'agit d'un chapon,

Et non point d'Aristote et de sa politique.

En vain, quand l'Intimé remontait au chaos des Grecs et à la naissance du monde, Racine lui disait par la bouche de Dandin,

Au fait, au fait, au fait,

la foule des harangeurs du Palais répondait, comme l'Intimé: Ce qui vous paraît inutile, c'est le beau.

C'est le laid, disait Racine avec Dandin; mais la coutume l'emportait, et les plaidoyers de Lemaître et de Patru, les deux coryphées du barreau, sont imprégnés de cette rouille de pédantisme et de faux esprit, au point qu'avec un mérite réel en quelques parties, ils ne peuvent plus être que consultés par ceux qui étudient la jurisprudence, et que d'ailleurs ils ne sont lus de personne.

Il ya pourtant quelque différence entre eux. Patru donne avec moins d'excès dans les abus dont je viens de parler: sa diction est en général plus pure et plus saine; il s'occupait beaucoup de la correction du langage, et il est un des premiers grammairiens qui ont contribué à l'épurer. C'est sous ce point de vue, plus important alors qu'il ne peut l'être aujourd'hui, que Despréaux l'a loué de bien écrire ; mais nulle part il n'a loué son éloquence.

Je crois qu'au fond Lemaître en avait plus que lui, qu'il était plus orateur. Du moins, dans le petit nombre de causes intéressantes qui se trouvent parmi la multitude de leurs plaidoyers, il y en a deux où Lemaître me paraît avoir eu de beaux développements, de beaux mouvements d'éloquence judiciaire : d'abord une cause de séparation entre mari et femme; et sur-tout une cause très-singulière, où il défendait une fille que sa mère refusait de reconnaitre.

D'un autre côté, Patru est un peu moins déclamateur; il a même quelquefois, dans de petites

affaires, la sagesse de ne vouloir pas être plus éloquent qu'il ne faut, sagesse infiniment rare alors, qui depuis le devint moins, et qui l'est redevenue aujourd'hui, en tout genre, autant que jamais. Mais aussi Patru tombe, plus que Lemaître, dans le style bas et dans les détails ignobles, que réprouvent également la délicatesse de notre langue et la dignité des tribunaux.

Les deux premiers plaidoyers de Lemaître offrent une particularité assez extraordinaire : il y soutient le pour et le contre dans la même cause. Il est vrai que le second plaidoyer, qui ne parut qu'après sa mort dans le Recueil de ses œuvres, ne fut qu'un jeu d'esprit et une sorte d'étude faite pour s'exercer. On peut le pardonner en faveur de l'intention et de la jeunesse de l'auteur; mais d'ailleurs, on voit avec peine qu'il se soit permis dans une cause réelle ce que les anciens ne se permettaient que dans des sujets fictifs. Dans ceux-ci, les faits étant donnés et convenus, l'élève ne s'exerçait qu'à balancer les moyens. Ici l'on souffre de voir l'orateur établir d'un côté des faits tout contraires à ceux qu'il affirmait de l'autre. Il s'agit en partie de savoir si un père a forcé sa fille de se faire religieuse: Lemaître le soutient dans le premier plaidoyer, et le nie formellement dans le second. Je n'aime point ce jeu d'esprit, d'où il résulte de part ou d'autre un mensonge. Dans un avocat, que les anciens définissaient un homme de bien qui a le talent de la

« ElőzőTovább »