Et sur les bords du plat six pigeons étalés Présentaient pour renfort leurs squelettes brûlés. C'est là, j'en conviens, un très-mauvais rôt; mais ce sont de bien bons vers. La pièce entière est écrite de ce style, et l'auteur l'a égayée par la conversation des campagnards, qui forme une espèce de scène fort plaisante. Quant à la raillerie, il y excelle, et personne en ce genre ne l'a surpassé. La satire neuvième, adressée à son Esprit, a toujours passé pour un chef-d'œuvre de gaieté satirique, pour le modèle du badinage le plus ingénieux. Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique: Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin, etc. On ne peut pas railler plus agréablement. La satire sur la Noblesse est fort belle, mais pourrait être plus approfondie. On regarde comme une de ses meilleures, la satire sur l'Homme : c'est une de celles où il y a le plus de mouvement et de variété, et qui dans le temps eut le plus de vogue. Desmarets et d'autres écrivains de même trempe en firent une critique très-absurde, en prenant le sens de l'auteur dans une rigueur littérale. Ils crièrent au sacrilége sur le parallèle d'un âne et d'un docteur; ils prouvèrent démonstrativement que l'un en savait plus que l'autre : et je crois que Boileau en était persuadé. Mais qui ne voit que le fond de cette satire est réellement très-vrai et très-philosophique? Qui peut nier que l'homme qui fait un mauvais usage de sa raison ne soit en effet au-dessous de l'animal qui suit l'instinct de la nature? Cette vérité appartient à la satire morale, et Boileau l'a fort bien développée. pas On lui a reproché de manquer de verve: on a dit que ses vers étaient froids. Ces reproches ne me semblent fondés il a la sorte de verve dont la satire est susceptible; et Juvénal, qui l'a outrée, est presque toujours déclamateur. Si les vers de Boileau étaient froids, ils auraient le plus grand de tous les défauts on ne les lirait pas. Qui dit froid écrivain, dit détestable auteur, a-t-il dit lui-même, et avec grande raison. Entend-on par vers froids ceux qui n'expriment pas des sentiments et des passions? On se trompe. Les vers ne sont froids que lorsqu'ils n'ont pas le degré d'expression qu'ils doivent avoir relati vement au sujet ; et si dans le sujet il n'y a rien pour le cœur, le poëte n'est pas obligé de parler au cœur. Boileau, dans ses satires, parle seulement à la raison et au goût. Il faut voir s'il parle froidement des objets qu'il traite, s'il n'y met pas la sorte d'intérêt qu'on peut y mettre dans ce cas, il aurait tort. Mais s'il s'échauffe contre les travers de l'esprit humain et le mauvais goût des auteurs, autant qu'il convient de s'échauffer sur de tels objets, il a de la verve. La verve en ce genre, c'est la mauvaise humeur : et qui peut dire qu'il en manque, qu'elle ne donne pas à son style tous les mouvements qui doivent l'animer? Ouvrez ses écrits au hasard; voyez la satire sur l'Homme, que je viens de citer; entendez - le crier contre le monstre de la chicane: Un aigle, sur un champ prétendant droit d'aubaine, On ne connaît chez eux ni placets ni requêtes, Cours de Littérature. VII. 2 C'était peu que sa main, conduite par l'enfer, Est-ce là écrire froidement ? Remarquez ce dernier trait contre le fastidieux babil de la plaidoirie, qu'il met avec un sérieux si comique au-dessus de tous les maux que produit la chicane. N'est-ce pas là le cachet de la satire? N'est-ce pas mêler, comme il le prescrit, le plaisant au sévère? En vérité, quoi qu'on en dise, ce Boileau savait son métier. Veut-on lui contester le droit de se moquer des plats écrivains? Écoutez-le : Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire! Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux, Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connaître, Attaquer Chapelain! ah! c'est un si bon homme! Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers: Il se tue à rimer : que n'écrit-il en prose? Voilà ce que l'on dit : et que dis-je autre chose? En blåmant ses écrits, ai-je d'un style affreux Distillé sur sa vie un venin dangereux ? Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète, Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère: Et c'est là cet homme sans verve, ce versificateur froid! Le Misanthrope, dans ses accès, at-il un autre ton? Prenons même cette satire contre la Rime, si souvent censurée. Je sais que la rime importe fort peu à beaucoup de gens; mais elle désole parfois ceux qui la cherchent. Voyons s'il n'en parle pas en poëte, et en poëte satirique. Encor si pour rimer, dans sa verve indiscrète, |