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portait dans tout, il fallait seulement une occa- ' sion qui l'instruisît de ce qu'il pouvait. Quelques stances de Malherbe, en flattant son oreille, lui apprirent combien il était sensible au plaisir de l'harmonie. L'harmonie est la langue du poëte : il sentit que c'était la sienne. La gaieté qu'il goûta dans Rabelais éveilla dans lui cet enjouement si vrai qui règne dans tout ce qu'il a écrit. Il aimait à trouver dans Marot et dans Saint-Gelais des traces de cette naïveté dont lui-même devait bientôt devenir le modèle. Les images pastorales et champêtres, prodiguées dans d'Urfé, devaient plaire à cette ame douce, dont tous les goûts étaient si près de la nature. L'imagination de l'Arioste et du conteur Bocace avait des rapports avec celle d'un homme singulièrement né pour raconter. Telles étaient alors les richesses de la littérature moderne, et tels étaient aussi les auteurs les plus familiers à La Fontaine. Ils furent ses favoris, mais non pas ses maîtres; et quelle différence d'eux tous à lui! Je dirais aussi quelle distance, si je n'avais nommé l'Arioste, qu'une autre sorte de gloire, la richesse de l'invention, et le sublime de la poésie, place dans son genre au premier rang. Mais pour ce qui concerne l'art de narrer, le seul rapport sous lequel on puisse les rapprocher, leur manière est très-différente, sur-tout dans un point capital: l'Arioste a toujours l'air de se moquer le premier de ce qu'il dit; La Fontaine semble tou

jours être dans la bonne foi. Aussi, dans tout ce qu'il emprunte, rien ne paraît être d'emprunt; et la première qualité qui nous frappe dans un homme qui n'inventa rien, c'est l'originalité.

<< Tous les esprits agissent nécessairement les uns sur les autres, se prennent et se rendent plus ou moins, se fortifient ou s'altèrent par le choc mutuel, s'éclairent ou s'obscurcissent par la communication des vérités ou des erreurs, se perfectionnent ou se corrompent par l'attrait du bon goût ou par la contagion du mauvais; et de là ces rapports inévitables entre les productions du talent, quand le temps les a multipliées. Il serait même possible qu'il se formât un esprit qui serait tour à tour la perfection ou l'abus des autres esprits, qui, empruntant quelque chose de chacun, en total pourrait les balancer tous; et cette espèce de génie, aussi brillante que dangereuse, ne pourrait être réservée qu'au siècle qui suivrait celui de la renaissance des arts, et dans lequel la dernière ambition et le dernier écueil du talent seraient de tenter tous les genres, parce que tous seraient connus et avancés. Il est une autre espèce de gloire, rare dans tous les temps, même dans celui où, les arts commençant à refleurir, chaque homme se fait son partage et se saisit de sa place; un attribut inestimable, fait pour plaire à tous les hommes, par l'impression qu'ils désirent le plus, celle de la nouveauté : c'est ce tour d'esprit particulier qui exclut toute

ressemblance avec les autres, qui imprime sa marque à tout ce qu'il produit, qui semble tirer tout de lui-même en donnant une forme nouvelle à tout ce qu'il prend à autrui; toujours piquant, même dans ses irrégularités, parce que rien ne serait irrégulier comme lui; qui peut tout hasarder, parce que tout lui sied; qu'on ne peut imiter, parce qu'on n'imite point la grace; qu'on ne peut traduire en aucune langue, parce qu'il s'en est fait une qui lui est propre. Cette qualité, quand elle se rencontre dans les ouvrages, tient nécessairement au caractère de l'auteur. Un homme très-recueilli en lui-même, se répandant peu au dehors, rempli et préoccupé de ses idées, presque toujours étranger à celles qui circulent autour de lui, doit demeurer tel que la nature l'a fait. S'il en a reçu un goût dominant, ce goût ne sera jamais ni affaibli ni partagé; tout ce qui sortira de ses mains aura un trait distinct et ineffaçable: mais ceux qui le chercheront hors de son talent ne le retrouveront plus. Molière, si gai, si plaisant dans ses écrits, était triste dans la société. La Fontaine, ce conteur si aimable la plume à la main, n'était plus rien dans la conversation. De là ce mot plein de sens de madame de La Sablière : En vérité, mon cher La Fontaine, vous seriez bien béte, si vous n'aviez pas tant d'esprit. Mot qui serait tout aussi vrai en le retournant d'un manière plus sérieuse : « Vous n'auriez << pas tant d'esprit, si vous n'étiez pas si bête. »>

Ainsi tout est compensé, et toute perfection tient à des sacrifices. Pour être un peintre si vrai et si moral, il fallait que Molière fût porté à observer, et l'observation rend sérieux et triste. Pour s'intéresser si bonnement à Jeannot Lapin et à Robin Mouton, il fallait avoir ce caractère d'un enfant qui, préoccupé de ses jeux, ne regarde pas autour de lui; et La Fontaine était distrait. C'était en s'amusant de son talent, en conversant avec ses bons amis, les animaux, qu'il parvenait à charmer ses lecteurs, auxquels peut-être il ne songeait guère. C'est par cette disposition qu'il devint un conteur si parfait. Il prétend quelque part que Dieu mit au monde Adam le nomenclateur, lui disant: Te voilà, nomme. On pourrait dire que Dieu mit au monde La Fontaine le conteur, lui disant: Te voilà, conte. Cet art de narrer, il l'appliqua tour à tour à deux genres différents, à l'apologue moral, qui a l'instruction pour but, et au conte plaisant, qui n'a pour objet que d'amuser. Il réussit au plus haut degré dans tous les deux. C'est sur le premier qu'il convient de s'étendre davantage : c'est le plus important, le plus parfait, et la principale gloire de La Fontaine.

« A la moralité simple et nue des récits d'Ésope Phèdre joignit l'agrément de la poésie. On connaît sa pureté, sa précision, son élégance. Le livre de l'Indien Pilpay n'est qu'un tissu assez embrouillé de paraboles mêlées les unes dans les

autres, et surchargées d'une morale prolixe, qui manque souvent de justesse et de clarté. Les peuples qui ont une littérature perfectionnée sont les seuls chez qui l'on sache faire un livre. Si jamais on est obligé d'avoir rigoureusement raison, c'est sur-tout lorsqu'on se propose d'instruire. Vous voulez que je cherche une leçon sous l'enveloppe allégorique dont vous la couvrez j'y consens. Mais si l'application n'est pas très-juste, si vous n'allez pas directement à votre but, je me ris de la peine gratuite que vous avez prise, et je laisse là votre énigme qui n'a point de mot. Quand La Fontaine puise dans Pilpay, dans Aviénus et dans d'autres fabulistes moins connus, les récits qu'il emprunte, rectifiés pour le fond et la morale, et embellis de son style, forment souvent des résultats nouveaux, qui suppléent chez lui le mérite de l'invention. On y remarque presque par-tout une raison supérieure. Cet esprit si simple et si naïf dans la narration est très-juste et souvent même très-fin dans la pensée, car la simplicité du ton n'exclut point la finesse du sens; elle n'exclut que l'affectation de la finesse. Veuton un exemple d'un éloge singulièrement délicat, et de l'allégorie la plus ingénieuse, lisez cette fable adressée à l'auteur du livre des Maximes, au célèbre La Rochefoucauld. Je la cite de préférence, comme étant la seule qui appartienne notoirement à La Fontaine. Quoi de plus spirituellement imaginé pour louer un livre d'une

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