Oldalképek
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Je ferais comme un autre, et, sans chercher si loin,
J'aurais toujours des mots pour les coudre au besoin.
Si je louais Philis, en miracles féconde,

Je trouverais bientôt, à nulle autre seconde.
Si je voulais vanter un objet nonpareil,

Je mettrais à l'instant, plus beau que le soleil.
Enfin, parlant toujours d'astres et de merveilles,
De chefs-d'œuvre des cieux, de beautés sans pareilles,
Avec tous ces beaux mots, souvent mis au hasard,
Je pourrais aisément, sans génie et sans art,
Et transposant cent fois et le nom et le verbe,
Dans mes vers recousus mettre en pièces Malherbe.
Mais mon esprit, tremblant sur le choix de ses mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne saurait souffrir qu'une phrase insipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vide.
Ainsi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.
Maudit soit le premier dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma sa pensée,
Et, donnant à ses mots une étroite prison,
Voulut avec la rime enchaîner la raison!
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loisir couleraient sans envie :
Je n'aurais qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et, comme un gras chanoine, à mon aise et content,
Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.
Mon cœur, exempt de soins, libre de passion,
Sait donner une borne à son ambition,
Et, fuyant des grandeurs la présence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune;

Et je serais heureux si, pour me consumer,
Un destin envieux ne m'avait fait rimer.

Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume

Peut tous les mois sans peine enfanter un volume!
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissants,
Semblent être formés en dépit du bon sens :
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire;
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l'art asservir son génie !
Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir :
Il n'a point en ses vers l'embarras de choisir;
Et toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en soi-même il s'admire.
Mais un esprit sublime en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver;
Et, toujours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, et ne saurait se plaire.

Eh bien! s'est-il donc si mal tiré de cette pièce sur la rime? N'a-t-il pas su joindre l'agrément à l'instruction? Était-ce une chose inutile de proscrire ces hémistiches rebattus, ces épithètes de remplissage que l'on prenait pour de la poésie, et qu'il frappa d'un ridicule salutaire? N'y a-t-il pas un grand sens dans ce contraste qu'il établit entre l'homme médiocre, toujours enchanté de ce qu'il fait, parce qu'il n'imagine rien au-delà, et

l'homme supérieur, que tourmente toujours l'idée du mieux, quand il a trouvé le bien?

Il plaît à tout le monde, et ne saurait se plaire.

vous ayez

Molière fut frappé de ce vers comme d'un trait de lumière. Voilà, dit-il au jeune poëte en lui serrant la main, une des plus belles vérités que dites. Je ne suis pas de ces esprits sublimes dont vous parlez : mais, tel que je suis, je n'ai rien fait en ma vie dont je sois véritablement content. Les détracteurs des grands écrivains auraient tort de se prévaloir contre eux de cet aveu qui leur est commun avec Molière, et de dire: Nous avons donc raison de vous censurer. Le génie aurait droit de répondre : Oui, si en me censurant vous m'éclairiez; mais vous n'en avez le plus souvent ni la volonté ni le pouvoir. Vos critiques et ma conscience sont rarement d'accord, et ce que je cherche, ce n'est pas vous qui me le montrerez.

Pour revenir à cette satire, je ne me pique pas d'être plus difficile que Molière, et je la trouve très-agréable. Au reste, en rendant aux satires de Boileau la justice que je leur crois due, je ne prétends pas qu'elles soient irrépréhensibles; que dans la foule des bons vers il n'y en ait quelquesuns de faibles, ou même de mauvais; que quelques idées ne manquent de justesse. On l'a relevé sur Alexandre, qu'il veut mettre aux Petites

Maisons cela est un peu fort, même dans une satire; et de plus on a observé qu'il y avait une contradiction maladroite à traiter si mal Alexandre, qu'ailleurs il met à côté de Louis XIV. Mais je pense que malgré ces taches, qui sont rares, ses satires furent très-utiles dans leur temps, et qu'elles sont encore très-estimables dans le nôtre. Il me paraît les avoir fort bien appréciées luimême dans cet endroit de son Épitre à M. de Seignelay:

Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes?
Ce n'est pas que leurs sons, agréables, nombreux,
Soient toujours à l'oreille également heureux,
Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure,
Et qu'un mot quelquefois n'y brave la césure;
Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur,
Par-tout se montre aux yeux et va saisir le cœur ;
Que le bien et le mal y sont prisés au juste;
Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste,
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs qu'à soi-même il n'ait dit.
Ma pensée au grand jour par-tout s'offre et s'expose,
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.

Tel est en effet le caractère de Boileau dans ses Satires, et dans ses Épîtres et dans l'Art poétique, qui sont fort au-dessus de ses Satires : c'est par-tout le poëte de la raison. M. Marmontel reconnait en lui toutes les qualités du poëte, hormis la sensibilité et les graces du naturel. A l'égard

de la sensibilité, nous avons déja vu quelle valeur on peut donner à ce reproche; et puisque la nature ne l'avait pas fait sensible, on ne peut que le louer d'avoir eu la sagesse de ne pas entreprendre des ouvrages qui auraient exigé une qualité qu'il n'avait pas. Quant au naturel, s'il ne va pas chez lui jusqu'à la grace, on ne peut pas dire assurément qu'il en manque : il a toujours celui qui tient au bon sens et au goût, et qui exclut toute affectation. Voltaire a dit que Boileau avait répandu dans ses écrits plus de sel que de graces: cette appréciation me paraît plus mesurée.

Il faut en venir à ces jugements d'autant plus reprochés à Boileau, qu'on pardonne moins à celui qui a si souvent raison, d'avoir tort quelquefois. C'en est un réel de n'avoir pas su, comme le dit M. Marmontel, aimer Quinault ni admirer le Tasse. Mais n'oublions pas ce que j'ai rappelé ailleurs, que ses satires sont antérieures aux opéra de Quinault, qui ne fut connu d'abord que par de mauvaises tragédies. N'oublions pas que le satirique a déclaré que les opéra de Quinault lui avaient fait une juste réputation. Je ne prétends pas détruire le reproche, mais seulement le restreindre. Ce n'était pas un éloge suffisant d'avouer que l'auteur d'Atys et d'Armide excellait à faire des vers bons à étre mis en chant, puisque ces vers se sont trouvés bons à lire et à rețenir; mais si le critique a été trop sévère, il n'a pas été absolument injuste, et il y a bien

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